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Culture & Médias

Marc Cheb Sun : « La clé, c’est la pluralité »

« 100 % Juifs de France » : le nouveau Respect mag

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 20 Novembre 2012 à 00:00

           

Le dernier numéro du magazine « Respect Mag » titré « 100 % Juifs de France », dans les kiosques depuis le 16 octobre, annonce la couleur. Histoire, cultures, politique, religion, tendances : toutes les facettes des Juifs de France sont décortiquées dans ce numéro spécial. En tout, 90 pages témoignent de la diversité de la communauté juive. Mais dans quel but ? Marc Cheb Sun, le directeur de la rédaction et fondateur de « Respect Mag » répond à nos questions*.



Marc Cheb Sun, le directeur de la rédaction de Respect mag.
Marc Cheb Sun, le directeur de la rédaction de Respect mag.

Saphirnews : Vous avez décidé de consacrer votre dernier numéro aux juifs de France. J’imagine que cela entre dans la continuité de votre magazine « Respect Mag » après la sortie d’un numéro spécial « Musulmans de France » et un autre sur les « Noirs de France » ?

Marc Cheb Sun : Oui, nous avons fait un numéro sur les musulmans de France, les Noirs de France et les Asiatiques de France. Celui sur les juifs de France est le dernier volet de la série.

Vous ne sortirez-donc plus de numéros spéciaux sur des communautés ?

Marc Cheb Sun : Non, à priori les numéros « des 100 % » sont terminés. Nous allons reprendre nos thèmes comme le sport ou l’éducation, en tenant compte des différentes composantes qui les traversent.

La sortie du numéro consacré aux juifs intervient dans un contexte particulier alors que François Hollande vient d’annoncer que la lutte contre l’antisémitisme était une cause nationale. Depuis quand le magazine était programmé ?

Marc Cheb Sun : Depuis six mois, il nous a d’ailleurs fallu six mois de travail pour le réaliser.

Quel est son premier objectif ?

Marc Cheb Sun : Il a le même objectif que les précédents numéros de la série. C’est entrer dans une spécificité pour s’adresser à tous et comprendre ce qui nous relie. Le but est de comprendre nos différences et nos ressemblances, ce que nous partageons et ce qui nous différencie. La différence n’est pas un problème en soi, à mon sens, c’est une richesse. Mais le contexte et la méconnaissance font des différences des problèmes.

Justement, dans ce numéro consacré aux juifs, vous vous attachez à montrer la grande diversité de cette communauté.

Marc Cheb Sun : Oui, elle est très diverse. Déjà dans l’aspect religieux, cela va de l’athéisme à des formes de fondamentalismes, en passant par une pratique classique. La composante juive est d’une vraie pluralité comme toutes les autres composantes d’ailleurs mais les stéréotypes prennent le dessus. Le juif n’existe pas. Nous sommes tous faits de complexité.

Couverture du Respect Mag : 100 % Juifs de France.
Couverture du Respect Mag : 100 % Juifs de France.

Mais en quoi était-ce important de parler de cette communauté en particulier ?

Marc Cheb Sun : Dans la France métissée, on oublie souvent cette composante qui est pourtant très importante. En effet, elle incarne la première expérience diasporique. Elle s’inscrit dans la République avec toutes ses différences. Elle a connu le rejet, le racisme et la discrimination, très brutale, car des métiers étaient interdits aux juifs. Elle a également eu des relations compliquées avec la laïcité. Comprendre cette expérience nous permet d’apprendre sur les autres composantes. On aurait tort de s’en priver. Il faut comprendre que la question des minorités n’est pas une question mineure. Nous sommes dans une société métissée, de par son histoire, migratoire, coloniale et esclavagiste. Comprendre l’apport de la minorité, c’est comprendre toute la société. Il faut connaître son histoire.

Selon vous, celle des juifs est peu connue ?

Marc Cheb Sun : Oui, très peu. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’histoire de la Shoah est très mal connue alors qu’elle est essentielle à connaître. Mais, en même temps, l’identité juive ne se résume pas à la Shoah, cette période si marquante soit-elle. L’identité juive commence avant et après. L’apport des juifs de France est intéressant pour comprendre les autres composantes. Il est riche d’enseignements.

Comment cette composante s’est-elle inscrite en France ?

Marc Cheb Sun : Elle a des réussites comme on le voit avec une composante qui a réussi son inscription dans la société mais aussi des ratés avec des stéréotypes sur les juifs qui restent puissants comme le fait de leur attribuer l’argent et le pouvoir. Elle a toutes ces contradictions car l’inscription sociétale et historique n’est jamais que positive. Elle voyage entre les deux. On parle d’intégration, d’assimilation ou encore de diversité.

Quel est votre avis sur la question ?

Marc Cheb Sun : Je suis pour parler au-delà des mots et des concepts qui enferment. L’intégration qui est la négation de toute spécificité est un projet pauvre. Je ne crois pas non plus à l’assimilation et au communautarisme. Il y a des modèles à inventer. On trouve des expériences de réussite en Angleterre, en Afrique du Sud ou au Canada. La question du vivre-ensemble n’est pas seulement débattue dans le monde occidental, elle est par exemple discutée au Sénégal. Mais beaucoup de pays font l’impasse sur ce sujet.

A quels pays pensez-vous ?

Marc Cheb Sun : Au pays du Maghreb. La question de la pluralité ne se pose pas. C’est un impensé, un non-sujet, comme on peut le voir avec le tabou sur la traite négrière.

Dans « 100 % Juifs de France », vous parlez évidemment du conflit israélo-palestinien. Vous soulignez surtout le fait que ce conflit est trop souvent traité de manière manichéenne.

Marc Cheb Sun : Oui, c’est un sujet très important mais c’est un sujet parmi d’autres. Nous avons soigneusement choisi des interlocuteurs pour en parler. Des interlocuteurs très différents comme le rappeur Médine, Pascal Boniface (directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, ndlr) ou le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Richard Prasquier, qui ont des positionnements très éloignés. Mais il y a un point sur lequel tous s’accordent : sur l’effort de traitement complexe de ce conflit. Sinon, il n’y a plus de dialogue.

Vous sortez de la France pour traiter notamment des juifs éthiopiens d’Israël, victimes de discriminations. C’était important pour vous de parler de ce sujet pas forcément bien connu ?

Marc Cheb Sun : Oui, c’est une question peu connue. Nous parlons des populations noires qui vivent en Israël. Il y a les Ethiopiens juifs, qui aspirent à être reconnus comme des citoyens juifs à part entière, les immigrés africains, réfugiés économiques ou politiques qui se battent pour leurs droits de migrants et les Afro-Palestiniens qui sont engagés dans le combat palestinien avec leurs spécificités. Ces différentes populations noires ont des aspirations différentes mais ont pour point commun d’être victimes de discriminations raciales.

Au final, que faut-il retenir de ce numéro ?

Marc Cheb Sun : Je ferais un parallèle avec les autres diasporas comme avec les Noirs de France. On ne peut pas résumer l’identité juive à la Shoah comme on ne peut pas résumer l’identité des Noirs à l’esclavage. Ce serait donner raison aux criminels. La clé, c’est la pluralité. Il y a pluralité dans chaque composante et même dans chaque individu. La société est plurielle.

* Propos recueillis le 14 octobre 2012.





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