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Points de vue

Le droit musulman pionnier de la lutte anti-corruption

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Lundi 31 Décembre 2012 à 00:00

           


 Le droit musulman pionnier de la lutte anti-corruption
L’ONG Transparency International a publié, le 5 décembre, son rapport annuel sur la perception de la corruption.

Les pays du Printemps arabe, déstabilisés, chutent : la Tunisie perd deux places (75e sur 174) ; l’Egypte, six (118e) ; et la Syrie, quinze (144e) ; seule la Libye remonte de huit places, mais il est vrai qu’elle part du bas de l’échelle (168e). La situation n’est guère plus glorieuse dans les autres pays arabes, et, plus généralement, dans les pays musulmans, depuis les mieux notés, Qatar (27e), jusqu’à la Somalie et l’Afghanistan (174e et derniers), en passant par la Turquie et la Malaisie (54e). Liée à des facteurs socio-politico-économiques, la corruption constitue un fléau universel.

Ce qui peut néanmoins distinguer l’islam, c’est qu’il a très tôt développé une pensée juridique originale en la matière.

Dès les XIe-XIIe siècles en effet, à Boukhara (actuel Ouzbékistan), les juristes musulmans ont développé une réflexion juridico-philosophique – lois et esprit des lois –, dont on ne trouvera les premiers équivalents qu’au XXe siècle, notamment aux Etats-Unis.

C’est en substance l’idée selon laquelle la corruption constitue un délit et menace le fondement de l’ordre politique, social, culturel et religieux. Les présupposés de cette pensée sont communs aux quatre écoles juridiques d’islam.

Dès le Xe siècle, le droit musulman, toutes écoles confondues, distingue trois sphères de justice.
La première, c’est le service public. Les deux autres sont privées : c’est l’échange commercial (matériel) et l’échange social (immatériel : mariage, parenté, amitié, etc).
Chaque sphère constitue un système régi selon ses propres normes et valeurs. Aussi, on ne saurait les faire passer de l’un à l’autre sans les détruire, sans les corrompre : on ne saurait vendre sa femme sans mettre en péril le concept même de mariage, ni appliquer le principe de préférence familiale dans un procès sans mettre en péril le concept même de justice, etc.

Sauver le droit public pour sauver son âme

Dès lors, c’est la figure du qâdî, du juge, qui se trouve placée au centre des préoccupations des écoles du droit musulman. Parce qu’il représente les normes du droit sacré et garantit, par leur application, la justice pour les sujets, le juge est le garant du caractère éthique et religieux du service public. De Boukhara à Séville, en passant par Damas, son magistère est immense, et son rôle, prépondérant dans le gouvernement des villes.

Défendre le service public face à l’influence des intérêts privés suppose la définition des actes susceptibles de violer les limites qui séparent les deux types de sphères.
C’est uniquement sur ce terrain que se différencieront les différentes écoles du droit sunnite.

L’école hanéfite est pionnière, avec La Déontologie du qâdî (Adab al-qâdî), une monographie composée au IXe siècle par le Bagdadien Khassaf. Elle servira de base à la doctrine qu’élaborera au XIIe siècle Ibn Maza sur la corruption du service public. Ainsi Sarakhsi (m. 1096), plus haute autorité du droit hanéfite de Transoxiane, ne voit pas d’inconvénient à ce qu’un juge traite des affaires commerciales en séances publiques, à condition qu’il serve l’intérêt public, comme c’est le cas lorsqu’il protège les intérêts des orphelins placés sous sa juridiction. En dehors des séances de la cour, il peut se livrer à des affaires commerciales pour son propre compte.
Les juristes de l’école malikite divergent sur ce point : licite pour les uns, répréhensible pour d’autres.
Hanbalites et chafiites conseillent ainsi au juge de nommer un agent commercial dont le public ignore qu’il le représente. Il y va également du salut de son âme, car, dit un hadith, « Dieu maudit le corrupteur et le corrompu ».


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