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Points de vue

Les musulmans doivent rompre avec la logique identitaire pour se plonger dans les luttes sociales

Rédigé par Louis Alidovitch | Mardi 5 Avril 2016 à 12:05

           


Les musulmans doivent rompre avec la logique identitaire pour se plonger dans les luttes sociales
La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes déclenchait fin mars la polémique en assimilant les femmes voilées aux « nègres américains pour l'esclavage ». Au-delà de la « faute de langage », Rossignol décrit les femmes musulmanes comme prisonnières consentantes d’une religion oppressante. Les réactions au sein de la communauté musulmane n’ont pas manqué. Ainsi, sur les réseaux sociaux, les envolées lyriques traitant Florence Rossignol de noms d’oiseaux se multiplient. Les leaders d’opinion de la communauté musulmane montent au créneau et s’indignent tour à tour des propos de la ministre.

Cependant, aucun ne s’interroge sur le timing de cette sortie médiatique. Alors que la colère gronde à l’encontre du projet de loi El Khomri, que les rangs de la mobilisation grossissent et qu’un grand mouvement social semble se mettre en marche, c’est la laïcité qui focalisera l’attention de l’opinion publique au détriment de la question sociale. Et par leurs réactions, les musulmans risquent de faciliter la tâche du gouvernement.

Dans ce brouillard identitaire, qui provoque la réaction de l'autre ?

Les discours sur un ordre républicain fondé sur une laïcité offensive se multiplient depuis quelques années. Affirmant répondre à un communautarisme tout aussi offensif, les néo-républicanistes voient de l’islamisme dans toute expression de foi.

S’il est vrai que nombre de musulmans peuvent adopter une pratique identitaire, certains réduisent l’ensemble des citoyens de confession musulmane aux quelques communautaristes zélés. D’aucuns ne s’interrogent sur les racines de cette tendance à la lecture littéraliste et à une pratique très expressive. Car, comme le dit Valls, expliquer ce serait justifier.

Pourtant, l’affirmation systématique d’une certaine laïcité, devenant parfois une bouée identitaire, entraîne chez des musulmans une réaction de repli identitaire pouvant paraître, à leurs yeux, légitime. Et alors que l’Etat ne produit plus de solidarité et laisse à l’esprit capitaliste le soin d’éduquer nos enfants afin de les conformer aux exigences du business, la communauté musulmane représente pour certains le seul lien social. Dès lors, dans ce brouillard identitaire, on ne sait plus qui du communautariste et du néo-républicaniste provoque la réaction de l’autre. La spirale est lancée et il s’agit surtout d’en sortir.

C’est ce que prétend vouloir le Printemps Républicain. Ce mouvement informel, né sur les réseaux sociaux sous l’impulsion de l’universitaire Laurent Bouvet, prétend se démarquer de l’extrême droite, qui fait de l’islam la source de tous les problèmes, et de l’extrême gauche, qui empêche toutes dénonciations de communautarisme en brandissant l’accusation d’islamophobie.

Dans les faits, le Printemps Républicain voit du communautarisme partout. Très rapidement, le PR a apporté son soutien à la « philosophe féministe » Elisabeth Badinter, qui revendiquait le droit à être islamophobe. Elle précisait que le relativisme culturel prôné par la gauche depuis plus de 30 ans empêchait de prendre conscience de la montée de l’islamisme radical en France. Il en a été de même avec Laurence Rossignol. Dans un communiqué sur Facebook, le PR regrettait l’utilisation du mot « nègre » tout en soulignant le propos juste et courageux, sur le fond, de la ministre.

Les excès des uns alimentent les excès des autres

Si les néo-républicanistes alimentent les peurs, ils ont face à eux de très bons « sparring-partners », des partenaires de combat de choix. En effet, la majorité des leaders d’opinion musulmans, actifs sur les réseaux sociaux, managent leur « followers » à coup d’indignation et de discours islamo-centrés (entendez par là, des discours portant uniquement sur les questions communautaires : Palestine, Erdogan, hijab, nourriture halal, islamophobie...). Les excès des uns alimentent les excès des autres et on ne sait plus trop qui a commencé. Ainsi, deux camps s’emparent des débats publics, prennent en otage l’opinion publique et écrasent les questions sociales.

Et là se trouve le piège. En réagissant émotionnellement aux attaques subies, certains musulmans font le jeu des accusateurs. Car, ne nous y trompons pas. Il s’agit, pour les politiques, de détourner l’attention de l’opinion publique d’un mouvement pouvant s’inscrire dans ce qui s’est passé en Espagne avec Les Indignés. Rappelons que ce grand mouvement populaire a abouti à un réel changement du paysage politique en Espagne.

Les musulmans doivent rompre avec la logique identitaire pour se plonger dans les luttes sociales

Ne pas répondre aux attaques répétées des néo-républicanistes

Depuis plus de 30 ans, le libéralisme poursuit la marchandisation étape par étape, de tous les pans de notre société, de la santé à l’éducation en passant par le sport et la famille. Sous l’impulsion d’une mondialisation à deux vitesses, une grande partie des Français, de toutes confessions, voient leur situation se fragiliser. Alors que de nombreux musulmans font partie de ces gens ordinaires que Orwell décrit comme ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer, et qu’ils devraient être au premier rang de la critique radicale du capitalisme en pleine émergence, certains préfèrent se focaliser sur les pratiques et revendications d’ordre communautaire et occultent totalement la dimension sociale.

Ce type de posture produit une fracture entre des individus appartenant à la même classe sociale, ayant en réalité les mêmes soucis, ceux de finir les fins de mois, de bien élever leurs enfants et de vivre en paix. Et c’est ce type de fracture identitaire qu’exploitent sans vergogne cette nouvelle vague d’intellectuels, d’universitaires et de journalistes (toujours issus des classes bourgeoises). Zemmour, Finkelkraut, Bouvet et consorts alimentent les peurs en désignant les musulmans « trop pratiquants » comme des islamistes voulant imposer leur mode de vie et étant de potentiels dangers terroristes. Répondre aux attaques répétées des néo-républicanistes ne fera, aux yeux de l’opinion publique, que valider l’idée que les musulmans représentent un groupe spécifique avec des préoccupations et des intérêts différents de ceux de nos concitoyens.

Voilà pourquoi les leaders d’opinion musulmans portent aujourd’hui une grande responsabilité. Il se peut que nous vivions un moment historique. Il est temps que les musulmans soient à la hauteur de leur héritage spirituel et qu’ils renouent avec l’objectif primordial de l’islam, à savoir la recherche de justice sociale. Face à la montée de l’islamophobie, c’est par leur engagement au quotidien dans les combats communs que les musulmans normaliseront leur présence.

*****
Louis Alidovitch est écrivain, auteur de l'essai La Barbe qui cache la forêt (Editions Thésée, 2015).





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par zakia le 05/04/2016 12:51 | Alerter
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M. alidovitch prétend reconnaître dans "notre réaction" aux propos de Mme rossignol un repli sur nous même et pensent savoir que nous ne sommes pas assez présents dans le champ social. je ne connais ni le parcours ni les liens sociaux que m. alidovitch a tissé et c'est une grosse erreur que de prétendre connaître tout cela de "nous"
M. alidovitch, je vous rappelle que les femmes et voilées sont les premières victimes de l'islamophobie en France qu'elle soit individuelle ou institutionnelle, qu'après le discours de m. valls sur le voile et le combat de la république, il y a eu une vague de violence contre les femmes voilées qui n'a emu presque personne en dehors de ladite communauté musulmanne.
Nous nous défendons nous même n'en déplaisent à ceux qui voudraient qu'on les tiennent par la mains pour qu'ils nous guident vers la lumière civilisationnelle. Nous n'avons pas besoin de leçon pour nous apprendre comment réagir à des insultes qui non seulement remettent en cause notre légitimité dans cette société mais aussi qui nous mettent en danger physique direct.
Il y a 30 ans on nous reprochait de ne pas réagir aux insultes des media par courrier des lecteurs, aujourd'hui on nous reproche de faire le jeu des agresseurs en réagissant!
Une victime est une victime et l' agresseur reste l'agresseur. Pourquoi dès qu'il s'agit des femmes on brouille volontairement cette barrière. "Elle l'aurait pas un peu cherché?" ferait bien l'affaire pour le titre de votre texte....  

2.Posté par Hamza le 05/04/2016 17:38 | Alerter
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Limpide et juste ! Effectivement, les musulmans ne se soulèvent que pour des problèmes "internes". Les manifestations pour la Palestine font foules tandis que peu de musulmans s'indignent face aux problèmes sociaux. Et dans leur élan démagogue, les leaders d'opinions ne se lèvent qu'aux moments opportuns... Bravo pour cet article !

3.Posté par air le 08/04/2016 08:37 | Alerter
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Soulignons aussi que la dernière polémique à raz le caniveau créée de toute pièce a été lancée par Laurence Rossignol "comme par hasard" le jour où le Hollande a retiré la déchéance de nationalité de la réforme constitutionnelle. Il fallait bien que le gouvernement console les xénophobes à travers sa com enfumeuse.

4.Posté par air le 08/04/2016 08:49 | Alerter
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Ca fait longtemps que je regrette qu'en parallèle de leurs revendications propres, les musulmans ne soient pas assez impliqués dans un engagement social et citoyen au quotidien. En parallèle du racolage politicien hypocrite et cynique, dans la rue combien de "musulmans" salissent l'image que le non musulman peut avoir d'eux, et combien sont enthousiastes pour profiter des largesses matérielles de cette société sans rien fournir en échange.

5.Posté par Melen le 10/04/2016 19:58 | Alerter
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Le terme islamophobe est un terme qui indique une pathologie. S'ils sont malades qu'ils se soignent. Qu'ils fassent savoir leur pathologie n'interesse personne. Et si c'est un état qui leur convient et qu'ils revendiquent encore moins.
C'est un terme grotesque et en etre fier plus encore. L'islam est un livre. Comment pourrait-on avoir peur d'un livre. Sans musulman l'islam n'existe pas.
Islamo critique aurait du sens, mais islamophobe certainement pas. Avoir peur de ceux qui le pratique pourrait aussi avoir du sens à la limite.
S'ils sont identitaires et non spirituels, s'ils sont trop bondieusard......
Bref pour des tas de raisons. On peut ne pas apprécier la compagnie d'un croyant. Ou de tout autre idéologue.
Le terme islamophobie a été choisi pour désigner une critique saine de l'islam. Or étymologiquement ça ne veut pas dire ça. C'est un peu utiliser le mot camembert pour parler du gruyère. Le terme qui conviendrait le mieux est islamo critique.
Critique n'ayant pas un sens forcément négativement. Un critique commente de son point de vue positivement et négativement ce qu'on lui soumet.
Le problème du terme islamophobie c'est non seulement qu'on ne lui donne pas le sens qu'il a étymologiquement mais aussi qu'il est utilisé pour exprimer exclusivement du négatif.
Critiquer l'islam n'est pas une critique de ceux qui le pratique. Ils en sont les victimes. C'est la phrase qui résume le mieux un islamophobe il me semble.
Il n'est pas un critique mais est exclusivement négati...  

6.Posté par Melen le 13/04/2016 18:09 | Alerter
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Les musulmans n'ont comme représentant que le CFCM. A savoir l'islam.
Leur état est musulman et rien d'autre.
Ce qu'il manque aux musulmans c'est d'etre présentés autrement que comme étant musulmans.
Le CFCM qui ne représente que lui meme leur fait plus de mal que de bien.


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