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Accusations d’islamophobie à Sciences-Po Grenoble : ce que l'on sait de l’affaire

Rédigé par | Mercredi 10 Mars 2021 à 17:30

           


Accusations d’islamophobie à Sciences-Po Grenoble : ce que l'on sait de l’affaire
Sciences Po Grenoble est au cœur d'une polémique depuis plusieurs jours. Vendredi 4 mars, deux enseignants accusés d’islamophobie par l’Union syndicale de l’IEP de Grenoble ont vu leurs noms placardés à l’entrée de leur établissement. Sur les affiches apparaissaient les phrases « Des fascistes dans nos amphis. Klaus K. et Vincent T. Démission. L'islamophobie tue », accompagnées d’une caricature de l’un des deux universitaires visés.

Les affichages ont été retirés le jour même mais des photos ont circulé sur les réseaux sociaux, notamment relayés par la branche locale de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF). « C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase », s’est exclamé Klaus Kinzler auprès de France Bleu au sujet de cette affaire qui remonte à fin novembre.

Un désaccord qui prend d'énormes proportions

Selon l’agrégé d'allemand qui enseigne depuis 25 ans à l'IEP de Grenoble, le point de départ de l'affaire est un échange de mails entre professeurs et étudiants dans le cadre d’un groupe de travail informel organisé pour préparer la Semaine de l’égalité et contre les discriminations du 30 novembre au 6 décembre 2020 sur le thème « Racisme, islamophobie et antisémitisme ». Une formulation non appréciée par le professeur d’allemand, qui s’est opposé à l’association du terme « islamophobie » à ceux de « racisme » et « antisémitisme ».

« J'ai dit très clairement que je n'aimais pas qu'on organise dans un même intitulé une journée consacrée au racisme, à l'antisémitisme et à l'islamophobie. Cela m'a choqué. C'est un non-sens de mon point de vue, mais on peut avoir un autre avis. Mais le fait de remettre en question cet intitulé a provoqué une blessure chez les étudiants », a-t-il précisé pour France 3.

L'enseignant était opposé à des étudiants mais aussi, selon Libération, à une autre collègue, spécialiste de l’histoire coloniale du Maghreb. Le mot « islamophobie » a fini par être retiré de l'intitulé en discussion mais pour le laboratoire CNRS-Sciences-Po Grenoble dont l'enseignante est membre, « nier, au nom d’une opinion personnelle, la validité des résultats scientifiques d’une collègue et de tout le champ auquel elle appartient constitue une forme de harcèlement et une atteinte morale violente ».

L'affaire a pris une nouvelle tournure en janvier lorsque l’Union syndicale (US), majoritaire à l’IEP de Grenoble, a reproché publiquement au chercheur, sur ses réseaux sociaux, de considérer les personnes victimes d’islamophobie comme des « victimes imaginaires ». De son côté, Klaus Kinzler affirme que les extraits de mails relayés par l'US ont été transformés.

Une enquête judiciaire ouverte

Lundi 22 février, l’US a lancé un appel à témoignage invitant les étudiants à relayer des « propos problématiques » cette fois tenus par Vincent T., chargé dans le cadre d’un cours intitulé « Islam et musulman dans la France contemporaine ». Dans ce nouveau message, le syndicat demande aussi à ce que les cours du professeur, accusé d'islamophobie, ne soient pas reconduits l’année prochaine. Celui-ci, contrairement à Klaus Klinzer, ne s'est pas exprimé dans la presse.

« Étant donné les problèmes d’islamophobie de certains professeurs de l’IEP, l’Union syndicale souhaite retirer ce CS des maquettes pédagogiques pour l’année prochaine si, lors de ce cours, des propos islamophobes y étaient dispensés comme scientifiques », pouvait-on lire sur leur page Facebook. En réponse, le maitre de conférences avait, dans un courriel, demandé aux étudiants affiliés à l’US « de quitter immédiatement (ses) cours et de ne jamais y remettre les pieds ». Une injonction qui avait fait l'objet quelques jours plus tard d'une plainte pour « discrimination syndicale », depuis classée sans suite.

Après l'affichage des noms début mars à l'entrée de l'IEP et la polémique qui s'en est suivie, le procureur de la République de Grenoble a ouvert une enquête pour « injure publique envers un particulier » et pour « dégradation de bien par inscription, signe ou dessin ». La ministre de l’Enseignement Supérieur Frédérique Vidal, dont les propos sur « l'islamo-gauchisme » en février ont fait bondir le monde universitaire s’est exprimée via un communiqué lundi 8 mars pour dénoncer « ces tentatives de pression et d'intimidation qui viennent troubler les missions de l'établissement ». Elle informe aussi qu’une mission de l'inspection générale de l'éducation va être menée en complément de l’enquête judiciaire « afin d'établir les responsabilités de chacun et de contribuer à rétablir la sérénité au sein de cet établissement ».

Un appel à l'apaisement lancé

L'équipe pédagogique de l'IEP de Grenoble a, elle aussi, fermement condamné ces collages dans un communiqué rédigé à l'issue d'une Assemblée générale lundi 8 mars. « Nous condamnons fortement et fermement ces actions dangereuses pour nos collègues, notre institut et notre démocratie. Des vies sont aujourd’hui en danger et c’est intolérable. Nous affirmons notre confiance dans les instances compétentes pour établir les responsabilités de chacun », lit-on.

« Nous en appelons aujourd’hui à l’apaisement. Nous réaffirmons notre confiance dans la Direction de notre institut pour mener à bien les actions qui nous permettront de sortir de cette crise par le haut. Celle-ci témoigne de l’existence de conflits et de controverses qui dépassent la simple échelle de Sciences Po Grenoble. Nous saurons prendre toute notre part dans leur résolution et leur éclairage scientifique. »

Quant à l’UNEF, elle a affirmé ne pas être à l'origine des collages au cœur de la polémique mais a reconnu une communication de sa section locale « irresponsable ». « Ce ne sont en aucun cas des méthodes appropriées d’afficher des noms. C’est un affichage qu’on ne soutient pas, car cela ne correspond pas à nos méthodes et cela comporte un risque de vindicte sur les professeurs », a indiqué la présidente du syndicat, Mélanie Luce, sur BFM TV. Mais l'UNEF de Sciences Po Grenoble maintient que « des propos que nous considérons islamophobes, racistes et réactionnaires ont été tenus par des enseignants. Et il est de notre devoir de les dénoncer ».

Klaus Klinzer, actuellement en arrêt de travail, a déclaré pour sa part, ne pas avoir porté plainte. « Mais, je vais peut-être devoir le faire. Car, me traiter d'islamophobe est non seulement diffamatoire mais dangereux, quand on repense à ce qui est arrivé à Samuel Paty, dont le nom avait été jeté en pâture sur les réseaux sociaux. » Les deux enseignants font l’objet de mesures de protection susceptibles d’être renforcées, a indiqué le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

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