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Société

« Pour dépasser les préjugés entre juifs et musulmans, il faut se tourner vers l’Histoire »

Rédigé par Clémence Maret | Vendredi 15 Décembre 2017 à 08:30

           

Dans son roman « Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants », la journaliste Nadia Hathroubi-Safsaf parvient à démêler les préjugés entre juifs et musulmans avec pédagogie et sensibilité. Elle y retrace le parcours de Leïla, musulmane, et d’Anne, juive, dont l’amitié va être altérée par le conflit israélo-palestinien. Un travail récompensé cette année par le prix « Les Voix de la paix » qui distingue des acteurs du dialogue interreligieux.



Nadia Hathroubi-Safsaf : « Je pense que dans les années à venir il va y avoir de plus en plus de livres autour du conflit israélo-palestinien. » (photo © Marie Géniès)
Nadia Hathroubi-Safsaf : « Je pense que dans les années à venir il va y avoir de plus en plus de livres autour du conflit israélo-palestinien. » (photo © Marie Géniès)

Saphirnews : Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue ?

Nadia Hathroubi-Safsaf : La première fois que j’y ai pensé, c’était lors d’un voyage en Palestine, en 2002. J’avais alors 27 ans. J’étais partie pour faire un reportage sur une association de femmes qui œuvraient pour le dialogue interreligieux. Je me suis, entre autres, rendue à Gaza, qui était sous couvre-feu. Il faisait froid, j’avais faim, mais les conditions des habitants étaient encore pires que les miennes.

Ce qui m’a le plus marquée là-bas, c’était tous les enfants malades. Beaucoup avaient des conjonctivites et certains avaient même du pus qui sortait de leurs yeux. Comment peut-on en arriver là ? Ce voyage n’a duré que dix jours, mais j’ai mis des mois à m’en remettre. J’étais frustrée de ne pas utiliser toute la matière que j’avais amassé pour mon reportage et je voulais garder une trace de tout ce que j’avais vu. J’ai alors décidé d’en faire un roman.
extrait_1_nadia_hathroubi_safsaf_lit_un_extrait_de_son_roman.mp3 Extrait-1-Nadia-Hathroubi-Safsaf-lit-un-extrait-de-son-roman.mp3  (607.6 Ko)


Pourquoi avoir choisi d’écrire une fiction ?

Nadia Hathroubi-Safsaf : La fiction me permettait d’avoir davantage de liberté. À travers des personnages, je pouvais dire beaucoup plus de choses que dans un simple article. Mais même si c’est un roman, tous les faits et les chiffres sont véridiques. J’ai réalisé tout un travail de documentation. Je suis allée au Mémorial de la Shoah, aux Archives nationales, j’ai visité des camps de travail, comme celui de Rivesaltes, près de Perpignan… En tout, mes recherches ont duré environ six mois.

L’héroïne Leïla vous ressemble beaucoup…

Nadia Hathroubi-Safsaf : Oui, on m’a fait remarquer qu’il y avait de nombreux points communs entre Leïla et moi. Mais ce n’était absolument pas une volonté ! Au contraire, j’avais l’impression d’avoir mis une certaine distance entre nous deux : je suis d’origine tunisienne et non algérienne, et je n’ai pas connu mon grand-père. Salah, le grand-père de Leïla, est plutôt la figure idéale du grand-père que j’aurais voulu avoir.

Cependant, il est vrai que, comme Leïla, j’ai grandi à Paris et que j’étais en lien constant avec la culture juive. J’ai étudié au lycée Sophie-Germain, dans le quartier du Marais et, avec mes camarades, j’allais manger des falafels et des plats traditionnels juifs rue des Rosiers. J’ai presque mangé cacher avant de manger halal ! Je me rappelle également que vers 15-16 ans, lorsque l’on évoquait le conflit israélo-palestinien entre amis, il y avait très vite des tensions. C’était compliqué, car, à cet âge, nous n’avions qu’une vision simpliste de la situation. Comme s’il y avait, d’un côté, les méchants et de l’autre, les gentils…
extrait_2_nadia_hathroubi_safsaf_lit_un_extrait_de_son_roman.mp3 Extrait-2-Nadia-Hathroubi-Safsaf-lit-un-extrait-de-son-roman.mp3  (787.63 Ko)


À la fin de votre livre, vous écrivez que cette histoire « existait depuis trop longtemps dans (votre) tête ». Pourquoi avez-vous mis tant de temps à la coucher sur le papier ?

Nadia Hathroubi-Safsaf : J’ai rédigé un premier synopsis de roman au retour de mon voyage en Palestine en 2002. Mais, très vite, la vie a repris son cours : j’ai eu des enfants, j’ai continué mon travail de journaliste… et le synopsis est resté dans un tiroir. Ce n’est qu’en 2012 que j’ai eu une révélation : il fallait que j’aille au bout de ce projet.
J’ai proposé ce roman à une grande maison d’édition (dont je ne dirai pas le nom), qui l’a refusé. D’après elle, tous les passages sur le conflit israélo-palestinien étaient trop polémiques. Pour eux, le fait que je sois de confession musulmane et que j’écrive sur la Shoah pouvait être mal perçu.

Quelques années plus tard, j’ai parlé de ce projet à Roger Tavernier, le directeur de la maison d’édition Zellige. Le synopsis lui a plu. Pour lui, toutes les pages sur le conflit israélo-palestinien étaient ce qui allait faire la force du roman. Il m’a accompagnée dans l’écriture sans jamais me censurer et le livre est paru en février 2016… quatorze ans après que j’en ai eu l’idée.

Comment le conflit israélo-palestinien est-il traité dans la littérature ?

Nadia Hathroubi-Safsaf : Il y a quelques romans qui abordent le sujet, comme le livre de Souad Amiry, Un Cappuccino à Ramallah, qui raconte le quotidien sous le couvre-feu à Gaza, ou encore la trilogie sur le Moyen-Orient Inch’ Allah, de Gilbert Sinoué. Mais il y a très peu d’auteurs qui osent aborder le sujet, car le conflit n’est pas encore résolu et que tout se qui s’en rapproche fait polémique.

Je pense tout de même que, dans les années à venir, il va y avoir de plus en plus de livres autour du conflit israélo-palestinien. Mais, pour cela, il faut que des auteurs prennent la plume et surtout que les éditeurs se montrent moins frileux.

Votre livre est sorti il y a maintenant plus d’un an. Avez-vous d’autres projets autour de ce roman ?

Nadia Hathroubi-Safsaf : J’ai l’intention d’écrire la suite de Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants dans les années à venir. L’idée serait, cette fois-ci, de suivre le parcours d’Anna, qui se rendrait en Palestine pour faire son alya (ndlr : l’alya correspond pour les juifs à l’immigration en Israël). J’aimerais parler de ses découvertes et de ses déceptions.
Je suis également en cours de discussion avec une boîte de production qui voudrait faire un docu-fiction à partir du livre. L’idée des producteurs est de faire un film qui tournerait autour de mon expérience personnelle. Mais je préférerais plutôt une fiction à part entière… Mon rêve serait que l’acteur Roschdy Zem joue le rôle du grand-père de Leïla !

D’après vous, est-ce que les relations entre juifs et musulmans en France sont en train de s’améliorer ou, au contraire, de se dégrader ?


Nadia Hathroubi-Safsaf : On ne peut répondre à cette question qu’avec beaucoup de nuance. De nombreuses initiatives sont lancées pour qu’il y ait un dialogue plus important entre les deux communautés. Par exemple, grâce à la création de rencontres entre les scouts juifs et les scouts musulmans, ou encore grâce à l’organisation de voyages à Auschwitz dans de nombreux lycées…

Mais à côté de ces initiatives, il y a encore malheureusement certains musulmans qui tiennent des propos antisémites, et certains juifs qui ont du ressentiment envers des jeunes musulmans issus de l’immigration.
Je pense qu’il faut également souligner la responsabilité des médias dans les tensions qu’il peut y avoir entre les communautés. Ces derniers ne montrent, en général, que ce qui divise et non ce qui rassemble. Il est vrai qu’il faut dénoncer certains actes, mais il est aussi important de mettre en avant des exemples de bonne cohabitation entre ces deux religions.

D’après moi, l’amélioration des relations entre juifs et musulmans doit passer par l’enseignement de l’Histoire. Il faut expliquer aux jeunes que la France n’a pas toujours été à la hauteur, mais qu’elle est capable, aujourd’hui, de regarder ses erreurs en face. Il faut également redonner à chacun sa juste place dans le roman national. Les jeunes issus de l’immigration seraient fiers de savoir que leurs ancêtres ont joué un rôle dans l’Histoire de France, par exemple en participant à la Résistance. C’est ce qui permettrait à ces jeunes de se sentir appartenir à une nation.

La quête de Leïla

Leïla et Anne, l’une musulmane, l’autre juive, ont grandi dans le même immeuble parisien, au cœur du quartier chic de la Bourse. Les deux amies étaient inséparables jusqu’au lycée mais, désormais, elles ne se comprennent plus. La cause de leurs disputes ? Le conflit israélo-palestinien. Pour Leïla, il faut qu’Israël cesse la colonisation des territoires palestiniens. Pour Anne, toute critique de la politique d’Israël est une offense aux victimes de la Shoah.

Afin d’essayer de dépasser ces raisonnements simplistes, Leïla décide de se rendre à Gaza. Son but est de faire un documentaire sur les femmes israéliennes et palestiniennes qui rencontrent les mêmes difficultés au quotidien. Mais son voyage tourne court. Leïla est blessée lors d’une attaque à Gaza, puis rapatriée en France.

Elle tente alors de trouver des réponses à ses interrogations, non plus à l’étranger, mais en se penchant sur l’histoire de sa propre famille. Leïla retrouve le journal intime de son grand-père, une découverte qui la bouleverse. Cet anticolonialiste algérien, arrivé en France en 1939, a secouru plusieurs personnes juives pendant la Seconde Guerre mondiale. Leïla n’a plus qu’une obsession : que grand-père soit reconnu « Juste parmi les nations ».

Nadia Hathroubi-Safsaf, Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants, Zellige, février 2016, 176 p., 18,50 €.





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