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Points de vue

Les Frères musulmans sont-ils responsables de la tragédie égyptienne ?

Par Sema Gül*

Rédigé par Sema Gül | Lundi 26 Août 2013 à 02:26

           


Les informations rapportées par la presse internationale sur les événements en Égypte ont montré à quel point celles-ci étaient biaisées. Le silence des administrations, l’absence d’analyses objectives souvent accompagnée de slogans faciles et de préjugés ont conduit à une diabolisation systématique des Frères musulmans.

Ils ont été les grandes victimes de cette campagne à qui on a reproché un excès d’autoritarisme, un manque d’ouverture, un comportement liberticide et violent.

Un contexte très difficile

Lorsque l’on demande aux opposants de Mohamed Morsi comment ils ont pu justifier un tel coup d’État, ils répondent que les Frères se sont comportés comme des dictateurs et qu’ils sont responsables de tous les maux de la société égyptienne.
En réalité, cela est faux car les Frères musulmans ont hérité d’une situation très difficile.

Hosni Moubarak était peut-être parti, mais ses hommes contrôlaient le pays tout entier. Ses partisans qui tiennent encore le fonctionnement des administrations (surnommés « foulouls » par les Égyptiens) ont bloqué chaque pas en faveur de la transition démocratique :

La révolution a provoqué une grande récession économique. Mohamed Morsi a hérité d’une situation économique catastrophique marquée par la corruption et la mauvaise gestion. Les aides extérieures du FMI étaient suspendues. L’économie du pays était bloquée par le lobby des affaires pro-Moubarak.
Morsi décida alors de toucher aux intérêts financiers de l’armée et de certains cercles en annulant leurs privilèges dans l’exploitation du pétrole et du gaz. Est-ce un hasard si le coup d’État eu lieu quelques jours avant la mise en application de cette nouvelle règlementation ? Car l’armée et les cercles d’affaires, satisfaits de leurs privilèges, voulaient continuer à exploiter impunément les ressources du pays.

Mohamed Morsi a voulu briser la mainmise de l’armée et de la justice sur le pays. Il voulait les soumettre à l’ordre démocratique. Pour cela, il fit de nouvelles nominations et travailla sur de nouveaux statuts. L’armée et la justice s’opposèrent à cette mise sous tutelle.
La justice a dissout le Parlement et n’a pas cessé d’invalider les décisions du gouvernement. En essayant de réformer ces institutions, Morsi s’est vu accusé de dictateur.

Durant la préparation de la nouvelle Constitution, sa route a été barrée plus d’une fois par l’opposition. Des personnalités connues, des juristes, des universitaires et des représentants de tous les partis d’opposition furent invités à participer à l’élaboration de la Constitution. La plupart d’entre eux refusèrent.
L’opposition boycotta le référendum. La nouvelle Constitution fut néanmoins validée à 64 % de « oui ».

Mohammed Morsi a dialogué avec l’armée, les libéraux, les salafistes, les coptes et tous les autres partis d’opposition. Ses tentatives de conciliation ont souvent été rejetées. Juste après son élection, Morsi a proposé aux trois autres candidats de l’opposition (Abul-Fotouh, Khaled Ali et Hamdeen Sabbahi) de l’assister dans sa présidence.
Son offre fut rejetée. Il nomma 12 représentants coptes au Conseil supérieur contre trois auparavant.

Mohamed Morsi a été le premier président égyptien à nommer une femme au poste de conseiller à la présidence. Il a aussi donné la parole aux jeunes en nommant ministre de l’Économie un député de moins de 40 ans.

Il a ouvert un dialogue national avec de nombreuses ONG féminines sur la question des droits de la femme en Égypte. Des réformes positives étaient en cours.

Dans sa volonté de donner plus de droits aux femmes, à l’opposition, aux coptes et aux autres minorités religieuses, Morsi dut faire face à l’opposition du parti el-Nour des salafistes. Chaque droit supplémentaire en faveur de la liberté et de la démocratie qu’il a voulu inscrire dans la Constitution a été bloqué par les salafistes.

Mohamed Morsi conserva beaucoup de cadres issus de l’ancien régime. Même lors de ses déplacements à l’étranger, il s’était fait entourer d’anciens conseillers de Hosni Moubarak.
Il est donc faux d’accuser ses équipes d’incompétence car beaucoup de décisions ont été prises en concertation avec ces mêmes cadres que, auparavant, on louait pour leurs compétences.

En dehors de la Turquie ou du Qatar, l’Égypte n’a reçu aucun soutien financier et politique de la part des pays arabes. La raison à cela était la crainte d’un effet domino.
L’Arabie Saoudite et les pays du Golfe ne voulaient pas voir le géant arabe égyptien réussir ce test. Ils avaient peur qu’un tel succès serve d’exemple à leurs groupes d’opposition et que, in fine, cela remette en cause leurs régimes dictatoriaux.
Les spécialistes du monde arabe avaient d’ailleurs l’habitude de dire : « Si l’Égypte réussit sa transition démocratique, tout le Moyen-Orient suivra. » Pour cette raison, tous ont soutenu un coup d’État de l’armée en Égypte.

Non, les reproches d’incompétence, d’autoritarisme ou de dictature ne tiennent plus face à l’analyse des faits. Il est naïf de penser que, en une seule année, un gouvernement peut résoudre des décennies de dictature, de répression ou de corruption ainsi qu’une récession économique. La démocratie et la prospérité ne s’acquièrent malheureusement pas en si peu de temps.

Une armée aux commandes

Pour une analyse complète de la situation, il faut prendre en compte le pouvoir considérable de l’armée sur l’économie et l’appareil d’État.

L’armée, c’est 20 à 40 % de l’économie, principalement dans le domaine du tourisme, de l’immobilier, du textile et de l’énergie. Elle a occasionné pendant des semaines des pénuries de pain, d’essence et d’électricité.

Est-ce un hasard si les coupures d’électricité ainsi que les problèmes d’approvisionnement cessèrent juste après le coup d’État ? Est-ce un hasard si l’armée égyptienne a obtenu plusieurs milliards de dollars de subvention juste après le coup d’État ?

Il faut aussi rappeler que le pouvoir de la presse était sous le contrôle de l’armée. Elle manipula son peuple avec des méthodes de propagande dignes de l’ère soviétique. Elle eut l’audace de recruter des tueurs professionnels pour massacrer son peuple et taire toute opposition. Elle arma des voyous ou milices pour terroriser les gens, brûler des églises, des mosquées et des bâtiments publics.

Elle mit ces actes sur le dos des Frères musulmans afin de les accuser de violences ou de terrorisme.

L’objectif n’est pas seulement l’Égypte

Ceux qui ne qualifient pas cette situation de « coup d’État », ceux qui ne condamnent pas fermement le massacre cruel de l’armée envers son peuple, ceux qui subventionnent par milliards de dollars le renversement d’un président élu légitimement, ceux qui soutiennent les oppresseurs de la démocratie et de la liberté, ceux-là portent sur leurs mains le sang de toutes les personnes assassinées sur les places de la liberté. Ils sont coupables devant l’Histoire.

Le courage de ces gens s’évertuant autant que possible à lutter pour la liberté et la démocratie force l’admiration. Leur patience, la retenue dont ils font preuve, leurs marches pacifiques prouvent leur sincérité.

Maintenant, il est certain que les Frères ont aussi leur part de responsabilité. Il est avéré qu’ils ont commis des fautes, des insuffisances et des erreurs de comportement. Mais l’erreur n’est-elle pas humaine ? Quels que soient les reproches que l’on peut avoir à leur encontre, cela justifie t-il un tel coup d’État ? Cela justifie t-il un tel massacre ? Cela justifie-t-il une telle mise aux arrêts d’un président élu à 53 % un an auparavant ?

Éloigner d’une façon aussi violente un président élu, écarter par les armes ses partisans du jeu politique, réaliser un tel carnage, aucune force politique, aucune nation étrangère, aucun empire médiatique ne pourra nous le présenter comme un acte légitime, démocratique et émanant de la volonté du peuple !

Ce coup d’État est un crime contre la démocratie, un crime contre le peuple égyptien, un crime contre l’humanité tout entière, en raison des massacres perpétués. Les auteurs de ces crimes doivent rendre des comptes devant la justice de leur pays et devant la justice internationale. Toutes les pressions juridiques, politiques, internationales et financières doivent agir d’une même main pour faire cesser ce massacre.

Une issue positive en Égypte ne peut réussir que si une volonté sincère d’accéder à la démocratie et à la prospérité est réellement encouragé, pas seulement en Égypte, mais dans tous les autres pays musulmans qui subissent des conflits ou des injustices : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine, etc.

Cette solution est vraiment possible si les pays musulmans décident de former une union de force. Le modèle de l’Union européenne est la voie à suivre. Cela a été possible en Europe après des années de guerre et de conflit, pourquoi cela ne serait-il pas possible en terre d’islam ?

Une union qui doit être fondée sur la liberté, la justice, la fraternité, la paix, la compassion, l’amour, le respect des minorités et de toutes les valeurs propres à l’islam, à la démocratie et aux droits de l’homme. Tous les peuples musulmans la veulent et la réclament. Ils sont suffisamment matures pour cela.

Plus tôt cette union se fera, plus tôt les injustices et les violences s’arrêteront. Dans le cas contraire, elles continueront doublées de la malédiction de Dieu.

* Sema Gül, auteure, activiste et chroniqueuse turque, est impliquée dans le dialogue international interreligieux sur le thème « Islam, christianisme, judaïsme, religions de paix et de liberté pour tous ».






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