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Points de vue

Face à la négation des droits des femmes voilées, où sont les féministes ?

Rédigé par Mahrukh Arif | Vendredi 1 Avril 2016 à 09:00

           


Face à la négation des droits des femmes voilées, où sont les féministes ?
Etre voilée, lorsqu'on est musulmane en France, n’est pas facile. Au-delà des regards désagréables dans les transports en commun au quotidien, les idées reçues et les articles fustigeant les femmes voilées en les assimilant à des êtres inférieurs, soumis et non réfléchis au quotidien finissent par exaspérer.

A toutes ces personnes qui ne portent pas le voile et qui ne le comprennent pas, les femmes voilées n’ont pas besoin de vos plaidoyers ou de vos leçons d’Histoire. Ces femmes n’ont pas besoin de votre sympathie, elles ont simplement besoin que vous respectiez leur choix sans créer à chaque fois de fausses polémiques. Laissons-les s’exprimer au lieu de constamment les juger et chercher à comprendre leur choix à travers des intermédiaires.

Nous sommes conscientes que des femmes sont forcées à porter le voile. En tant que femme voilée, je maintiens que l’imposition du voile n’est pas acceptable, ni humainement, ni religieusement. Le Coran mentionne qu’« il n’y a pas de contrainte en matière de religion » ; le Prophète Muhammad a enseigné aux musulmans de ne pas être « extrêmes » en matière de foi et d’adopter un juste milieu.

Une vision inquiétante de la femme

Lorsque Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, accuse les entreprises produisant des vêtements islamiques de faire « la promotion de l’enfermement du corps des femmes », qu’est-ce que cela veut dire ? Doit-on considérer que les droits de la femme résident simplement à l’exposition du corps ? Que si certaines femmes choisissent délibérément, par simple pudeur ou principe quelconque, de ne pas exposer leurs corps, qu’elles soient soumises ou « socialement irresponsables » ? En tant que femme, j’estime que ses propos sont outranciers. A travers ses propos, elle livre une vision inquiétante de la femme et entache la cause féministe pour laquelle des personnalités comme Simone de Beauvoir et Christine Delphy ont lutté.

Pour Laurence Rossignol, une femme émancipée et socialement responsable est une femme qui non seulement expose son corps mais a aussi le « courage » de juger celles qui estiment que la beauté d’une femme ne se limite pas à un corps. Pour les femmes musulmanes, le voile n’est certainement pas un signe de soumission à l’homme. En islam, homme comme femme sont soumis qu’à une seule entité : Dieu. Il n’y a donc pas de hiérarchie ni de rapport de supériorité. Il ne s’agit pas non plus de « cacher » sa beauté puisque, encore une fois, dans la religion islamique, la beauté d’une femme – et celle de l’homme d’ailleurs – réside dans sa piété, sa capacité à faire le bien et à condamner le mal.

Simone de Beauvoir
Simone de Beauvoir

La vraie lutte féministe n'est pas terminée

Etudiante, je me rappelle d'avoir fait la découverte du mouvement féministe en classes préparatoires littéraires, lorsque nous avions Le Deuxième Sexe au programme de culture générale. Je mentionne ici Simone de Beauvoir puisque Laurence Rossignol a comparé les femmes musulmanes qui choisissent de porter le voile à des « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ». Un véritable paradoxe dans son affirmation doublée, bien qu’elle s’en soit excusée, de son utilisation déplorable du mot « nègre ».

Il est intéressant de remarquer cependant que Simone de Beauvoir compare la condition de la femme à celles des Noirs dans son ouvrage. Dans un papier, Yasmina Zian, historienne et chercheure rattachée à l’université de Berlin, explicite cette comparaison : « Dans les discours coloniaux, le Noir était souvent associé à l’enfant et au sauvage. Il est déshumanisé par l’animalité que le colon voit en lui. Bien "dompté", il est inoffensif. Bien "dompté", le "bon Noir à l’âme inconsciente, enfantine, rieuse" est comparable comme l’écrivait Simone de Beauvoir à la femme "frivole, puérile, irresponsable". »

Les propos de Laurence Rossignol nous permettent de comprendre que la vraie lutte féministe pour laquelle Simone de Beauvoir a longtemps lutté n’est pas terminée. Pour Christine Delphy, sociologue, chercheure au CNRS et cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) avec Simone de Beauvoir, l’attitude française à l’encontre du voile et des femmes musulmanes est répréhensible et est devenu un outil d’instrumentalisation politique. Elle estime que le débat sur le voile islamique (la « voilophobie ») est à rattacher plus globalement à un phénomène social d’islamophobie.

Les féministes – femmes et hommes – doivent aujourd'hui dénoncer ces propos abjects et réducteurs. Les femmes musulmanes voilées se doivent aussi de partager leurs expériences et d'affirmer leur liberté avec fierté sans constamment passer par des intermédiaires. Il est important aujourd’hui, plus que jamais, de déconstruire ces constructions sociales et mythes autour de la femme voilée comme un sous-être soumis, sans finesse et sans ambition. Il est important d’en finir avec ce discours autour du « militantisme » des femmes voilées. Le voile islamique, dans son essence, n’est ni militant ni politique – il s’agit d’une étape dans la vie spirituelle d’une musulmane qui résulte d’un choix – ; une femme musulmane est libre de franchir cette étape ou de ne pas la franchir et nul (homme ou femme) ne peut la lui imposer.

Les femmes voilées, qui sont des citoyennes françaises à part entière, vivent dans un pays libre où le droit de porter le voile ne peut plus, au XXIe siècle, laisser libre cours à des propos aussi choquants que ceux de Laurence Rossignol. Jusque quand va-t-on tolérer cette intolérance ?

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Mahrukh Arif est étudiante en master à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).






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