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Points de vue

CFCM, les désillusions d’une tête de liste

Rédigé par Berthet Ali | Samedi 18 Juin 2005 à 00:00

           

Cheikh Abdel Aziz Gnabaly a perdu ses illusions. La tête de la nouvelle liste de l’Alliance des musulmans indépendants (AMI), pour les élections du CFCM, a du mal à expliquer ce qui lui arrive.



Cheikh Abdel Aziz Gnabaly a perdu ses illusions. La tête de la nouvelle liste de l’Alliance des musulmans indépendants (AMI), pour les élections du CFCM, a du mal à expliquer ce qui lui arrive. Grand, Noir, s’exprimant dans un français académique avec un accent sénégalais à couper au couteau, il est loin de la caricature médiatique de l’islamiste ordinaire.

 

Doté d’une carrure athlétique, se déplaçant avec vitalité, le Cheikh est sans âge. Ses yeux s’animent quand on l’interroge sur l’invalidation de la liste AMI. Il s’arrête net, joint les deux mains sous le menton puis écarte les bras, les mains vers le ciel, et déclare : « honnêtement, je ne comprends pas ce qu’ils veulent ».

Cheikh Gnabaly est le recteur de la mosquée de l’Ile-Saint-Denis. En 1975, il intervient déjà auprès des enfants musulmans qu’il place au centre de son engagement. « Ici en France, dit-il, il faut nous occuper particulièrement de l’éducation des enfants. Leur éducation scolaire et leur éducation spirituelle. Il faut leur expliquer qu’ils peuvent être Français et musulmans. Cela ne doit pas leur poser de problème ». Le Cheikh est ainsi secrétaire général de l’Association de la rénovation de l’Alliance islamique en France, une association dont le siège est à l’Ile Saint-Denis.

 

Les mosquées des foyers de travailleurs

 

Cheikh Gnabaly est aussi un des membres fondateurs de la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA). En 2003, au moment de la fondation du Conseil français du culte musulman (CFCM), la FFAIACA s’est associée à l’Union des organisations islamiques en France (UOIF). Malgré sa présence sur le terrain, antérieure à la création de l’UOIF, la FFAIACA souffre d’un déficit d’administration. Ses dirigeants sont plus préoccupés à gérer leurs mosquées qu’à soigner leur image, encore moins à étendre leur influence. Nombre d’entre-eux officient dans les mosquées localisées au sein des foyers de travailleurs africains. Seule la FFAIACA prête attention à ces dizaines de mosquées oubliées dans des zones délaissées dont l’Etat rêve de se débarrasser.  « Il faut impliquer les imams des foyers dans la gestion de l’islam en France. C’est ce que nous avons voulu en les inscrivant sur la liste AMI. Mais le comité électoral n’a pas voulu, nous avons expliqué cela au CFCM. Tous les membres ont compris sauf un ».

Le Cheikh préfère ne pas citer de nom. Mais les sources proches du dossier affirment que l’UOIF est seule à s’opposer catégoriquement à la participation des foyers de travailleurs africains. Pour le mouvement de Fouad Alaoui, accepter la pleine participation des foyers serait enfreindre le code électoral du CFCM. Ce qui est exact n’en déplaise à M. Fassassi, Secrétaire général de la FFAIACA qui s’insurge violemment contre M. Alaoui : « Légalement et démocratiquement, lui écrit-il, dans une assemblée, on respecte la volonté de la majorité. Tu es l’unique membre du CA, du BE du CFCM et du COMELEN qui refuse cette sage mesure dérogatoire en faveur de ces foyers ! C'est vrai, comme tu le dis, je n'ai pas mandat à parler au nom des foyers africains ; mais as-tu, toi, mandat pour les exclure ? Au CFCM, ou ailleurs, nous parlons tous au nom des musulmans et/ou de quelque chose sans mandat. »

Des votants non éligibles

Cheikh Gnabaly est loin de ces combats de titans administratifs autour de règles et des règlements. Pour lui,  « dans la vie il faut savoir ses choix. Soit on s’occupe de l’islam, soit on s’occupe de politique. Un musulman ne doit pas se servir de l’islam pour faire de la politique. Il doit plutôt chercher à servir l’islam. C’est comme ça que nous voyons les choses ». Mais le Cheikh ne veut incriminer personne quand on lui demande son analyse sur le choix de l’UOIF. « Ils ont quand même accepté que les délégués des foyers figurent sur les listes, dit-il. Ils sont délégués donc ils peuvent voter mais ils ne sont pas éligibles. C’est humiliant, mais ça nous servira de leçon pour les échéances à venir. C’est à nous d’aider les foyers à s’organiser désormais » ajoute-t-il avec sagesse.

« Je ne comprends pas »

Quant à l’invalidation de la liste AMI par le comité électoral national, Cheikh Gnabaly répond « je ne comprends pas » à chacun des points évoqués par le comité. Il lâche un soupir suivi d’un silence qui laisse penser que la question était maladroite. Puis, dans un nouvel élan il ajoute « je ne comprends pas qu’une personne puisse nous donner son accord pour figurer sur notre liste. Puis, sans nous prévenir, rédiger une lettre pour se retirer de notre liste. Non, je ne le comprends pas ». Le silence qui suit la déclaration est aussi lourd que l’aveux de désillusion. Il faudra encore insister pour avoir un début d’explication.

On s’étonne de « la démission des Mourides » qui ont quitté la liste AMI. Après un moment de réflexion, le Cheikh s’avance. « C’est vrai, à Rosny, les Mourides ont une mosquée. Ils sont membres de la FFAIACA. Ce sont donc des délégués naturels de notre liste. Nous avions inscrit Bachir Fall comme délégué de la mosquée de Rosny. Mais quand ils (ndr, l’UOIF) l’ont su, un haut responsable est allé voir Bachir et lui a raconté des choses sur le compte des membres de la liste (ndr, AMI)…(silence) Je ne sais pas si vous connaissez les Mourides. Ces sont les disciples de Cheikh Amadou Bamba. Un grand marabout, un chef religieux, du Sénégal. Un Mouride ne peut pas imaginer qu’un dignitaire musulman qui est de surcroît Arabe, comme l’était le Prophète, puisse dire des contre-vérité. C’est là une chose qu’un Mouride ne peut pas imaginer. Je pense qu’ils ont cru ce qu’on leur a raconté ».

En définitive, sur les cinq Mourides qui figuraient sur la liste AMI, deux ont démissionné. Une lettre de démission aurait été produite à la commission électorale par un dirigeant de l’UOIF.  Le M. Fassassi, secrétaire général de la FFAIACA n’en était pas informé. Le président de la FFAIACA n’avait pas l’information non plus.

La loi du maillon faible

 

« Quand s’installe une culture démocratique, les minorités doivent être représentées », explique Cheikh Gnabaly. « Nous ne voulons pas diriger le CFCM. Mais nous voulons juste exister. Et le Dr. Dalil Boubakeur l’a compris. Il nous a beaucoup soutenu. Et il nous a même encouragés. Nos frères marocains aussi.  Mais avec l’UOIF, il y a eu beaucoup de problèmes et c’est dommage parce que nous nous sentons proches d’eux» ajoute le Cheikh avec regret.

 

Dans la configuration des listes en compétition, la Grande mosquée de Paris a son électorat prévisible à quelques unités près. Il en est de même pour la Fédération nationale des musulmans de France. Ces deux grandes fédérations, jouant essentiellement sur des fibres nationalistes ont des soutiens sûrs et souvent identifiables. Par contre l’UOIF, fidèle à ses choix, reste la seule fédération libre vers laquelle peuvent se tourner les délégués qui ne veulent s’affranchir des influences des chancelleries étrangères. Car malgré le nombre respectable de mosquées qu’elle dirige, l’Union est loin du compte. Et la liste de l’Alliance des musulmans indépendants s’inscrit dans la ligne de l’autonomie tracée par l’UOIF. Cette proximité idéologique est la source de cette compétition ouverte. La loi du maillon faible peut faire effet.

 

Cependant, l’UOIF est largement plus puissante, plus présente et plus aguerrie que l’AMI. En cela, il n’y a aucune commune mesure. Car l’Union est un mouvement national connu et reconnu comme tel avec une audience que nul ne lui conteste. L’Alliance émane de l’Union des associations musulmanes du 93, une jeune association, à peine sortie des ses conflits internes, et dont le rayonnement et les ambitions ne dépassent pas les limites de la Seine Saint-Denis. Certes, en gênant la participation de l’AMI à ces deuxièmes élections du CFCM, l’UOIF peut se garantir un meilleur score électoral. Mais pour cela, était-ce bien nécessaire de tirer sur une ambulance ? Cheikh Gnabaly n’est pas seul face à cette désillusion.






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