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Points de vue

Tariq, #MeToo et nous

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Mercredi 6 Décembre 2017 à 11:57

           


Tariq, #MeToo et nous
Je déteste l’emballement médiatique, celui qui nous fait passer d’une polémique à une autre. Celui qui nous oblige à répondre en un temps record au tutoiement de Jupiter adressé au Président burkinabé, celui qui nous oblige à nous intéresser aux énièmes propos vains d’un ancien Premier Ministre qui tente désespérement d’exister médiatiquement.

Ce spectacle m’a étouffée, frustrée et a réduit à néant ma confiance envers les médias, sauf exceptions de quelques résistants.

Quand on est militant.e antiraciste, musulman.e, engagé.e, et juste un.e français.e désireux.se de voir se concrétiser la devise républicaine autrement que sur le papier ou tout simplement présente dans les sphères de débats que nous offrent les réseaux sociaux, l’emballement est toujours plus grand.

Parce que, vous le vouliez ou non, vous êtes trainé.e.s sur la place publique de façon si récurrente que vous avez oublié que ce que pouvaient être la France et les médias sans ces marronniers, sujets fétiches qui reviennent en boucle et jouent le rôle subtil de dresser des pro- et des anti- sur la scène médiatique et politique.

En vrac, vous trouverez la « non-mixité », la « laïcité » à décliner à souhait, pour ou contre « Houria Bouteldja et le PIR ». Vous pouvez bien entendu agrémenter cette liste avec les termes « islamo-fascistes », « insécurité culturelle », « territoires perdus de la République » pour y ajouter de la tension et augmenter le nombre de partages, de retweets et d’insultes proférées.

La dernière campagne mondiale faisant suite à l’affaire Harvey Weinstein #Metoo avait pour objectif de dénoncer les violences physiques, sexuelles, psychologiques faites aux femmes. Cela a d’abord commencé par des femmes riches, puissantes et blanches.

Et comme tout slogan simple, percutant et facilement déclinable, la machine s’est emballée. En France, sexisme, misogynie, plafond de verre devaient être débattus. Pour le meilleur et pour le pire.

Le meilleur, ce sont les récits de toutes ces femmes connues et anonymes qui ont pris la parole, se sont réapproprié des évènements traumatiques. Et, pour une fois, enfin, chacune et chacun ont mesuré l’ampleur des dégâts. Oui, parce qu’à ce niveau c’est le seul terme qui me vient à l’esprit.

Pour une fois, quelques mois après la polémique sur Sevran et le « bar » supposément interdit aux femmes, après la réplique de Cologne à La Chapelle où les réfugiés étaient mis sur le banc des accusés, après les nombreuses thèses racialistes et ethniques sur les gènes des prédateurs sexuels, on pouvait enfin se rendre compte que la violence inscrite dans les rapports entre hommes et femmes étaient fortement liées à des rapports de pouvoir et de domination économique, sociale et psychologique.

Harvey Weinstein pouvait faire ce que bon lui semblait parce qu’il faisait la pluie et le beau temps à Hollywood. Et peut-être que c’est aussi ce qui s’est passé avec Tariq Ramadan, personnage iconique au sein des musulmans de France et d’Europe.

C’est à la justice aujourd’hui de trancher. J’aurais pu clore cette chronique ainsi. Comme pour tous les hommes connus ou anonymes, la parole des femmes aurait dû être écoutée puis alors la justice se serait emparée du sujet.

Mais je savais qu’à partir de la première accusation contre Tariq Ramadan, la machine allait dérailler.

Plus question de #Metoo, dès la première accusation contre le conférencier, il était question de chacun et de chacune d’entre nous. Les pour et les contre. Les complotistes et autres adeptes des théories où sionisme, illuminatis et nouvel ordre mondial voyaient dans cette épisode un moyen d’abattre le prétendu représentant des musulmans urbi et orbi.

Et les autres trop contents de pouvoir rappeler à quel point toute cette campagne ne servait qu’à noyer le pois(s)on de l’islam, véritable cause ontologique de l’aliénation des femmes, du joug et de l’oppression.

C’était trop beau. On pouvait rejouer un « eux contre nous ». C’était trop beau, on pouvait demander « aux musulmans de se justifier », d’expliquer leur « silence gêné » comme s’est permis de le faire la une d’un journal de goooooche.

Voilà, Tariq Ramadan a fait dérailler la machine et nous avons joué le rôle de victimes collatérales.

Retranchée dans un monastère en Égypte, ce n’est que par le truchement de mes proches que j’ai pris connaissance de la tragédie ramadanienne et des réactions de femmes et d’hommes pour qui j’ai une grande tendresse.

Trop contents de ce rebondissement, de nombreux médias ont tenté d’offrir la voix à des hommes et des femmes de culture et de confession musulmane pour qu’ils-elles s’expliquent, prennent position.

Alors que je regardais les péripéties de ces actes, je suis tombée sur un passage de James Baldwin dans un opus paru en 2015 sous le titre de Le Retour du cyclone reprenant ses articles de 1960 à 1985. L’auteur phare du mouvement civique, fidèle de Martin Luther King et de Malcom X, écrit en substance que justifier ses actions en fonction de l’image que l’Autre a de nous revient à être figé par l’opinion de ce dernier.

Je me souviens d’une amie noire qui se refusait absolument d’être en retard et se mettait une pression folle pour ne pas reproduire un cliché sur les Noirs. Pour ma part, je me suis longtemps refusé de parler comme bon me semblait pour m’éloigner du cliché de la banlieusarde au langage familier et reconnaissable. J’étais figée dans les préjugés qu’une frange de la population pouvait calquer sur moi. J’en ai eu marre de cette prison.

Si les polémiques en général et la Tragédie Ramadienne en particulier m’ont las-sée ce n’est pas tant que le sexisme et les rapports de domination ne m’interressent pas, loin de là, c’est simplement que je ne veux plus d’être figée par des schémas de pensée lénifiants et dangereux qui voudraient qu’à chaque fois que la machine déraille cela ait à voir et à faire avec ce qui touche de près ou de loin à une partie de mon identité.

S’il fallait que je parle de sexisme, alors Weinstein, Ramadan, Baupin et l’inconnu en bas de ma rue pourraient tous, sans discrimination, faire l’objet de mes mots.

Pour le dire plus clairement, le sexisme et les violences faites aux femmes ne sont ni une invention de l’islam, ni ne sont apparus soudainement en Europe et en France par l’arrivée de hordes de musulmans venus saccager un continent européen fantasmé, chimère que veulent croire et faire croire certains philosophes et politiques démagogues et populistes.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Samia Hathroubi
Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur



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