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Procès reporté à Rennes: fausse polémique et vrai débat.

Rédigé par Rachida Douadi | Mardi 9 Septembre 2008 à 14:15

           

Comment un report de procès dans une banale affaire de braquage a pu occuper la scène médiatique ce vendredi 5 septembre? Tous les ingrédients pour une créer la polémique étaient réunis: un accusé de confession musulmane, une demande de renvoi de procès motivée, entre autres, par l'état de faiblesse due au jeûne et une succession de condamnations immédiates.



Procès reporté à Rennes: fausse polémique et vrai débat.
En quelques heures, l’information a enflé créant la polémique. La semaine dernière, un procès pour braquage a été de nouveau reporté par la cour d’assises de Rennes (Ille-et-Vilaine). Mais cette fois-ci, c’est l’état de jeûne d’un des sept accusés qui a largement été commenté ce vendredi. Après plusieurs demandes de renvoi, les avocats de la défense ont fait valoir dans une lettre adressée au parquet le 27 août, les risques d’inégalité dans lesquels se serait retrouvé leur client au quatorzième jour de jeûne, à l’ouverture du procès prévu initialement le 16 septembre prochain : « Il n’y a jamais eu de raisons liées à des considérations religieuses. Les conséquences du ramadan ne sont qu’un argument parmi d’autres motivant notre demande », insiste Maître Choucq, un des avocats de l’accusé, Mohamed Bouferkas. Selon lui, « cette polémique est une tempête dans un verre d’eau » a-t-il déclaré, vendredi dans Le Parisien. Et dans une interview accordée à Ouest France, hier, l'avocat précise que «s'il n'y avait eu que ce motif, le procureur général de Rennes aurait eu toutes les raisons pour refuser le renvoi.» D'ailleurs, poursuit-il, «la décision de renvoyer le procès a été prise avant la requête invoquant le ramadan.»

Les réactions d’indignation ne se sont pas fait attendre vendredi. Plusieurs personnalités politiques, de syndicats et des responsables d’associations sont très vite montés au créneau. Fadela Amara, la première. Interrogée par Libération.fr, la secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la ville, a même regretté que le ministère public ne se soit pas opposé à cette demande de renvoi : « ça aurait été bien vu à mon avis. » Car selon elle « ce type de décision est un coup de canif qu’on tente de porter à la République laïque. » Le Syndicat de la magistrature par la voix de sa secrétaire générale, ensuite. Hélène Franco a rappelé, sur le même site, que « l’organisation judiciaire ne peut pas être calquée sur un calendrier religieux ». Une atteinte au principe de laïcité condamnée, dans la journée, par SOS-Racisme « si la cause de report est bien celle-là », précise le communiqué. Car tous ont réagi plutôt par principe que sur les faits eux-mêmes.

Des reports courants

Pourtant, les autorités judiciaires rennaises ont opposé un démenti formel dès vendredi. Le procureur général, Léonard Bernard de la Gatinais, a indiqué, lors d’une conférence de presse, que sa décision a été prise « au vu de plusieurs éléments » et qu’« en aucune façon, le motif du ramadan n’a été retenu », ce qui aurait été « totalement contraire à tous les principes républicains de laïcité » a-t-il ajouté. D’ailleurs, l’ordonnance de renvoi, datée du 2 septembre, ne mentionne en aucun cas cet argument. Et, selon le document signé par le président de la cour d’assises, le procès a été reporté au 19 janvier 2009 « dans le souci d’une bonne administration de la justice ». D’autant plus que les autres avocats de la défense s’étaient associés à la demande ainsi que la plupart des avocats de la partie civile, rappelait un article du Monde (1).

Car il s’agit bien plus d’une affaire à rebondissements que d’un nouvel assaut des musulmans contre la République laïque. Le procès a déjà été ajourné en février dernier: l'un des enquêteurs, actuellement poursuivi, est accusé d'agression sexuelle sur le principal témoin. Et son jugement doit être prononcé avant l'ouverture du procès. D’autre part, quatre personnes liées au dossier devraient être jugées dans une histoire de stupéfiants. Des éléments qui auraient pu peser sur l’impartialité de la cour. Ce qui a amené le procureur à accepter la requête des avocats de la défense : « Au vu de tous ces éléments, j’ai estimé ne pas avoir à m’opposer à cette demande de renvoi, afin de retrouver au début de l’année un climat de sérénité dans cette affaire »

De son coté, Me Pierre Abbeg, avocat de plusieurs parties civiles, n’en démords pas. Dans ses déclarations à la presse, il défend le fait que le ramadan est « le seul élément nouveau qui a entraîné la décision du président de la cour d’assises». A cet argument, Me Yann Choucq s’interroge : « Je ne comprends pas d’ailleurs cet emballement médiatique alors qu’il est d’usage d’obtenir des reports pour cause de fêtes juives ou autres. De même qu’il n’y a pas d’audiences à Noël ou à Pâques. Y aurait-il des religions plus respectables que d’autres ? ». Au tribunal de Grande instance de Paris, les avocats et magistrats ne s’en cachent pas. « Des reports pour motifs religieux ? J’en fais fréquemment » confie à Libération (2), Serge Portelli, Vice-président des lieux et membre du Syndicat de la magistrature. Une pratique "banale" et "discrète", conclue à l’amiable d’après les avocats interrogés. Et, selon l’un d’entre eux, si les autorités judiciaires ont opposé un tel démenti c’est bien parce qu’elles « ne veulent pas assumer de positions publiques sur de tels sujets.»



(1) "Le ramadan au cœur d'une polémique judiciaire à Rennes", Le Monde, 7 septembre 2008
(2) "La justice s'arrange", Libération, 6 septembre 2008




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