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Société

Père Christian Delorme : « Le métissage de la France ne se retrouve nulle part ailleurs en Europe »

Rédigé par Propos recueillis par Faïza Ghozali | Dimanche 12 Septembre 2010 à 13:29

           

Surnommé « le curé des Minguettes », le Père Christian Delorme est rattaché au diocèse de Lyon. Très impliqué dans le dialogue interreligieux, en particulier avec les musulmans, il a été l'un des initiateurs de la Marche pour l'égalité des droits et contre le racisme, en 1983. Invité par l’Institut des cultures d’islam à débattre sur l’articulation « Europe et spiritualité », il analyse pour Saphirnews la place accordée en France à la jeunesse issue de la diversité. Pour lui, le combat continue.



Pour le Père Christian Delorme, ségrégation sociale et pensée raciste sont en partie dues à l'histoire coloniale que la France toujours pas su revisiter avec un regard juste et serein.
Pour le Père Christian Delorme, ségrégation sociale et pensée raciste sont en partie dues à l'histoire coloniale que la France toujours pas su revisiter avec un regard juste et serein.

Saphirnews : Concernant le dialogue interreligieux, où en est l’Église catholique ? On sait que ce n’était pas la priorité de Benoît XVI.

Christian Delorme : Benoît XVI a bougé depuis cette affaire de Ratisbonne, où il a cru pouvoir citer une correspondance polémique qui laissait entendre que l’islam ne connaissait pas la raison. Benoît XVI est un homme âgé, intellectuel, très différent de ce qu’était Jean-Paul II qui ne cessait de parcourir le monde.
Mais il a évolué dans le sens d’une certaine ouverture, comme l’a montré son voyage en Turquie, où il est allé prier à la Grande Mosquée d’Istanbul. C’est un homme qui montrait une grande méfiance à l’égard du dialogue interreligieux, c’est vrai, car c’est un peu un gardien du dogme qui craint le relativisme, qui a charge de l’Église catholique. Sa hantise est que l’on dise que tout est égal, que tout est pareil. Il avait ainsi supprimé le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux mais il l’a réinstallé il y a déjà près de 3 ans.

Les Français musulmans pourraient aussi être dragués pour les voix qu’ils représentent aux élections, comme c’est le cas dans d’autres pays. Pourquoi n’est-ce pas le cas en France ?

Chr. D. : En effet, et c’est une faute politique. On a des responsables politiques, aussi bien à droite qu’à gauche d’ailleurs, qui ne peuvent pas concevoir – ou qui n’ont pas pris conscience – que la majorité des musulmans en France sont des citoyens français. Cela n’est pas encore entré dans les mentalités de nos principaux responsables politiques.
Beaucoup d’hommes et de femmes politiques ne sont préoccupés que par leur réélection et obnubilés par leur intérêt immédiat, Ce sont des calculs à court terme, moralement condamnables, qui sont dangereux sur le plan politique comme à chaque fois que l’on fait gonfler le populisme et qu’on ne sait pas sur quoi il peut déboucher ensuite. Il y a le risque, aux prochaines élections présidentielles, que le scénario de 2002 se reproduise et que Marine Le Pen se retrouve au second tour… Ce sera alors le résultat de la politique actuelle.
Cela dit, je n’idéaliserais pas ce qui se passe ailleurs. Il y a un recul un peu partout, dont l’exemple le plus frappant aujourd’hui est les Pays-Bas. Un pays qu’on montrait comme un exemple de tolérance et qui, aujourd’hui, est balayé par un populisme anti-musulmans très fort.
Le paradoxe de la société française est qu’elle est beaucoup plus mélangée dans les couches populaires, il y a un métissage qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe. Certes, il y a des mécanismes ségrégatifs et des pensées racistes qui continuent de circuler. Je pense que c’est dû en grande partie à notre histoire coloniale, dont nous n’avons pas fait le bilan, que nous n’avons pas su revisiter. Tant qu’on n’aura pas regardé sereinement mais justement ce qu’a été l’histoire coloniale, on n’arrivera pas à faire la paix dans la société française aujourd’hui.

Vous avez joué un grand rôle dans la marche des Beurs en 1983… Que dire quasi 30 ans après à ceux qui, déçus, disent que cela n’a servi à rien ?

Chr. D. : Cela n’est pas tout à fait vrai. Cette marche a été le révélateur des changements profonds de la société française. C’est par cette marche que l’immense majorité de la population de ce pays a découvert que la population française était en train de changer. C’est l’entrée massive de la jeunesse française d’origine maghrébine dans l’espace public.
Par ailleurs, il se trouve qu’à l’occasion de cette marche nous avons obtenu un résultat : la carte de résidence de dix ans, ce qui a changé la vie de millions d’étrangers – ça, on l’a oublié.
Cela dit, la situation en 1983 n’était pas celle d’aujourd’hui, le chômage était alors beaucoup moins important. Ceux qui étaient au chômage savaient qu’ils trouveraient du travail.
Or la situation de l’emploi s’est considérablement détériorée. Je pense que, sans cette tragédie du marché de l’emploi, les choses seraient allées beaucoup mieux. Mais là on a vu toute une jeunesse assignée à résidence dans les cités, et qui s’est retrouvée davantage stigmatisée, d’autant qu’elle appartenait aux anciens ressortissants de l’empire colonial. Beaucoup de jeunes issus de l’immigration et qui ont de beaux parcours scolaires et un cursus universitaire sont aujourd’hui au chômage. Si ceux-là avaient trouvé du travail, inévitablement en devenant du nombre des décideurs français, les choses auraient changé.
Je crois qu’il n’y a pas de vie sans combat et ce n’est pas parce qu’on a fait une manifestation plus ou moins réussie, qu’après il ne faudra pas se battre.








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