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Points de vue

Le coup d’Etat en Egypte : les défis de la transition

Par Lakhdar Ghettas*

Rédigé par Lakhdar Ghettas | Samedi 6 Juillet 2013 à 00:00

           


L'éviction du président Mohamed Morsi par l'armée égyptienne est un coup d'Etat militaire pur et simple. En effet, cette éviction répond à la définition d’un renversement illégal de la tête de l'Etat par l'armée, une faction interne, ou les services de sécurité, par l'utilisation de la force ou de la menace de l'utiliser. Les expériences passées de coups d'Etats militaires comme le renversement du gouvernement Mossadegh en Iran en 1953, de Salvador Allende au Chili en 1973, ou encore le putsch militaire en Algérie de 1992 nous rappellent que les coups d'Etats militaires ne sont jamais un bon mécanisme pour la résolution de conflits.

Le coup d'Etat militaire en Egypte est un témoignage regrettable de l'échec de tous les acteurs politiques et des parties engagées dans la manière de gérer la période de transition qui a été caractérisée par une très forte polarisation.

Aujourd’hui, alors que la constitution a été suspendue et que l'armée a repris le pouvoir, quels sont les défis à relever pour l'Egypte ?

Sur le plan intérieur, le coup peut aggraver une situation déjà très fortement détériorée. Il va vraisemblablement exacerber la polarisation verticale de la société égyptienne. Les mesures prises par l'armée pour arrêter les principaux dirigeants et les cadres de rang intermédiaire du parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans, et la décision de suspendre au moins cinq des chaînes satellites pro-Morsi constituent une décapitation de la direction du mouvement. L’isolation de la direction de sa base militante en temps de crises politiques délicates pourrait pousser les éléments radicaux au sein des Frères musulmans ou d'autres groupes islamistes à commettre des actes violents.

Ayant violé la légitimité constitutionnelle d'un président démocratiquement élu, il sera difficile pour la nouvelle direction d’établir son autorité tandis qu’elle manque elle-même de légitimité constitutionnelle. Le gouvernement putschiste sera certainement en mesure de gouverner de facto eu égard au soutien de l'armée, mais de jure il est dépourvu de légitimité. La nouvelle direction va inévitablement compter sur le soutien militaire faisant ainsi de l’Egypte un pays autoritaire comme cela a été le cas au Pakistan et en Algérie, pour ne citer que quelques exemples.

Lakhdar Ghettas
Lakhdar Ghettas

Un revers pour les aspirations à la démocratisation

Au niveau régional, le coup d'Etat au Caire est un revers pour les aspirations des Arabes pour la liberté et la démocratisation exprimées lors des soulèvements de 2011 et après. La stabilité régionale se trouve menacée dans la mesure où le coup d'Etat peut non seulement fournir une nouvelle justification pour les groupes djihadistes, mais pose aussi le discrédit sur les mouvements islamistes salafistes qui s’étaient engagés à revoir leur discours en entrant en politique et en abandonnant le recours à la violence. Les groupes djihadistes pourront brandir une fois de plus l'argument que l'Occident soutient la démocratisation dans le monde arabe à la condition qu’elle n'apporte pas les islamistes au pouvoir, comme cela a été le cas avec le Front islamique du salut en Algérie et le Hamas à Gaza. Enfin, cette nouvelle reconfiguration régionale sera aggravée par la situation sécuritaire précaire en Libye et la libre circulation du trafic d'armes.

Sur le plan international, l'échec des capitales occidentales de condamner l'éviction de Morsi et le soutien parfois tacite à la reprise armée renforceront la perception dans l'esprit des sociétés arabes que l’Occident n'est pas sérieux dans son soutien au processus de démocratisation dans la région. En outre, le discours djihadiste pourrait être ré-alimenté, dans un contexte régional instable dans lequel la région du Sahel est devenue une nouvelle zone de tension.

Eviter toute polarisation

Dès 2011, nous avons informé tous les acteurs et parties prenantes jusqu’aux plus hautes sphères et à travers différents canaux, que l’échec de l’élite politique et de l'opposition à gérer la période de transition pourrait conduire à une polarisation extrême qui fournirait une justification à un retour sécuritaire de la gestion des affaires publiques, ou même à un retour d’un régime autoritaire. Les développements récents en Egypte nous montrent une fois de plus que pendant les périodes de transition, suite à des bouleversements politiques, il est nécessaire d’encourager de grands gouvernements de coalition nationale, et l'intégration de chartes de conduite dans les nouvelles constitutions ou lois.

Afin de réussir les transitions politiques dans le monde arabe, les élections et les processus de rédaction de la constitution doivent éviter toute forme de polarisation, et plus particulièrement toute forme de polarisation entre les partis politiques avec une référence religieuse et les laïcs. La création de coalitions comme mécanisme de neutralisation ou du moins comme mécanisme de dépolarisation est un instrument clé pour bâtir des sociétés justes et durables.

Il est aujourd’hui nécessaire d’appeler tous les acteurs politiques et les parties prenantes en Egypte à lancer une initiative de dialogue national en vue de parvenir à un accord consensuel capable d'inverser les mesures et les décisions dangereuses qui ont découlé de la transition politique et de l'antagonisme exacerbé au sein de la société égyptienne. Finalement, la communauté internationale porte elle aussi aujourd’hui une responsabilité pour soutenir et engager cette initiative de dialogue national.

*Lakhdar Ghettas est un collaborateur scientifique de la Fondation Cordoue de Genève, une organisation à but non lucratif basée en Suisse dont le but est de favoriser l'échange entre les cultures, de contribuer à la recherche et à enrichir le débat sur la paix dans le monde.

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