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Points de vue

Caricaturistes et boycotteurs face à l'amour du Prophète de l'islam

Par Michaël Privot, Administrateur du Complexe Educatif et Culturel Islamique de Verviers (Belgique)

Rédigé par Michaël Privot | Mardi 14 Février 2006 à 08:51

           

Bien que je n’aie pas encore saisi le lien entre le boycott de biscuits danois et mon amour pour le Prophète, je ne me lasse pas d’observer l’hyperémotivité d’une partie de ma communauté de foi. Aucun média n’est négligé pour transmettre en temps réel l’impérieuse nécessité de la mobilisation : SMS, courriels,… démontrant sans conteste le dynamisme de l’e-umma. Réaction massive… mais avec 4 mois de retard. Un hiatus et un interpellant détour par le Moyen-Orient qui ne perturbent pas ces fans de l’embargo.



Je ne peux m’empêcher d’appréhender ce boycott comme un exemple paradigmatique des délires collectifs si particuliers à cette matrie. De la même façon que certains n’ingurgitent jamais le moindre breuvage labellisé Coca-Cola sous prétexte que cela reviendrait à fournir Israël en munitions pour buter du Palestinien, d’autres se lancent dans un jihâd économique total contre le Danemark. Outre l’absurdité même de l’appel qui transformerait tout musulman en scanner à code-barres embouteillant les supermarchés, on ne peut que rester perplexe face à la naïveté de l’analyse qui ferait croire que cela contraindrait le rédacteur du Jyllands-Posten à s’excuser auprès de ces courageux musulmans campés dans leur opposition au business danois. Excuses qu’il a présentées il y a peu, d’ailleurs, rendant tout boycott inutile. D’autant que de nombreux médias internationaux relayent l’information. Allons-nous boycotter aussi les produits français, norvégiens,… ? Le ridicule de la situation se révèle ab absurdo et expose de façon éclatante les effets pervers de campagnes sauvages, lancées sans réflexion préalable.

 

Le retentissement qu’a connu dernièrement ce dossier a participé à la diffusion sans précédent des caricatures incriminées, suscitant encore plus de cris d’orfraie, générant à leur tour des réactions plus épidermiques encore, tant de la part de défenseurs de la liberté d’expression (un droit précieux que nous devons tous préserver) que de la part de groupes d’extrême droite ne pouvant manquer pareille aubaine. Face à cela, on se dit que seule une retraite collective à Palo-Alto pourrait nous sortir de ce chausse-trappe systémique.

 

Mais, essentiellement, je me questionne sur notre rapport à l’histoire et à nos sources. Le Prophète fut brocardé et maltraité de bien pire façon de son vivant. Pourtant, il ne boycotta, ne vilipenda ni ne fit violence à ses détracteurs. Il appliquait le principe coranique : il disait Paix ! quand il entendait dire du mal et passait son chemin. On en est loin aujourd’hui. Quant à la question de l’image et de son interdiction, celle-ci ne concerne que les musulmans et je ne vois pas au nom de quoi des non musulmans devraient s’y astreindre. Si certains estiment légitimement qu’il y a là manque de respect vis-à-vis de leurs croyances et valeurs, ils ont le droit de le faire savoir, mais pas de nous contraindre à les suivre dans leurs débordements. Je constate avec regret combien sont peu à même de prendre de la distance par rapport à ce qui leur est cher, et ce toutes convictions confondues. Que certains conçoivent le Prophète comme un terroriste, c’est leur droit après tout. Qu’est-ce que cela change pour moi ? Ils ne modifieront pas l’histoire et ne sont que les derniers avatars d’une longue série d’opposants. Un foi ferme sur ses piliers ne craint pas cela et sait sourire quand la caricature est inspirée. Ce qui est loin d’être le cas ici.

 

Enfin, si c’est d’atteinte à la foi dont il est question in fine, je ne peux que renvoyer dos à dos caricaturistes et boycotteurs. Car si l’amour du Prophète fait certes partie du credo, le mobiliser de la sorte est facile mais détestable. Cela revient à rabaisser une relation de cœur à un simple réflexe consumériste. Si certains limitent à cela la démonstration de leur amour, alors je ne sais pas qui porte le plus atteinte à l’honneur de cet homme.

 

 

Paru dans le quotidien belge Le Soir, édition du mardi 7 février 2006 (www.lesoir.be) sous le titre: Le code-barre des produits danois commence par 57 pour ceux qui aiment Mohammed et veulent les boycotter. Passez le message svp.

 






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