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Points de vue

La France dans la guerre civile ivoirienne

Rédigé par Bamba Amara | Jeudi 23 Janvier 2003 à 00:00

           

Dans ce conflit maint fois annoncé par les observateurs de tout bord, la France n’a pas le beau rôle. D’aucun parlent de néocolonialisme français vis à vis de son « pré carré ivoirien ». D’autres parlent du retour à la « France-afrique » des années 40. Pour ceux qui connaissent la Côte d’Ivoire, la rencontre de Paris n’offre aucune surprise. Car l’imbrication des deux pays est historique.



Dans ce conflit maint fois annoncé par les observateurs de tout bord, la France n’a pas le beau rôle. D’aucun parlent de néocolonialisme français vis à vis de son « pré carré ivoirien ». D’autres parlent du retour à la « France-afrique » des années 40. Pour ceux qui connaissent la Côte d’Ivoire, la rencontre de Paris n’offre aucune surprise. Car l’imbrication des deux pays est historique.

 

Dans les années 60, alors que ses paires du RDA réclamaient l’indépendance de leurs pays, M Houphouët Boigny souhaitait faire de la Côte d’Ivoire un département français. L’indépendance politique n’a donc pas modifié les relations économiques bilatérales. Par subordination économique ou par partenariat privilégié, l’économie ivoirienne est sous le contrôle des investisseurs français. Un contrôle garanti par un accord militaire signé en 1962, jamais remis en question, qui autorise la présence de troupes françaises. Cet accord prévoit l’intervention de ces hommes pour défendre le pays en cas « d’agression extérieure ».

 

En 2001, on dénombre 210 filiales d’entreprises françaises en Côte d’Ivoire. Soit le quart des filiales françaises implantées dans la zone du franc CFA (d’usage dans la sous région et qui bénéficiait d’une parité fixe avec le Franc Français ). Elles emploient plus de 60 000 personnes et occupent des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, la télécommunication l’eau, le transport, les banques, les travaux publics et l’industrie agro-alimentaire. A ces filiales il faut ajouter plus d’un millier de PME-PMI de droit local qui sont contrôlées par des capitaux français soit plus de la moitié du secteur privé informel ivoirien. Elles concernent environ 40 000 personnes. Dans la période de 1996 à l’an 2000, l’agence de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Le CEPICI) estime à plus de 50% le montant des demandes d’agrément d’investisseurs françaises sur l’ensemble des demandes étrangères.

 

France Télécom a la main mise sur l’opérateur de télécommunications téléphoniques (Côte d’Ivoire Télécom), mais aussi sur la SIM (Société Ivoirienne de Mobiles). La CIE (Compagnie Ivoirienne d’Electricité, l’équivalent de EDF) est aux mains de la SAUR qui est une des filiales du groupe Bouygues. Elle est aussi l’actionnaire de référence de la SODECI (Société Des Eaux de Côte d’Ivoire). Dans le domaine bancaire de nombreuses banques françaises ont leurs filiales dans toutes les grandes villes ivoiriennes. La Société Générale est représentée par la SGBCI (Société Générale de Banque de Côte d’Ivoire). La BNP est présente au travers de la BICICI (Banque International pour le Commerce et l’Industrie de Côte d’Ivoire) et le crédit lyonnais et représenté par la SIB (Société Ivoirienne de Banque). Le transport aérien est aussi concerné car Air France est l’actionnaire majoritaire de la compagnie régionale Air Ivoire. On peut aussi citer le Bâtiment et les TP où les groupes Colas, Jean Lefebvre et Bouygues se partagent le marché. Le groupe TotalFinalElf est incontournable en Côte d’Ivoire sur le marché des hydrocarbures car il détient 25% de la Société Ivoirienne de Raffinage et 38% de la distribution. Dans le caoutchouc, le café, le cacao, le tabac de Côte d’Ivoire on voit apparaître le groupe Balloré dont un responsable dans la région de la « boucle du cacao » reconnaît au Figaro : « La Palmci est un l’une des nombreuses filiales du groupe Balloré en Côte d’Ivoire. Nous sommes intervenus au plus haut niveau pour que les forces françaises se déploient dans la région » On comprend aisément que la France, riche de son expérience du Rwanda ne puisse longtemps rester passive devant la menace que la guerre civile ivoirienne fait planer sur ses capitaux. On comprend aussi aisément le président Jacques Chirac dans sa déclaration du 7 janvier lorsqu’il promet : « une fois la réconciliation en marche, la France prendra la tête d’une alliance des donateurs pour la reconstruction économique de la Côte d’Ivoire ».

 

De 1997 à 2000, selon la CNUCED, les investissements directs étrangers ont baissé de 45%. Les entreprises françaises sont très concernées par ces changements. Elles se sont tournées vers d’autres pays d’Afrique moins rentables que la Côte d’Ivoire. Le retour d’une certaine stabilité avait vu un renversement de ce flux à partir de 2001. Et les pronostics étaient plutôt bons pour cette année. En accueillant sur son sol les différents protagonistes ivoiriens pour trouver une sortie honorable à leurs différends, le gouvernement français joue certes gros, mais il n’a pas d’autres alternatives. La conciliation africaine a été un demi-succès. Le poids de la question identitaire au centre des discussions lève toute méfiance et toute susceptibilité envers la France. Ce qui serait difficilement le cas envers un médiateur africain. Au vu des intérêts économiques et financiers en jeu et des conséquences politiques et sociales en cas d’échec, il est permis de penser que la rencontre de Paris est une autre chance pour la Côte d’Ivoire et une dernière chance pour la France en Côte d’Ivoire. Sans trop de risque de se tromper, il est permis de penser que « Marcoussi » fera entrer la Côte d’Ivoire dans une saison nouvelle. Après sa traversée de l’hiver, le pays de Houphouët mérite son printemps. Afin que, ces années de souffrance oubliées, l’on puisse s’interroger, philosophiquement : est-il possible de se forger une identité propre sans entrer en guerre fusse-t-il contre soi-même ?





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