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Points de vue

La guerre du hijab a commencé !

Rédigé par Bamba Amara | Lundi 29 Décembre 2003 à 00:00

           

Sauf superstition politique, chacun sait désormais que la loi annoncée par le Président Jacques Chirac est une loi sur mesure contre les musulmans de France. Cette loi est un gros calibre pointé directement sur les femmes (musulmanes) de l’Hexagone. Au cœur de la cible : la jeune fille musulmane encore scolarisée. Loi anti-femmes et loi anti-jeunes, la loi anti-hijab heurte de plein fouet la jeunesse musulmane française dans son sentiment d’appartenance à l’entité nationale. Il est naturel que ces jeunes filles sortent de leurs gongs.



Sauf superstition politique, chacun sait désormais que la loi annoncée par le Président Jacques Chirac est une loi sur mesure contre les musulmans de France. Cette loi est un gros calibre pointé directement sur les femmes (musulmanes) de l’Hexagone. Au cœur de la cible : la jeune fille musulmane encore scolarisée. Loi anti-femmes et loi anti-jeunes, la loi anti-hijab heurte de plein fouet la jeunesse  musulmane française dans son sentiment d’appartenance à l’entité nationale. Il est naturel que ces jeunes filles sortent de leurs gongs. Il est compréhensible qu’elles soient les premières à lutter contre cette fracture nouvelle qui s’ajoute aux blessures sociales déjà reconnues et que certains politiques tentent de panser en pensant à trop haute voix médiatique à une forme de discrimination qui se veut cette fois positive.

Zakia est une Marianne de notre temps

De la place de la République à la place de la Bastille, elles étaient des milliers ce dimanche 21 décembre. Manifestation spontanée, ficelée sur Internet par une organisation virtuelle : un groupe de « jeunes filles de Tremblay-en-France » en Seine Saint-Denis. Les tracts du « Collectif article 18 » et les réactions de ses contradicteurs ont contribué, bon gré mal gré, à crédibiliser l’information. Le mot d’ordre était entendu : pas d’associations dans les rangs. Chacun pouvait venir. Mais en son nom propre. Pourvu qu’il croit en la République et en ses valeurs de liberté. L’autorisation préfectorale fut même numérisée et lancée au travers de la toile.

 Chacune avait son foulard. Soit par conviction religieuse, soit pour se protéger de la pluie. Il pleuvait ce dimanche à Paris. Il pleuvait des slogans contre le Président Chirac, des slogans contre M. Stasi, mais aussi des slogans contre M. Sarkozy. Si la conviction des manifestants est un thermomètre de mesure de la qualité d’une manifestation, cette manifestation fut réussie.

Perchée sur un camion de location, coiffée d’un bonnet phrygien rouge vif, pantalon blue-jeans, pull rouge, Zakia menait son monde sans complexe. Pour une après midi de démonstration, elle est une Marianne de notre temps. Etudiante en 3e année de médecine, l’aînée d’une famille de sept enfants, elle nous explique que : « c’est Wassila (ndr : sa sœur cadette) et quelques amies qui ont pris la décision. Comme il n’y avait pas d’appels, comme elles voyaient que les associations ne bougeaient pas, elles ont décidé de s’exprimer en tant que citoyennes et de monter une manifestation. C’est parti d’un tract tiré à 2000 exemplaires appelant à un rassemblement. Il fallait une autorisation d’un préfet de Police. Elle a pris rendez-vous à la préfecture de Police. Elle a eu l’autorisation de manifester. Elle a diffusé le tract sur Internet avec juste son numéro de téléphone au bas du texte.» Wassila n’est membre d’aucune association. Elle n’est pas une militante chevronnée. Elle ne porte même pas le hijab, juste un « bandana », car, explique Zakia : « Ma mère ne veut pas de problèmes avec l’école. Nous sommes sept enfants et ma mère est âgée, elle n’est pas à la manif. Notre père est décédé…». Ni rage ni colère dans la voix de Zakia. Juste un peu d’embarras, un soupçon de timidité. De la jeunesse, de la conviction et de la fraîcheur aussi. Tout ce qu’il y a de normal à cet âge, pour une jeune étudiante équilibrée, comme notre système éducatif sait en produire: fougueuse et déterminée dans son combat contre l’injustice.

Il pleut des slogans sur le ton soprano

La rage et la colère rugissent dans les rangs des manifestantes brandissant, qui un drapeau tricolore ou un drapeau européen, qui une carte d’identité ou une pancarte où l’on peut lire : « J’aurais voté Le Pen, je ne serais pas surprise aujourd’hui ».

Pourquoi manifestez-vous ? Que va changer cette loi pour vous ? Les langues se délient et les poitrines se vident avec en toile de fond un chœur de soprano : « Ni frère, ni mari, le foulard on l’a choisi » ; « Voilée, non voilée, liberté, égalité » ; « Chirac, Sarkozy, le Foulard on l’a choisi » ; ou encore : « ni intégrisme, ni communauté, juste la liberté de pratiquer ». Parfois aussi, c’était : « La France bien aimée, où est donc ma liberté ? » Ou encore : « Avec ou sans la loi, le voile on’ne le lâchera pas ». Des cris de révolte contenus par un service d’ordre masculin manifestement tendu, voire inquiet, et un service d’ordre féminin plutôt bon enfant, se tenant main dans la main et embrassant la place de la Bastille dans une ronde multicolore enjouée.

Cette loi injuste concerne tout le monde

Fatiha a la trentaine environ. D’allure calme et posée, elle ne porte pas de hijab : « C’est injuste envers celles qui sont concernées, dit-elle. Finalement, je me sens concernée parce que je trouve que cela prend des proportions… Voyez à Drancy (ndr : dans la Seine Saint-Denis) par exemple, une femme s’est présentée aux Allocations Familiales, on a refusé de lui donner des renseignements parce qu’elle portait le voile. La loi n’est même pas passée encore et ils posent déjà des problèmes. Cette loi engendre du racisme. En tant que musulmane je me sens concernée. Mais je pense qu’elle concerne tout le monde parce que c’est injuste ».

 Samia n’a pas encore vingt ans. Sous son hijab beige assorti à son manteau, elle ne parle pas, elle hurle pour se faire entendre par-dessus les haut-parleurs qui entonnent la Marseillaise : « On ne doit pas nous interdire le hijab. Ca fait partie de nous, ca fait partie de notre foi. Inchallah, j’espère qu’on ne va pas nous l’interdire. Et tout le monde doit nous supporter. Tout le monde doit supporter celles qui portent le voile ».

 Salim est un « rappeur ». Il doit à l’Islam d’avoir réussi à « monter dans la vie en restant propre ». Se refusant tout commentaire sur le discours du Président de la République, il estime néanmoins que « les gens qui veulent cette loi sont des gens qui veulent exclure les femmes du monde du travail. Si la loi passe, les filles iront moins à l’école. Si elles vont moins à l’école, elles seront moins instruites et donc elles resteront à la maison. Je suis ici pour les soutenir. Je ne vois pas pourquoi on veut leur retirer leur voile : si elles veulent le porter c’est leur choix… Il y a des sondages qui disent qu’en France, il y a sept convertis (ndr : à l’Islam ) par jour. Cela fait peur à certains. Je les comprends. Le problème n’est donc pas le voile. Le problème ? Ce sont les médias, la peur et l’ignorance. Les gens allument leur petite boîte noire, ils la regardent, ils l’écoutent et ils ne cherchent pas à comprendre plus loin.»

Ismaan est mère au foyer. La quarantaine à peine, elle est titulaire d’un doctorat d’université. C’est en famille qu’elle est venue manifester avec son époux Ali (fonctionnaire) et leurs trois enfants encore en bas âge. En ajustant son hijab sur la tête, elle se penche sur notre micro : «  Je suis ici pour faire valoir mon droit de citoyenne française. Je revendique ma liberté d’opinion, ma liberté de m’engager. Je veux cette liberté pour moi, mes enfants, toutes les Françaises et tous les Français. La loi qui se prépare me fait peur parce qu’elle menace d’autres types de libertés. On commence par remettre en cause la liberté de conscience et la liberté religieuse et on continue avec d’autres dérapages liberticides. Mais si elle passe, cette loi ne changerait rien à mon engagement parce que je me battrai contre. Personne ne m’a forcé à mettre le hijab, personne ne me forcera à l’enlever. »

Porter un signe pour défendre un insigne

Hakim est « monté » de sa province à Paris spécialement pour manifester. Cet ingénieur électronicien d’environ trente ans est aussi un militant associatif actif. Il arbore un ruban vert épinglé sur son costume : « Je porte ce ruban vert pour exprimer mon soutien à la liberté de se vêtir comme on veut. C’est un acte pacifique, silencieux pour défendre un signe avec un autre signe. Cette loi concerne les femmes mais nous sommes avec elles. Il n’y a pas de séparation en cela. Et si la loi passe, nous serons obligés de passer d’une religiosité silencieuse à un prosélytisme bruyant. Ce sera l’occasion de passer d’une culpabilité citoyenne à une culpabilité verticale. En forçant les sœurs à enlever leur foulard, elles seront obligées de manifester leur foi avec force au contraire de la situation actuelle où elles la manifestent en silence. Cela est le résultat de la démagogie des politiques qui veulent faire plaisir à une partie de l’électorat qui avait voté Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles… On prend la communauté musulmane en otage comme un bouc émissaire. Tout cela est pure démagogie de la part des politiques et des médias qui représentent la vieille France. » 

Hayette est étudiante. Venue du Maroc pour terminer ses études à Paris, elle affirme porter le hijab « par respect de Dieu le Très Haut. » Pour elle, le hijab est son « droit le plus légitime ». Sur ce sujet, les mots se bousculent sur ses lèvres à un rythme impressionnant :  « Je suis contre la loi Stasi, pas parce que je suis musulmane et que je porte le voile. Mais je suis contre l’interdiction des signes religieux. Car je suis venue ici dans un pays laïc. C’est à dire un pays qui permet la liberté d’expression dont la liberté vestimentaire. Le conseil d’Etat de 1989 a statué et a trouvé que le voile n’est pas un signe ostentatoire, qu’il n’est pas un signe ostensible non plus mais seulement un signe visible qui ne provoque personne. Les autres pays d’Europe ont essayé de cohabiter avec. La France est le seul pays qui veut l’interdire. On m’a donné le visa avec mon voile pour venir étudier. Maintenant on veut m’interdire d’étudier. Alors que dans mon pays, il y a beaucoup de touristes françaises qui se promènent sur les plages avec les seins à l’air. Jamais les Marocaines ne font ce genre de choses. Voulez-vous qu’on leur interdise cela, aux touristes ? Non. Ce serait illégal. Que veulent la classe politique française et les Français ? Est-ce qu’ils veulent des citoyens égaux en droits ou seulement des « indigènes » qui ne font que payer leurs impôts et consommer ? Je lance un appel à tous les citoyens pour qu’ils défendent la liberté d’expression et la liberté vestimentaire. Car aujourd’hui on interdit le voile et demain on va nous interdire de jeûner au Ramadan dans les écoles et les universités en trouvant d’autres motifs fantaisistes. La loi qui arrive concerne les Juifs et les Chrétiens pratiquants. La main de Fatma ? (éclat de rire) Je voudrais dire que ce n’est pas un insigne religieux de l’Islam. C’est un insigne juif pour conjurer le mauvais sort. Les musulmans ont repris cette superstition en cohabitant avec les Juifs. C’est tout. »

Nawel est un peu plus âgée que son amie Hayette. Elle parle d’une voix plus calme avec un fort accent méditerranéen : « Ce n’est pas la loi que je combats. Pour moi, la question est de savoir si la loi va résoudre un quelconque problème ou simplement poser d’autres problèmes. »

Nous devons remercier Chirac

Christiane G. est journaliste. Pour avoir porté le hijab à son travail, elle a perdu l’emploi qu’elle occupait sur une chaîne de télévision iranienne qu’elle représentait en France. Le pas alerte, le menton énergique, les joues généreuses, Christiane a comme un sourire taillé dans la soie et cousu sur ses lèvres. Le bleu verdoyant des ses yeux consume notre regard au prime abord. C’est d’une voix chaleureuse et d’un accent empreint de mansuétude qu’elle nous rassure et se prête à nos questions : « Je suis française et je suis musulmane. Mais, même si je n’avais pas été musulmane, je me serais ralliée aux musulmanes parce que j’estime que c’est une agression de la part de notre démocratie que de vouloir imposer la manière de se vêtir, la manière de se marier… Mais on peut quand même remercier M Chirac de nous avoir permis, à nous musulmans, de nous rassembler même si c’est pour lui dire que nous ne sommes pas d’accord avec ce qu’il va nous proposer. Il y a beaucoup d’autres choses qui se cachent derrière cette volonté d’attaquer le voile. C’est une attaque contre l’Islam, contre une religion qui se développe. Dans leur ensemble, les religions sont en éveil. Mais la religion musulmane est en train de se développer davantage en raison de son esprit de justice. Cela met la laïcité de notre République en mal. Normalement, la laïcité est tolérante envers toutes les religions. Mais ce sont les « laïcards » un peu fanatiques qui ont une fausse idée de la laïcité. Il faut donc dire aux français qu’ils sont en danger. Les non musulmans aussi sont en danger parce qu’ils ne se rendent pas compte, mais on les trompe et on leur cache une série de problèmes. La France est face à des problèmes d’éducation. Les musulmans ont su garder leurs bonnes valeurs. Ils essayent même de les promouvoir… Quand on voit le manque d’éducation d’un certain nombre de jeunes, on peut dire que l’Ecole est en danger. Les musulmans ne sont pas les seuls à s’en rendre compte. La loi n’est pas encore adoptée. Et j’espère qu’elle ne le sera pas. Car nous allons encore et encore mobiliser large au-delà des musulmans. Comprenez qu’il ne s’agit pas d’une loi contre le voile. C’est une loi contre l’expression de la liberté religieuse. Mon expression de la religion touche à mon être profond. Et je ne porte pas le voile pour embêter qui que ce soit, mais pour avoir un type de relation avec Dieu. »

 

Répondre à l’appel de Malika Dif

Mourad est de la « cité des 4000 » à la Courneuve dans la banlieue Nord de Paris, « la Cité où on en a marre d’avoir que du béton » lance-t-il dans un fou rire. Il a le look classique du «barbu médiatique » avec l’austérité du regard en moins. Mourad est plutôt jovial et enthousiaste. Visiblement occupé à diriger une partie du service d’ordre, le ruban vert qu’il porte sur son blouson nous permet d’ouvrir la conversation : « C’est ma femme qui m’a demandé de porter le ruban vert en solidarité aux femmes qui portent le foulard. Cela fait allusion au petit ruban rouge pour le Sida, le petit ruban blanc pour la Paix, le petit ruban vert-blanc-rouge pour la Palestine. En plus, Malika Dif a demandé de porter un ruban vert pour le droit à l’expression religieuse et pour soutenir les sœurs contre cette loi discriminatoire. Vous me demandez ce que cette loi va changer pour moi. Mais votre question est mal formulée. Parce qu’avec cette loi, on ne va pas vers un changement, on ne va pas vers un progrès mais on s’engage dans une régression. On n’avance pas, on recule. Sachez que cette loi cache beaucoup de choses. Elle voile le malaise de la « décolonisation » qui s’est mal passée envers nos parents. Elle cache le malaise de l’« intégration » qui ne s’est pas faite envers nos grands frères et nos grandes sœurs. Un mélange de tout ce passé fait qu’aujourd’hui, il y a un problème de « vivre ensemble » dans ce pays. La question du voile n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le voile en lui-même n’est qu’un bout de tissu qu’une personne a décidé de porter par conviction. Le vrai problème n’est donc pas le voile. Qu’on se le dise. Le vrai problème est la citoyenneté des personnes de conviction musulmane dans ce pays. C’est donc un problème de citoyenneté et de représentation républicaine. Ce n’est pas un problème de bout de tissus de quelques femmes. »

Rendez-vous au 17 janvier et au 7 février

A la fin de la manifestation, quelques tracts ont circulé appelant à la mobilisation. L’un est signé de l’UFCN  de M. Lounès qui avait rogné ses freins attendant la fin de la manifestation pour écouler son stock de tracts. Un autre tract était signé du Parti des Musulmans de France. Il appelle à une manifestation le 17 janvier 2004 à Paris.

 Un groupe d’individualités et de responsables associatifs de différents bords travaille activement à l’organisation d’une marche nationale prévue le 7 février à Paris. Les organisateurs de cet événement ont la volonté d’ouvrir leur action sur le thème de la dignité d’appartenir à la nation française. Une démarche qui, espèrent-ils, portera la question de l’islamophobie au-delà de la communauté musulmane sans noyer les revendications propres à cette communauté. Le communiqué officiel de ce groupe de travail sera rendu public cette semaine. Sa formulation montre clairement cette volonté d’ouverture contrôlée de la revendication de la liberté religieuse à l’ensemble des citoyens français.





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