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Atlas mondial des sexualités : la mondialisation de l’intime

Rédigé par Ismaël Ferhat | Samedi 2 Novembre 2013 à 06:00

           


La sexualité est au carrefour de plusieurs interrogations fondamentales des sciences sociales. Elle se situe à l’interface entre la nature et la culture, sujet inépuisable d’études pour les anthropologues. Elle pose la question des normes culturelles, qu’elles soient dominantes, minoritaires voire en marge. Elle pose, enfin, une dialectique sans cesse renouvelée entre la mondialisation et le maintien de spécificités locales.

Ce n’est pas un hasard si les sciences sociales, depuis Freud, donnent une importance sans cesse renouvelée à la sexualité, qui est à la fois parmi les pratiques les plus universelles et en même temps les plus régulées par les sociétés.

Un travail ambitieux et à échelles multiples

Etudier un Atlas mondial des sexualités* est un véritable défi : d’une part, quels sujets sélectionner pour une telle étude ? D’autre part, comment réunir des données comparables d’un bout à l’autre du globe, qui plus est sur un sujet qui est précisément l’un des plus difficiles à quantifier et à aborder ? Par exemple, l’étude de l’homosexualité reste matériellement malaisée, voire impossible, dans de larges parties du globe. De même, l’évaluation de pratiques sexuelles discrètes (échangisme, infidélité) ou violentes (agressions sexuelles, viols) constitue une « boîte noire » difficile à mesurer.

La somme de travail et de synthèse nécessitée est aussi importante qu’est aisée la lecture de l’ouvrage : sa clarté n’est pas la moindre de ses qualités, tout comme la ténacité déployée par les auteurs à compiler des données souvent difficiles à recueillir.

Un atlas aux multiples échelles

Le titre peut être trompeur : en effet, utilisant une technique centrale de la géographie, les auteurs recourent à l’analyse à différentes échelles. Ils passent ainsi avec bonheur de cartes mondiales à l’étude des pratiques sexuelles très localisées, comme, par exemple, dans les jardins du Carrousel du Louvre (p. 85) ! D’autres échelles sont utilisées, par exemple l’analyse de l’Union européenne, de pays et de villes.

Le postulat fondamental de l’étude est que la sexualité, loin d’être une donnée « naturelle », est géographiquement, socialement, économiquement et culturellement située. Ainsi, il existe un célibat rural (plutôt masculin, comme le montre le grand nord canadien, p. 40) comme il existe un célibat urbain (plutôt féminin, comme le montre la carte de New York, p. 41). De même, la géographie sexuelle de l’Europe risque de remettre, chez certains lecteurs, des idées reçues et des stéréotypes nationaux en question (p. 30-33). La carte de la fréquence des rapports sexuels par pays risque ainsi de réserver des surprises.

Le sexe, entre mondialisation, individu et différences

Les auteurs abordent le sujet de manière plurielle. Certaines pages feront probablement sourire : ainsi, la géographie de la plage d’Agde (p. 34) ou des dragues homosexuelles dans les Canaries (p. 84) susciteront chez nombre de lecteurs quelques gauloises remarques. D’autres feront réfléchir : la recherche sans cesse plus poussée de la performance masculine favorise par exemple le recours à des stimulants ou des aphrodisiaques, qui pèsent lourdement sur la biodiversité. Les rhinocéros en sont des victimes collatérales (p. 58-59).

Certaines pages évoquent des sujets autrement plus dramatiques : les viols de guerre sont recensés et localisés (p. 68-69). La somme et l’extension de vies brisées par ce qui constitue depuis une période récente un crime de guerre font froid dans le dos. De même, la sociologie des agressions sexuelles envers les femmes en France (p. 70-71) rappelle qu’aucun groupe socio-culturel n’est épargné : la responsabilité individuelle des agresseurs ne saurait se cacher ici derrière une explication collective et sociologisante.

La sexualité comme norme juridique

La sexualité est d’abord définie par des normes juridiques. L’âge de mariage ou de maturité sexuelle, la forme et le périmètre des unions, la contraception, la reconnaissance légale de l’homosexualité sont autant de paramètres aussi importants que variables selon les pays (p. 8-27).

Ces règles sont probablement l’aspect le plus aisément repérable de la cartographie des sexualités. Elles sont aussi les plus trompeuses : en effet, les différences de règles favorisent à la fois des formes de clandestinité (on peut facilement deviner que les lois anti-homosexuelles ne signifient pas l’absence d’homosexualité mais sa dissimulation face à la répression) et de flux. Ainsi, le tourisme d’IVG, au sein des Etats-Unis, traduit les différences entre ses Etats fédérés. Les auteurs mettent en avant une carte de la liberté sexuelle légale, qui rappelle que tous les systèmes politiques n’offrent pas la même palette de droits. La géographie de la liberté sexuelle reflète par bien des aspects la carte des libertés (p. 27).

Conflit d’échelles

La sexualité met en exergue les conflits entre la mondialisation et les règles nationales. C’est particulièrement le cas de la prostitution, activité que la plupart des pays entourent de restrictions, et qui pourtant est au cœur des flux migratoires et économiques (p. 52-55). Les cartes mondiales de la prostitution rendent éloquente la difficulté à éradiquer cette activité, tant les flux du commerce sexuel sont nombreux.

De même, l’industrie du sexe crée des secteurs qui peuvent être florissants (sites de rencontres, lieux festifs dans les grandes villes) et d’autres qui sont en crise (exemple des cinémas X à Paris, qui ont quasi disparu).

Géographie des homosexualités

Dernière partie, qui ne peut être étudiée que dans les démocraties occidentales, la question des sexualités minoritaires est abordée de manière originale. A New York, Montréal ou Paris, l’émergence de quartiers gays a fait de ceux-ci à la fois des prescripteurs culturels, mais aussi des cocons protecteurs pour des homosexuels qui subissent toujours des formes d’hostilité en dehors de ceux-ci. La carte des gay prides (p. 82) au niveau mondial rappelle que des continents et des aires culturelles entières refusent littéralement la simple reconnaissance publique des minorités sexuelles.

Plus dérangeant encore, les auteurs rappellent que celles-ci ne sont même pas égales entre elles. Si les gays peuvent avoir une assise géographique bien définie dans certaines grandes villes, les lesbiennes continuent à être territorialement invisibles (p. 86-87). Décidément, la sexualité n’ignore ni les frontières, ni les préjugés, comme le montre cet ouvrage à mettre entre toutes les mains.

* Nadine CATTAN, Stéphane LEROY (avec l’aide de Cécile MARIN), Atlas mondial des sexualités. Libertés, plaisirs et interdits, Autrement, Paris, 2013, 19,90 €.





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