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Société

Nadia El Bouga : « L’éducation pour sortir les musulmans de l'analphabétisme sexuel »

Rédigé par Imane Youssfi | Lundi 30 Octobre 2017 à 10:00

           

En devenant sage-femme, Nadia El Bouga ne savait pas que cette profession l’amènerait un jour à devenir sexologue. C’est à travers ce métier qu’elle traite les problèmes liés à la sexualité de nombreux couples, notamment au sein de la population musulmane de France. Aujourd’hui, c’est dans son livre « La sexualité dévoilée » (Grasset, 2017) qu’elle raconte son parcours et son expérience professionnelle, sans tabous. Interview.



Nadia El Bouga : « L’éducation pour sortir les musulmans de l'analphabétisme sexuel »

Saphirnews : Pourquoi avoir choisi de vous exprimer maintenant dans un livre qui lie à la fois votre parcours biographique et votre expérience en tant que sage-femme et sexologue ?

Nadia El Bouga : J'ai éprouvé ce besoin de me présenter par politesse, c'est ce que je fais à toutes mes consultations dans un premier temps, je ne raconte pas ma vie, bien sûr. Mais une femme qui parle de sexualité, d'origine maghrébine, de confession musulmane et qui porte le voile..., je me suis dit que cela allait forcément interpeller dans le contexte français en particulier ; cela n'aurait peut-être pas étonné aux Etats-Unis, quoique...

Quand je rencontre des gens, je pose le cadre. C'est aussi ce que j'ai voulu faire avec mon livre : j'ai voulu posé le cadre pour que les gens comprennent. Je suis aujourd'hui sexologue, féministe et musulmane, mais je viens de quelque part. J'ai voulu expliquer d'où je viens, quel est mon parcours pour qu'on comprenne la cohérence de ce dont je vais parler.

J'ai écris ce livre pour plusieurs raisons. Je remarque de plus en plus, concernant les cas cliniques mais aussi sur le plan sociétal, quelque chose de très prégnant concernant la question de la sexualité. Pendant les événements des printemps arabes, on a vu le phénomène, sur la place Tahrir, des agressions de femmes : les femmes étaient là pour porter la voix d'un changement et elles se sont retrouvées victimes d'agressions, de harcèlements, de viols et personne n'a réagi. Il a fallu Cologne pour que les gens s'insurgent et se disent qu'il y a un problème dans la société arabo-musulmane.

En tant que sexologue et de confession musulmane, je me suis dit qu'il fallait vraiment que je prenne la parole parce qu’on aborde le problème sous un prisme qui n'est pas le bon. La problématique n'est pas spécifiquement arabo-musulmane, elle est mondiale. C'est tout cela qui m'a amenée à écrire ce livre.

C'est la série d'un travail que j'ai déjà entamé, avant ce livre, avec mon mari. Il est ingénieur et poursuit des études de théologie à la faculté islamique de Beyrouth. Notre travail s'attelle à la relecture des textes islamiques sur la question de la sexualité, de la relation hommes-femmes et du couple parce que les exégèses sont catastrophiques.

Devenir sexologue a-t-il été une vocation encouragée dans votre propre famille ?

Nadia El Bouga : Cela n'a pas été encouragé par ma famille car c'est vraiment un choix personnel. La voix que j'ai choisie, la sexologie, fait partie d'un parcours cohérent. Au fur et à mesure de mon exercice en tant que sage-femme, je me suis rendu compte des lacunes que l'on avait dans notre cursus médical parce que j'ai très vite pris conscience qu'en tant que sage-femme j'étais propulsée de fait dans la sexualité du couple que j'étais amenée à accompagner dans l'accueil de leur enfant. Ce sont plutôt les circonstances professionnelles qui ont fait que j'ai pris conscience de la nécessité de m'orienter vers la sexologie.

Mais, effectivement, quand on lit mon livre on voit que j'avais des prédispositions : très tôt, je me suis posé des questions sur les relations hommes-femmes. Je n'étais pas encouragée par ma famille au sens propre du terme ; en revanche, l'environnement dans lequel j'ai grandi a facilité les choses. D'ailleurs, cela n'a pas étonné ma famille quand je leur ai annoncé que j'allais me lancer dans trois années de diplôme interuniversitaire de sexologie. Il y a une cohérence professionnelle mais il y a une cohérence aussi dans mon parcours personnel.

Au sein de nombreuses familles musulmanes, la sexualité est un sujet tabou. Quels sont les ressorts autres que la « hchouma » (ou honte) qui mènent à ce constat ?

Nadia El Bouga : Effectivement, il y a cette sacro-sainte « hchouma » qui perdure, qui a toujours existé dans la tradition arabe. On la retrouve aussi dans la communauté juive séfarade et dans la communauté chrétienne. J'ai beaucoup d'amis libanais chrétiens et on retrouve la notion de « hchouma » chez eux également. Ce n'est pas quelque chose qui est lié à l'Islam, c'est quelque chose qui est lié à une tradition, à une culture.

L’élément qui explique vraiment cette pudibonderie, cette pruderie concernant la sexualité, c'est le rapport qu'on a au corps. Il n'y a pas d'éducation à la sexualité. Dans mon livre, je parle des personnes issues de la culture arabo-musulmane mais c'est valable également pour des personnes qui n'appartiennent pas à cette culture.

On retrouve la problématique qui est la suivante : une absence d'éducation à la sexualité. On ne parle pas du corps aux enfants quand ils sont très petits, c'est-à-dire que lorsqu'on nomme par exemple les parties du corps chez un enfant, arrivé au bas du tronc et en haut des cuisses, cette zone-là est inexistante. Dès le plus jeune âge, on leur envoie un message subliminal qui reste ancré dans l'inconscient. On ne nomme pas cette zone-là et comme elle n'est pas nommée elle n'existe pas. Et cela perdure.

On commence à parler de la sexualité à l'adolescence, mais c'est déjà trop tard. Enfin, rien n'est jamais trop tard, j'ai plutôt un discours positiviste. Mais, quand je dis que c'est trop tard, c'est qu'en tant que parent votre ado ne vous écoutera pas, vous n'êtes pas la bonne personne pour lui parler à ce moment-là. Si vous avez entamé le travail avant, oui, il vous écoutera à l’adolescence.

En revanche, si, du jour au lendemain, vous ne lui avez jamais parlé de sexualité et même de son corps et que là subitement vous vous rendez compte qu'il y a la pornographie, des risques possibles d'attouchements, d'agressions… et que vous vous dites « il faut vraiment que je protège mon ado », c'est déjà un peu trop tard, puisque les informations sont à donner bien en amont.

Si vous niez la génitalité, vous niez une grosse partie de la sexualité. Déjà, il faut bannir le mot « hchouma » de notre vocabulaire.

Vous évoquez divers cas de patients que vous recevez dans votre cabinet dans votre livre. Quels sont les cas qui reviennent le plus souvent ? De quelles façons les aidez-vous ?

Nadia El Bouga : Les cas qui reviennent le plus souvent sont le vaginisme et le manque de désir.

Concernant les troubles féminins, celui que je rencontre le plus dans mon cabinet est le vaginisme. Il est directement en lien avec l'appropriation corporelle : comment la personne se représente son corps, sa féminité, comment elle se représente son corps de femme, comment elle se perçoit en tant que femme, pour moi c'est complètement en lien.

Très souvent, des femmes instruites, parfois même des femmes qui sont dans le corps médical connaissent l'anatomie, mais sur papier. Quand on parle de leur anatomie, il y a un blocage. Il y a une distorsion cognitive qui se crée : elles savent dire intellectuellement comment est fait le sexe de la femme mais « moi, je ne suis pas faite comme ça et donc moi je ne peux pas être pénétrée ». Tout le travail est de pouvoir permettre à ces femmes de se réapproprier leur corps, d'érotiser leur vagin et de pouvoir leur permettre de réinvestir leur vagin, leur creux vaginal et de comprendre que lorsqu'elles sont pénétrées elles ne sont pas passives, mais sont dans l'accueil et quand on accueille on est active.

Cela se soigne très bien, malheureusement les femmes ne le savent pas, elles pensent que c'est une fatalité.

D'ailleurs, je reviens à l'islam : c'est problématique parce qu'il y a encore des exégèses qui préconisent de se séparer de sa femme sur critère de non-consommation du mariage. Je n'aime pas du tout ce terme-là mais ce sont des choses qui perdurent dans les pays arabes : on répudie des femmes parce que l'homme n'a pas pu aboutir à une pénétration.

Et pour les hommes ?

Nadia El Bouga : Pour les hommes, la problématique la plus rencontrée est l'éjaculation précoce, c'est exactement la même problématique (ndlr : que celle des femmes) mais différente.

Les hommes n'ont pas eu un apprentissage concernant leur corps, lié à une représentation de la sexualité plutôt sensuelle, érotique avec cette notion de prendre son temps avec sa partenaire. Ils ont été dans un apprentissage pornographique, c'est-à-dire l'injonction de la performance, il faut que je sois le plus pénétrant possible, le plus rapidement possible, que je puisse avoir une érection le plus vite possible et on est dans cette course sans fin de la performance.

C'est le contrecoup de la révolution sexuelle, c'est le phénomène post-révolution sexuelle : on a peut-être libéré la parole mais on n'a pas libéré les corps contrairement à ce qu'on dit, on les a plutôt enfermés dans des injonctions.

Ce qui est très positif, c'est que maintenant les hommes osent venir consulter en consultation sexologique parce qu'ils ont envie de vivre une sexualité épanouie à deux, ils ne veulent pas juste jouir rapidement de leur côté et passer à autre chose.

Pourrait-on parler d'analphabétisme sexuel chez nombre de musulman-e-s, de la même façon qu'ils ne lisent pas leurs textes fondateurs de l'islam, ils ne connaissent pas leurs corps et les possibilités d'épanouissement et de désir qu'ils-elles peuvent puiser en eux ?

Nadia El Bouga : Complètement ! Je souscris complètement à ce terme. C'est un terme que j'ai déjà utilisé. Les gens ne savent pas décrypter la sexualité et il faut leur réapprendre. C'est l'objectif de l'éducation à la sexualité, de pouvoir réinscrire ou inscrire simplement les gens pour les sortir de cet analphabétisme sexuel.

Vous évoquez peu la problématique du harcèlement et du viol dans votre livre, pour quelles raisons ?

Nadia El Bouga : Ce n'est pas un sujet qu'on peut survoler, cela demande un livre complet. D'ailleurs, c'est un sujet qui me tient à cœur. On le voit dans l'actualité le nombre de femme qui sont victimes d'agressions, de viols, de harcèlements sexuels sont légion. J'ai voulu dans ce livre introductif questionner sur le sens d'une sexualité épanouie, donner les outils pour y venir.

Je parle de viol conjugal dans mon ouvrage, j'explique que malheureusement dans notre culture on pousse au viol conjugal parce qu'on ne le reconnaît pas. Le viol conjugal n'est pas reconnu par les exégèses. Une femme, à partir du moment où elle se marie, il faudrait qu'elle soit l'objet sexuel de son mari et qu'elle assouvisse ses désirs et son plaisir. Or, c'est faux. C'est une mauvaise compréhension des textes scripturaires et des hadiths.

C'est complètement antinomique avec cette question de sexualité qui serait une adoration. C'est pour cela que je n'ai parlé que du viol conjugal à travers le contexte marocain, je cite le projet de loi de lutte contre les violences faites aux femmes qui avait été voté, la loi n'est toujours pas passée d’ailleurs.

Ce ne sont pas des sujets qu'on peut prendre à la légère, à évoquer en un chapitre rapidement, ils méritent un livre complet.






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