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Points de vue

La Tunisie résiste

Rédigé par Sema Gül | Lundi 23 Septembre 2013 à 06:00

           


Avant même le renversement du président égyptien, on savait que la mise en place de la démocratie en Égypte serait un processus long et difficile. On se doutait que les reliquats de la dictature ne partiraient pas si facilement.

L’opposition a utilisé tous les moyens qui étaient à sa disposition pour faire tomber les Frères : la presse et la télévision, le peuple pauvre et ignorant, la police et l’armée, le lobby du pétrole et des affaires, l’Union européenne et les États-Unis, la récession économique et même le football.

Et pour couronner le tout, l’armée ensanglanta son coup d’État en payant des tueurs psychopathes qu’elle lâcha dans les rues pour massacrer les gens.

À la suite de l’exemple égyptien, l’inquiétude est de mise en Tunisie. Mais le mouvement tunisien Ennahda avance à pas sensés. Il adopte une attitude déterminée en faveur de la démocratie, il s’attache au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il s’oppose à l’utilisation de la violence et se démarque clairement des courants salafistes radicaux. Sa politique d’ouverture a donné peu d’occasions aux provocateurs.

Crimes politiques, des procédés très vils

Mais ceux qui ne veulent d’une transition réussie en Tunisie usent de procédés très perfides. Par des crimes politiques, ils essayent de créer des troubles dans le pays. Six mois auparavant, le leader de l’opposition communiste Chokri Belaïd a été tué dans un crime sombre. Puis, récemment, ce fut le tour de Mohamed Brahmi, le chef du parti d’opposition du Front populaire et membre de l’Assemblée constituante.

Le crime politique est un procédé vil bien connu pour faire descendre l’opposition dans la rue. Le moment n’a pas été choisi au hasard : il s’est perpétré pendant la planification des élections alors que la rédaction de la Constitution était quasi terminée, comme si l’on cherchait à tout faire capoter.

Or le mouvement Ennahda n’a absolument aucun intérêt à planifier de tels crimes. Cela signifierait se saborder soi-même. Pourquoi se mêlerait-il à de tels crimes alors qu’il a besoin de sérénité et de prospérité pour réussir sa transition ?

Garantir la poursuite du processus démocratique

Mais ceux qui ont apprécié les troubles en Égypte ou à Istanbul (lors des événements du parc Gezi veulent voir la même chose en Tunisie. Ils ont su parfaitement utilisé la presse pour manipuler le peuple. En se donnant la main et en lançant des slogans hostiles du type « Pouvoir démission ! », ils ont réussi à faire descendre les gens dans la rue. Le résultat est que la Tunisie se dirige vers un environnement instable et conflictuel.

Le gouvernement tunisien l’a bien compris et fait tout pour défaire ce jeu. Il multiplie les déclarations en rappelant son engagement dans le processus démocratique et l’organisation d’élections prochaines. À la suite du meurtre de M. Brahmi, il a décrété un deuil national. Il s’est engagé à démissionner et à former un gouvernement apolitique si nécessaire. Il a déclaré qu’il était ouvert à toute proposition permettant d’adoucir l’atmosphère et qui garantirait la poursuite du processus démocratique.

Lorsque le Premier ministre tunisien Ali Larayedh a dit : « Le complot perpétré à l’encontre de M. Brahmi ne visait pas seulement sa personne mais la Tunisie tout entière », il attirait l’attention sur les motivations des commanditaires de ce meurtre. Quant à Rached Ghannouchi, le leader du mouvement Ennahda, il a déclaré : « Les auteurs de ces complots sont ceux qui ne veulent pas d’une identification de l’Islam avec la démocratie. Derrière ces crimes, ils veulent que l’islam soit toujours associé au terrorisme. »

Des accusations qui ne tiennent pas

Pourquoi un tel déchaînement ? Le mouvement Ennahda n’en a-t-il pas fait assez ? N’a-t-il pas fait preuve de suffisamment d’ouverture envers les autres ? S’est-il vraiment comporté comme un parti dictatorial ?

Non, aucune de ces accusations ne tient face à l’analyse des faits. Son attitude a toujours prouvé le contraire :

• Bien que le mouvement ait remporté plus de 40 % des voix, il a choisi de partager le pouvoir avec deux autres partis socialistes laïcs et de former un gouvernement de coalition.
• Bien qu’il ait subi de très fortes pressions pendant des années avec 25 000 membres arrêtés en 1991, il n’a jamais cherché à se venger et s’est toujours engagé dans un processus démocratique.
• Il a autorisé l’opposition à créer de nouveaux partis, il a suivi une politique pluraliste. Il a choisi plus de la moitié de ses députés parmi les femmes.
• Il a adopté une position sévère contre les groupes salafistes qui essayent d’agiter le pays. Il a organisé des descentes et des opérations parmi eux. Il a arrêté des centaines de personnes du mouvement Ansar al-Charia qui ont fait preuve de violences à l’encontre de la Tunisie.
• Il s’est opposé à l’inscription du mot « Charia » dans la Constitution, malgré le risque d’une forte réaction au sein de son propre camp. Il est resté sur la notion d’« État civil » au lieu d’« État de religion ». Il a rejeté toute inscription qui pourrait être une cause de tension dans le pays ou qui pourrait mener à des suspicions de radicalisation.
• Il a rejeté la proposition d’un article constitutionnel qui condamne les relations avec Israël malgré les critiques sévères des salafistes.
• Il a encouragé le tourisme malgré l’opposition des groupes salafistes. Malgré la situation économique catastrophique dont il a hérité, il a relancé la machine économique et de nombreux pays occidentaux investissent de nouveau en Tunisie.
• Il a accompli un effort très important pour expliquer les objectifs du parti à l’Occident. Rached Ghannouchi, le leader du mouvement Ennahada, a participé à des dizaines de conférences, symposiums et congrès sur « Islam et démocratie » en Europe et aux États-Unis. Il a dénoncé la menace du radicalisme dans l’islam. Il a affirmé que les mouvements radicaux, partisans de la violence et ne respectant pas les droits de l’Homme, n’ont aucune place en islam.

Mais ces efforts, semble-t-il, n’ont pas été suffisants. Car les gens mal à l’aise de l’exemple turc ne veulent pas d’un mouvement islamique similaire à la tête de la Tunisie. Ils semblent soutenir la transition démocratique mais ce n’est en réalité pas le cas.

Ils ne veulent pas qu’un pays arabe dirigé par un mouvement islamique prospère et devienne un modèle de réussite pour les autres. Ils ne veulent pas que les pays musulmans s’unissent, que la coopération augmente entre eux et qu’ils finissent par former une union de force. Ils ne veulent pas d’un pays modèle qui applique l’islam comme une religion de paix, d’amour, de fraternité et de libertés et qui étreint avec miséricorde chaque individu, peu importe sa religion, son appartenance sociale ou raciale.

Quelle solution ?

Nous pensons que la solution doit être une union forte et solidaire entre les pays musulmans. Toute division ou morcèlement doit s’arrêter. De la fraternité, de l’entraide, de la collaboration réussiront à venir à bout de ces pressions.

La voie à suivre est une Union islamique avec un marché commun et des valeurs communes qui reposent sur la paix, la liberté, la fraternité, la justice, les droits de l’Homme, le respect des minorités et de toutes les valeurs essentielles à l’islam.

Mais à cette idée, d’aucuns diront que c’est un rêve, que ce n’est pas une politique réaliste, que les États ne l’accepteront jamais, que les pays occidentaux ne le permettront jamais, que les séparations entre les doctrines (des musulmans) sont trop nombreuses pour pouvoir les surmonter, etc.

Certes, à ceux-là, nous leur répondons que toute difficulté est surmontable, que l’Europe a connu bien pire et qu’il suffit d’écouter la voix du peuple suffisamment mature et volontaire pour enfin y croire définitivement.


Sema Gül, auteure et chroniqueuse turque, est impliquée dans le dialogue interreligieux sur le thème « Islam, christianisme, judaïsme, religions de paix et de liberté pour tous ».






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