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Société

Enseignement privé : « L’éducation est le défi numéro un des musulmans »

Rédigé par | Lundi 6 Octobre 2014 à 14:39

           


La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman a été officiellement lancée le 22 mars 2014.
La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman a été officiellement lancée le 22 mars 2014.
Chaque année est célébrée le 5 octobre la Journée mondiale des enseignants. Organisée par l’UNESCO depuis 1994, elle a pour but de rendre hommage aux enseignant(e)s du monde entier ainsi qu’à ceux qui se consacrent à la recherche en éducation.

L’Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture (ISESCO), qui regroupe 52 pays musulmans, souligne dans un communiqué daté du 2 octobre, en prévision de cette Journée mondiale des enseignants, « l’attention particulière accordée par l’islam aux enseignants, en faisant de leurs tâches une œuvre à dividendes éternelles, ici-bas et dans l’au-delà ». « Les enseignants constituent la clef de voûte permettant de développer les capacités des élèves, de leur inculquer les valeurs morales, l’esprit critique et le travail en équipe », poursuit le communiqué, « l’ultime objectif étant de construire un avenir durable en tant que citoyens, en mesure d’agir dans leur propre communauté ainsi que de contribuer aux défis mondiaux ».

En France, tandis que l’éducation a toujours été une valeur clé au sein des familles musulmanes, l’enseignement privé musulman n’en est qu’à sa phase de décollage, la plupart des établissements ayant moins de dix ans d’existence. La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM), quant à elle, vient tout juste de naître au printemps dernier. Saphirnews fait le point à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants avec le président de la FNEM Makhlouf Mamèche*.

Saphirnews : Pourquoi avoir créé la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman ?

Makhlouf Mamèche : Deux points essentiels. Premier point : être l’interlocuteur des établissements privés musulmans auprès des pouvoirs publics pour transmettre les demandes de signature de contrat d’association avec l’État. Bon nombre d’établissements ont plus de cinq ans d’existence mais n’ont pas encore signé de contrat d’association avec l’État : cela n’est pas normal. Il est de notre rôle aujourd’hui de défendre le dossier de ces établissements.

Deuxième point : mutualiser les expériences entre nous, échanger sur plusieurs plans (la formation, les programmes, le financement des établissements…). En dernier point, il y a de nombreux porteurs de projets en France qui nous sollicitent régulièrement. Chaque établissement existant est sollicité chaque semaine par des porteurs de projets ! On veut que la fédération soit un repère pour tous ceux et celles qui veulent ouvrir un établissement scolaire, une école primaire, etc. La fédération se dote de spécialistes, de conseillers en matière d’éducation, en matière de système scolaire français. Elle peut orienter, aider, accompagner les porteurs de projet pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs qu’avaient pu commettre autrefois al-Kindi, à Lyon, Averroès, à Lille, Ibn Khaldoun, à Marseille ou d’autres…

Combien d’établissements privés sont membres de la Fédération ?

Makhlouf Mamèche : Lors de la création de la fédération, cinq établissements en ont été membres. Ce sont les grands établissements de France : le lycée Averroès à Lille, premier lycée musulman en France en 2013, premier lycée musulman à avoir été sous contrat d’association avec l’État ; le groupe scolaire al-Kindi, à Lyon, qui a signé cette année un contrat avec l’État ; le collège-lycée Éducation et Savoir, à Vitry-sur-Seine ; le collège-lycée Ibn Khaldoun, à Marseille ; l’école primaire La Plume, à Grenoble, qui, elle, existe depuis 10 ans mais qui n’a pas encore signé avec l’État. Ils représentent au total jusqu’à environ 1 200 à 1 300 élèves.

Quel est le nombre de projets d’établissement privés qui dorment dans les tiroirs ?

Makhlouf Mamèche : Il y a une quarantaine de projets. J’ai rendu visite à Mulhouse, Paris, Rouen, Besançon, Strasbourg, Grenoble, Valencienne, Dunkerque…

Comment analysez-vous cette demande croissante ?

Makhlouf Mamèche : Elle vient de la réussite scolaire des établissements existants aujourd’hui comme Averroès et al-Kindi, qui, je pense, rassure la communauté musulmane et l’inspire pour ouvrir ce genre d’établissements.

Avant, les musulmans construisaient des mosquées. Aujourd’hui, l’éducation est le défi numéro un de notre communauté mais aussi de toute la société française. Qui dit éducation dit école, qui constitue le moyen d’éducation par excellence. C’est cela qui anime les porteurs de projets.

D’après vous, est-ce le signe d’un renfermement de la communauté musulmane sur elle-même ou un signe d’ouverture de la communauté pour une meilleure inscription des enfants dans la société française ?

Makhlouf Mamèche : Il y a des établissements privés catholiques et juifs. Je pense que les musulmans participent pleinement dans cet espace laïc que leur offre la République. Cela est important car, à un moment donné, on était un peu écarté sur le plan éducatif : il n’y avait pas un seul établissement privé musulman. Or, dans cet édifice de l’éducation en France, il manquait les établissements musulmans. Avec la création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, les musulmans démontrent qu’ils s’inscrivent pleinement dans la société.

Quelles difficultés majeures rencontrent les établissements existants et ceux qui vont se créer ?

Makhlouf Mamèche : La difficulté majeure est la difficulté financière. Le budget de fonctionnement d’une seule classe s’élève à 50 000 €. Sans compter le local, l’inscription des élèves… C’est un handicap pour la communauté musulmane. Et il y a l’équipe qui porte le projet : il y a besoin d’une vraie équipe qui s’attache à l’enseignement et à l’éducation. Avec le temps, la fédération aura ce rôle d’accompagner et de former les porteurs de projets.

Ce serait un pôle formation continue, par exemple ? Envisagez-vous un pôle waqf ?

Makhlouf Mamèche : La fédération va intervenir sur le plan pédagogique, sur le plan financier mais ne va pas trouver le budget pour ouvrir un établissement. Son rôle est plutôt de celui de conseil, d’accompagnement et d’orientation. On va plaider la cause auprès du ministère de l’Éducation nationale, des pouvoirs publics, des conseils régionaux, car il n’existait pas encore d’organe central qui défende les intérêts des établissements privés musulmans auprès du ministère.

Quel est le budget de la fédération pour mener à bien ses missions ?

Makhlouf Mamèche : Ce sont les établissements scolaires qui contribueront au budget de fonctionnement de la fédération.

Vous vous appelez « fédération nationale ». Cela dit, celle-ci est portée par une unique association, à savoir l’UOIF qui, elle seule, l’a créée et non un ensemble d’associations de multiples bords…

Makhlouf Mamèche : Vous revenez au débat sur le CFCM, sur les mosquées, etc. Or je pense que, s’agissant de l’éducation et de l’enseignement, on n’est pas sur le même terrain : le plus important pour nous, c’est l’intérêt de ces écoles, qui sont ouvertes à tous, comme l’est la fédération. Certes, l’UOIF est l’initiatrice de la fédération, qui est l’évolution logique car les établissements sentent le besoin réel de se fédérer et d’échanger ensemble.

Donc un porteur de projet d’établissement privé n’a pas besoin d’être membre de l’UOIF pour avoir recours au service de la fédération ?

Makhlouf Mamèche : Pas du tout ! Parmi les cinq membres actuels tous ne sont pas membres de l’UOIF et cela est vrai aussi pour les nouveaux projets.

Au moment de la création de la FNEM, vous évoquiez le Fonds social juif et le Secrétariat de l’enseignement catholique comme sources d’inspiration. Envisagez-vous des relations de collaboration avec ces organismes ou les considérez-vous simplement comme modèles ?

Makhlouf Mamèche : J’irai même plus loin, pourquoi ne pas créer une Fédération nationale de l’enseignement privé, c’est-à-dire qui réunit juifs, musulmans et catholiques. On doit arriver à terme à la création de cette fédération, dans laquelle on pourra discuter de tous les défis et points communs et trouver des points d’entente, avec des réunions régulières.

Avez-vous pris contact avec le Secrétariat de l’enseignement catholique, puisque les écoles privées catholiques accueillent un grand nombre d’élèves musulmans, la demande étant plus grande que l’offre… ?

Makhlouf Mamèche : Sur le plan local, il y a déjà des contacts avec ces écoles privées catholiques. Mais au niveau national, nous n’avions pas encore cet organisme central, maintenant cela est possible.

Makhlouf Mamèche, président de la FNEM : « Avec la création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, les musulmans démontrent qu’ils s’inscrivent pleinement dans la société. »
Makhlouf Mamèche, président de la FNEM : « Avec la création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, les musulmans démontrent qu’ils s’inscrivent pleinement dans la société. »

La création de la Fédération a-t-elle aussi pour but d’éviter que ne se créent des écoles privées musulmanes qui restent des satellites et dont l’enseignement et la vision de l’éducation ne sont pas d’inscrire l’enfant dans l’espace laïc et républicain ?

Makhlouf Mamèche : Je lance un appel à tous les établissements scolaires musulmans privés en France de nous rejoindre, au moins de nous contacter pour essayer d’échanger et de voir les difficultés qu’ils rencontrent, et d’échanger sur tous les plans, surtout s’agissant de la pédagogie et de l’éducation. Quelle éducation voulons-nous pour nos enfants ? Quel avenir voulons-nous pour nos enfants. La Fédération est ouverte à toutes les initiatives et toutes les discussions. Mais qu’ils viennent pour mettre sur les bons rails les projets.

On essaie de conjuguer les deux : nous sommes dans un espace laïc qui nous offre cette liberté. C’est là le génie. Il faut se mettre autour de la même table pour œuvrer pour le bien de la communauté.

Avez-vous une réflexion particulière s’agissant de la pédagogie ou vous calquez-vous sur le challenge de la réussite comme le font les écoles privées catholiques où il existe certes un enseignement religieux mais le reste de l’enseignement demeure classique, sans mesures pédagogiques novatrices particulières ?

Makhlouf Mamèche : Il n’y a pas de réussite scolaire sans pédagogie particulière. Nous essayons de développer une pédagogie propre à la conception musulmane, qui, bien sûr, ne va pas l’encontre des valeurs de la République. Ce n’est pas uniquement réussir le brevet et le baccalauréat. Quand on parle de réussite, cela comprend la réussite scolaire mais aussi la réussite spirituelle, économique, familiale… La réussite sur tous les plans se met en œuvre quand les parents sont les partenaires essentiels dans l’éducation. La réussite, ce n’est pas seulement le diplôme. On donne la clé, mais on veut que l’élève réussisse par la suite dans sa vie privée.

*Makhlouf Mamèche, 44 ans, diplômé en sciences politiques de l’université d’Alger, doctorant en histoire à l’université de Lille, est membre cofondateur du lycée Averroès et actuellement directeur adjoint du lycée Averroès depuis sa création en 2003.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur



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