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France - Turquie : une crise diplomatique majeure sur fond d'instrumentalisation de la lutte contre l'islamophobie

Rédigé par Myriam Attaf et Hanan Ben Rhouma | Lundi 26 Octobre 2020 à 17:30

           

Les relations franco-turques sont au plus bas. Au regard des dernières attaques de Recep Tayyip Erdogan envers Emmanuel Macron et la France, « on a franchi une étape très grave » dans la crise diplomatique entre les deux pays, affirme le géopolitologue Pascal Boniface.



France - Turquie : une crise diplomatique majeure sur fond d'instrumentalisation de la lutte contre l'islamophobie
Le torchon brûle entre la Turquie et la France au point où celle-ci a décidé, dimanche 25 octobre, de rappeler immédiatement son ambassadeur en Turquie, ce qui constitue vraisemblablement une première dans l’histoire des relations diplomatiques franco-turques. Cette décision fait suite aux propos « inacceptables » tenus par le président turc Recep Tayyip Erdogan à l’encontre d’Emmanuel Macron.

Lors d’un discours télévisé diffusé samedi 24 octobre, le président turc a invectivé le chef de l'Etat français à de nombreuses reprises. « Quel est le problème de cette personne qui s’appelle Macron avec les musulmans et l’islam ? », s’était-il interrogé. « Tout ce qu'on peut dire d'un chef d'Etat qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c'est: "Allez d'abord faire des examens de santé mentale". » Des propos qu’il a réitérés le lendemain, complétés par une déclaration affirmant qu’Emmanuel Macron « était obsédé par Erdogan, jour et nuit ».

Pour l’Elysée, ces déclarations ne passent pas. La présidence a dénoncé « l’outrance » et la « grossièreté » d’Ankara, exigeant de Recep Tayyip Erdogan « qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue. Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes ».

Mais ce dernier est allé plus loin lundi 26 octobre. Il s'est joint à une campagne internationale de boycott des produits français en invitant les Turcs à y participer. « Tout comme en France, certains disent "N'achetez pas les marques turques", je m'adresse d'ici à ma nation : surtout, ne prêtez pas attention aux marques françaises, ne les achetez pas », a-t-il lancé lors d'un discours à Ankara.

Des tensions vives entre deux pays aux intérêts divergents

Avant cette dernière déclaration, Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires Etrangères, n’a pas manqué de réagir contre les attaques du président turc. « À l’absence de toute marque officielle de condamnation ou de solidarité des autorités turques après l’attentat terroriste de Conflans Sainte-Honorine, s’ajoutent désormais depuis quelques jours une propagande haineuse et calomnieuse contre la France, témoignant d’une volonté d’attiser la haine contre nous et en notre sein, et des insultes directes contre le président de la République, exprimées au plus haut niveau de l’État turc », a-t-il appuyé. « Ce comportement est inadmissible, a fortiori de la part d’un pays allié. L’ambassadeur de France en Turquie a en conséquence été rappelé et rentre à Paris dès ce dimanche 25 octobre pour consultation. »

Cet acte diplomatique rare met en exergue des relations franco-turques qui n'ont eu de cesse de se dégrader ces derniers mois. En novembre 2019, le président turc avait déjà lancé des attaques personnelles contre Emmanuel Macron en lui demandant d'« examiner sa propre mort cérébrale » quand ce dernier avait déploré la « mort cérébrale » de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Plusieurs dossiers brûlants viennent aussi alimenter les tensions entre les deux pays. On peut noter leurs passes d’armes au sujet des conflits en Libye, en Syrie et dans le Haut-Karabakh où s'opposent l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou encore la fin du système des imams détachés à laquelle la France entend mettre fin d'ici à 2024. Un souhait d'Emmanuel Macron réitéré lors de son discours contre le séparatisme islamiste début octobre.

La lutte contre l'islamophobie instrumentalisée

Le président turc s’en était alors pris à Emmanuel Macron, qualifiant ses annonces contre l'islamisme radical et sur la nécessaire structuration de l'islam en France de « provocations ». Trois semaines plus tard, il a dénoncé « une campagne de lynchage semblable à celle contre les juifs d'Europe avant la Deuxième Guerre mondiale (qui) est en train d'être menée contre les musulmans ». Ces déclarations, comme tant d'autres formulées ces dernières années, s'inscrivent dans une volonté affichée de la Turquie de se poser clairement en protectrice des musulmans d'Europe, y compris de France, quitte à instrumentaliser la lutte contre l'islamophobie à des fins populistes pour étendre son influence et son leadership.

Recep Tayyip Erdogan « fait partie de ces dirigeants qui aiment faire des déclarations chocs pour galvaniser son électorat ou sa population et diaboliser les autres dirigeants », « quitte à transformer et à déformer les propos d’Emmanuel Macron pour le présenter comme un ennemi de l’islam dont il serait le protecteur », analyse le géopolitologue Pascal Boniface sur sa chaîne Youtube, notant du chef de lEtat turc qu’il a été « nettement moins violent dans les attaques contre Xi Jinping à propos des Ouïghours ».

Pour le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), « on a franchi une étape très grave » au vu du « degré d'insultes » proférés par Recep Tayyip Erdogan : « Il faut dire très franchement qu’on n’accepte pas ce type d’insultes sans nous-mêmes recourir à ce type de procédés, et répondre fermement. »

Néanmoins, la France doit avoir, dans les pays musulmans, « un discours de pédagogie sur la laïcité » qu’il faut distinguer de « la laïcité falsifiée » - ce que Saphirnews développe ici dans cet édito - et, sur ce point, « le discours de Macron est très bien, même si on sait très bien que certains veulent l’entraîner sur un autre terrain ».

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