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Points de vue

Le prisonnier du Secours Islamique nous parle de l'Iraq

Rédigé par Osman Entretien avec Mostapha | Jeudi 15 Mai 2003 à 00:00

           

Un convoi du Secours Islamique est parti ce mercredi 14 mai 2003 pour l'Iraq. Il est conduit par Rachid LAHLOU, directeur du Secours Islamique France ainsi que par Mostapha Osman, Chef du Programme d’Aide d’urgence d’Islamic Relief (Secours Islamique à travers le monde). Mostapha Osman était l'un des membres dont nous n'avions plus de nouvelles lors de la guerre et qui avaient étés emprisonnés par les autorités iraquiennes. Vous trouverez ci-dessous l'interview qu'il a livré au Secours Islamique.



Un convoi du Secours Islamique est parti ce mercredi 14 mai 2003 pour l'Iraq. Il est conduit par Rachid LAHLOU, directeur du Secours Islamique France ainsi que par Mostapha Osman,  Chef du Programme d’Aide d’urgence d’Islamic Relief (Secours Islamique à travers le monde). Mostapha Osman était l'un des membres dont nous n'avions plus de nouvelles lors de la guerre et qui avaient étés emprisonnés par les autorités iraquiennes. Vous trouverez ci-dessous l'interview qu'il a livré au Secours Islamique.

Alors que la guerre faisait rage, les autorités irakiennes ont arrêté de nombreux étrangers. Moustafa Osman, Chef du Programme d’Aide d’urgence d’Islamic Relief (Secours Islamique à travers le monde) a été retenu seize jours et interrogé sous la torture. De retour sain et sauf en Angleterre, il raconte son expérience alors qu’il prépare son retour vers l’Irak avec un convoi d’aide humanitaire.

 

Depuis combien de temps êtes-vous un travailleur humanitaire ?

 

Je suis travailleur humanitaire depuis onze ans maintenant. J’ai d’abord travaillé dans les Droits de l’homme dans mon pays d’origine l’Egypte. Je me suis alors orienté vers le travail d’aide humanitaire pour étudier les violations des droits de l’homme en Bosnie. Depuis, j’ai travaillé dans de nombreuses zones de guerre comme en Tchétchénie et au Kosovo. Mais mon expérience en Iraq a été unique.

J’aime m’impliquer, me rapprocher des gens qui souffrent mentalement, physiquement et émotionnellement. Pour moi, c’est toute l’histoire du travail humanitaire.

 

 Pourquoi étiez-vous en Iraq ?

 

Je suis allé en Iraq cinq fois. La première fois en 1997 et 1998 pour mettre en place des projets d’aide d’urgence. J’y suis retourné trois fois pour négocier avec le gouvernement l’ouverture d’un bureau d’Islamic Relief (Secours Islamique) et pour commencer des opérations à long terme.

L’objectif de cette dernière visite était d’établir une opération d’aide d’urgence en Iraq, installer un bureau, et recruter et former un personnel capable d’aider les personnes victimes de la guerre.

« Tout le monde priait pendant que les bombes tombaient, et les photos accrochées aux murs se fracassaient sur le sol. C’était terrifiant. »

Quelle était la situation à Bagdad ?

La guerre a éclaté à l’aube du 19 mars avec ce qui semblait être des bombardements intenses. J’ai réalisé ensuite que c’était très, très léger par rapport à ce qui nous attendait ! Chaque jour les bombardements commençaient à environ 6 heures du matin ; puis cela devenait plus tranquille dans la journée. Et ensuite, cela recommençait, après 7 heures du matin chaque jour, toutes les trois heures. Nous ne pouvions donc pas dormir et les bombardements devenaient de plus en plus lourd, jusqu’au 21 où c’était vraiment l’enfer.

Pouviez-vous poursuivre votre travail durant les jours de bombardements ?

Il n’y avait pas d’électricité à ce moment et les bombardements continuaient jour et nuit. Nos mouvements étaient très restreints, mais nous avons tout de même poursuivis la gestion de l’aide en faveur de la population irakienne en prenant en charge le transport des produits d’aide du Croissant Rouge Iraquien dans quinze gouvernorats différents.

Nous avons aussi commencé à travailler pour obtenir trois matériels mobiles de purification et de traitement de l’eau, contactant des fournisseurs et projetant leur installation dans un certain nombre de puits. J’ai senti que je faisais quelque chose.

“Ils nous ont donné un numéro – ils l’ont écris sur nos bras, nous étions alors appelés par ce numéro. J’étais le 292.”

Que s’est-il passé lorsque vous avez été arrêté ?

Cela s’est passé le 27 mars. Nous étions en train de travailler dans notre bureau à l’hôtel Al Abraj. Nous écrivions des rapports lorsque cinq hommes sont entrés dans la pièce. Ils étaient tous habillés en noir et avaient une allure de dureté. Ils nous ont demandés d’éteindre nos ordinateurs, et ont attachés nos mains derrière le dos. J’ai essayé de leur expliquer qu’il y avait certainement un malentendu, que nous étions enregistrés auprès du gouvernement, mais ils n’ont rien voulu savoir.

Ils nous ont emmenés à la prison Abu Gharaib. Ils nous ont demandé de nous agenouiller face au mur et de ne pas parler ensemble. Dans la chambre d’interrogatoire il y avait cinq ou six hommes agressifs armés de pistolets, de bâtons et de longs tuyaux d’arrosage. Ils avaient tout notre équipement : nos ordinateurs portables, notre appareil photos numérique etc. - ils ont commencé alors à nous battre.

“Ils nous ont battu parce qu’ils pensaient que nous étions en train de cacher quelque chose. Nous avons été torturés pendant cinq jours... Les bombes tombaient dehors, et nous étions enfermés dans nos cellules. Si nous avions été touchés, nous aurions tous péris ”

Le cinquième jour ils m’ont durement battu et m’ont dit qu’ils allaient me tuer. Ils m’ont torturé jusqu’à ce que je sois tombé évanoui ; ils ont cru que j’allais mourir. Lorsqu’ils m’ont ramenés dans ma cellule, j’y suis resté couché pendant des jours, couvert de blessures très sévères au dos. Dieu merci ils m’ont laissé seul pendant ce temps.

Dans la nuit du cinquième jour, nous avons été transférés à la prison de Faluja, c’était une petite prison répugnante, sans lumière. Ils ont entassés avec nous plus de 200 personnes avec un seul cabinet de toilettes et un seul robinet d’eau. Je ne peux vous décrire la puanteur, la poussière et le manque de nourriture et d’eau. Nous avons été privés de nourriture pendant quelques jours parce qu’il n’y avait rien seulement un tout petit morceau de pain pour chacun et pour tenir toute une journée.

Comment avez-vous géré la situation et êtes-vous resté calme durant tout ce temps ?

Nous avons réalisé que nous n’avions pas le contrôle de la situation, donc la seule chose que nous pouvions faire était de développer une stratégie de survie. Nous avons décidé par exemple de ne pas manger davantage même s’il y avait assez de nourriture parce que nous devions faire une queue de 45 minutes uniquement pour aller aux toilettes ou pour avoir un verre d’eau. Bien sûr, j’ai fait beaucoup de prières ; c’est un véritable test de votre foi.

Comment êtes-vous sorti de prison ?

Après cinq jours à Faluja, ils nous ont déplacés à la prison de transfert Ramadi. Là ils ont entassé 80 d’entre nous dans une toute petite cellule, sans espace pour bouger. Nous avions un petit morceau de pain avec un petit concombre chacun pour les deux jours où nous étions là. Mais cette fois-ci, certains prisonniers sont tombés très malades ; deux hommes âgés en particulier semblaient être proches de la mort. Je crois que la chaîne de commandement tombait elle aussi de son côté et ils ne voulaient prendre aucune responsabilité vis-à-vis de nous. Les gardes nous ont fait monter dans des bus et nous ont transportés au centre de la ville de Ramadi où nous avons été finalement relâchés le 11 avril.

Revenons sur la situation actuelle en Iraq. Quels sont vos plans pour cette mission ?

Un convoi d’aide humanitaire du Secours Islamique va quitter Amman en Jordanie le lundi 12 mai 2003. Nous allons apporter de la nourriture, des médicaments, des kits d’urgence médicaux, quelques tentes, des couvertures, des ustensiles de cuisine et des packs d’hygiène. Une fois nos produits d’aide dans notre dépôt à Bagdad, nous pourrons commencer la distribution dans les hôpitaux et aux personnes dans le besoin.

Nous allons aussi poursuivre nos évaluations en cours des hôpitaux, des centres de santé et des installations de traitement de l’eau afin que nous puissions commencer les programmes de réhabilitation et de reconstruction.

Pour finir, quels sont vos sentiments aujourd’hui envers la population iraquienne ?

Je les aime. J’ai connu des moments très difficiles mais ils m’ont permis de me rendre bien compte des difficultés auxquelles la population iraquienne fait face, une population qui se trouve en ce moment sans électricité, sans eau ni assistance médicale.

En tant que travailleurs humanitaires nous devons faire notre travail, et ce travail consiste à aider à atténuer la pauvreté et les souffrances. Dans les régions de conflits et de désastres, nous nous attendons à une situation difficile mais nous essayons toujours d’aider du mieux que nous pouvons et avec les moyens que nous avons. Et nous aidons les populations sans distinction de race ou de religion, sans tenir compte non plus de la situation politique.

Il y a des Iraquiens qui ont tout perdus dans ce dernier conflit. Ce sont ces personnes qui méritent notre attention et notre soutien. Ils ont besoin de notre aide pour commencer à reconstruire leur vie anéantie. Je me consacre toujours autant si ce n’est plus à les aider et c’est la raison pour laquelle je retourne en Iraq.

Par exemple, la relation que j’ai avec ma filleule est une relation d’amour, oui, une relation d’amour, de respect. Et je sais qu’elle m’aime. Pourtant on ne se connaît pas. Dieu a ce pouvoir de faire aimer des personnes qui ne se connaissent pas. Je crois fortement à la chaîne de l’amour qui s’établit, une relation de liens d’amour. Je suis très mystique et je crois en l’amour de Dieu, créateur de l’univers. Il y a un plus qui se crée. On s’écrit, on se raconte notre intimité, notre affection. Il y a l’argent bien sûr, le côté « technique », mais on est bien obligé de vivre ! Mais il y a aussi le spirituel ; l’important c’est l’amour et l’aide qu’on peut apporter.


Photo et propos publiés avec l'aimable autorisation du Secours Islamique (www.Secours-Islamique.org)





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