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Points de vue

Migrations climatiques : ni cédons ni au catastrophisme ni au déni de la complexité

De Facto

Rédigé par Luc Cambrézy | Mercredi 27 Décembre 2023 à 08:30

           

Face aux aléas du climat, la mobilité a toujours été la condition la plus ancienne de survie des sociétés humaines. La question se pose désormais dans le contexte de l’origine anthropique des changements climatiques qui, s’ils s’avèrent irréversibles, pourraient provoquer d’importants déplacements de population dans des proportions et à des échelles que l’on peine encore à discerner. Des écueils sont cependant à éviter.



Que les aléas climatiques ou environnementaux soient exceptionnels ou saisonniers, la mobilité, temporaire ou définitive, a toujours été la réponse et la condition de survie des sociétés humaines. Mais depuis plusieurs décennies, ces populations, autrefois largement livrées à elles-mêmes, peuvent désormais espérer le soutien de l’assistance humanitaire (Ollitrault, 2010).

Qu’elle soit nationale ou le fait d’organisations ou d’associations internationales (agences des Nations Unies ou organisations non gouvernementales), celle-ci constitue une rupture majeure en ce qu’elle modifie autant les parcours migratoires que les choix individuels ou collectifs de partir ou de rester. Mais aujourd’hui, le changement climatique lié à l’action anthropique, avec son cortège de conséquences plus ou moins prévisibles et parfois catastrophiques, conduit à de nouveaux questionnements qui se poseront de plus en plus à l’échelle planétaire.

Raccourcis, amalgames, instrumentalisation politique

Dans le contexte des alertes répétées du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la perspective d’importants mouvements migratoires liés au réchauffement du climat ne doit pas conduire à des prédictions ou des raccourcis alarmistes, discutables, mais repris sans recul par les médias, certains courants politiques et idéologiques, voire, par des recherches peu soucieuses de rigueur scientifique. Avec le risque qu’un certain sensationnalisme s’avère en définitive contreproductif.

Ainsi, lier sans certitudes – comme certains médias le laissent parfois entendre – que toute catastrophe environnementale serait liée à l’action anthropique et aux changements climatiques mériterait davantage de prudence. En bordure de mer, la modification du trait de côte à la suite d’une forte tempête ou encore l’effondrement d’un pan de montagne consécutif à de fortes pluies n’ont en soi rien d’exceptionnel en ce sens que l’érosion – même si l’artificialisation des sols ne peut que l’amplifier – reste avant tout un phénomène naturel parfaitement connu.

De même, rechercher et « trouver » une corrélation entre le réchauffement climatique et les guerres civiles qui ont miné l’Afrique au cours des dernières décennies – et, pire encore, aller jusqu’à avancer un nombre précis de morts en 2030 liés à cette corrélation – relève de l’hérésie scientifique (Cambrézy, Lassailly-Jacob, 2010). Une corrélation statistique ne fait pas une explication et, en Afrique comme ailleurs, on sait combien l’origine de ces conflits est avant tout à rechercher du côté du passé colonial, des guerres par procuration héritées de la Guerre Froide ou encore, du « tribalisme politique » ethnicisant les joutes électorales. Aussi difficile soit-il à entendre « le déni de la complexité » ne peut se justifier (Lavergne, 2010).

Enfin, exploiter l’argument du changement climatique pour avancer la menace de fortes « vagues migratoires » du Sud vers le Nord, peut alimenter bien des postures idéologiques nationalistes voire, ouvertement xénophobes. Venant à l’appui de la thèse du « grand remplacement », elle renforcerait celle de la « bombe démographique » liée à la « surpopulation » supposée ; entendre, de l’Afrique (Ehrlich, 1968). Une thèse pourtant largement démentie.

Entre populations déplacées, réfugiées et migrations économiques, tout se mélange

Que les catastrophes environnementales récurrentes (cyclones, inondations, glissements de terrain, sécheresses, etc.) soient liées ou non aux changements climatiques, celles-ci peuvent en effet provoquer des déplacements significatifs de population. Cependant et pour l’heure, ces derniers se produisent généralement sur de courtes distances, pour de courtes durées et ne débordent que très rarement les frontières politiques des États.

Par conséquent, en s’en tenant au concept de réfugié telle qu’il est défini par la Convention de Genève de 1951, la notion de « réfugié climatique » ou de « réfugié de l’environnement » ne peut qu’ajouter à la confusion. Dans l’état actuel des relations internationales et dans le contexte toujours plus restreint du droit d’asile dans la plupart des pays d’accueil, l’hypothèse de l’élargissement de la définition – réclamée par certains – ne sera pas à l’ordre du jour avant longtemps.

Une classification dépassée des différents types de migrations ?

Migrations internes ou internationales, spontanées ou forcées, saisonnières ou définitives, migrations économiques, de travail ou « de confort » (tourisme, santé), migrations pendulaires, etc., le champ des mobilités est immense et s’entremêle souvent. Mis à part les populations réfugiées dont la définition est inscrite dans le droit international, la recherche académique se satisfait mal de ces catégories en vigueur souvent trop binaires et peu à même de caractériser la dimension multifactorielle dans la décision de migrer ou de rester (Véron, 2021).

Dès lors, face à la diversité des situations observées dans l’espace comme dans le temps, quel statut accorder à la notion de « migrations climatiques » ? D’ailleurs, faut-il le faire, avec quelle intention et pour quelles populations ? Les motivations (géo)politiques peuvent-elles rencontrer celles de l’assistance humanitaire ? Avec quelle place pour le droit ? Dans le désordre actuel des relations internationales, à quelle échelle les politiques migratoires peuvent-elles encore se penser ?

Pour répondre à ces questions, un champ immense de recherches et de réflexions se trouve ouvert. En l’état actuel des connaissances, sous réserve d’une réflexion plus approfondie que celle proposée ici, et dans la mesure où les « migrations climatiques » deviendraient un concept opératoire, ces dernières exigeraient d’être autrement mieux documentées qu’elles ne semblent l’être.

Les sombres perspectives qu’annoncent les changements climatiques n’autorisent ni le sensationnalisme, ni le catastrophisme, ni le déni de la complexité ; autant de dérives contre-productives qui peuvent alimenter aussi bien le climato-scepticisme que des idéologies douteuses et discriminatoires. Pour sortir de la confusion, s’impose une analyse rigoureuse mais mesurée des situations locales comme des termes employés. Le réchauffement climatique réinterroge les classifications habituelles sur les mouvements de population et le statut des migrants. Il est temps de s’y employer et les chercheurs doivent y prendre toute leur part.

*****
Luc Cambrézy est directeur de recherche honoraire à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), et professeur des Universités honoraire à l’Institut français de Géopolitique (Université de Paris 8, Vincennes Saint-Denis). Il a mené en partenariat avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), de nombreuses recherches sur les conditions environnementales dans les régions d’accueil des réfugiés au Kenya et en Ouganda. Il a également été juge assesseur représentant le HCR à la CNDA entre 2000 et 2003. Première publication dans le dossier « Migrations et climat : la fonte des certitudes » dirigé par Audrey Lenoël et Jérôme Valette, De facto 36, mis en ligne en décembre 2023 et disponible ici.

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Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par François CARMIGNOLA le 27/12/2023 08:49 | Alerter
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La surpopulation africaine source inéluctable de migrations internes et externes est une réalité et la citation datée de 1968 (!!) ne la contredit pas.
Déjà responsable principal des guerres actuelles ethniques au Sahel, cette surpopulation, en l'absence de développement effectif global de l'Afrique, a des effets multiples dont, évidemment, la fuite vers le nord, partie du problème, mais partie qui concerne les européens et qui est un problème en soi, même s'il n'est qu'un sous-problème...

Le "grand remplacement" est une réalité à terme (fin du siècle) avec les flux actuels qui n'ont pas d'équivalent dans l'histoire. L'Europe est évidemment obligée à moyen terme de fermer ses frontières comme ont commencé à le faire certains pays et on ne peut écarter des mesures encore plus radicales au gré des évolutions politiques en cours.

2.Posté par Fano le 27/12/2023 10:26 | Alerter
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Bonjour mr carmignola comment justifiez vous " le grand remplacement est une réalité à terme ( fin de siècle) " sur quel chiffre et sur quel étude ?

3.Posté par Fano le 27/12/2023 10:28 | Alerter
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Mr carmignola la surpopulation de l Afrique est en grande partie un mythe ,il y a moins d africains au km2 que d européens au km2

4.Posté par François CARMIGNOLA le 27/12/2023 16:38 | Alerter
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@fano Bonjour,
La prévision qui sert souvent de référence est celle de Michelle Tribalat
https://micheletribalat.fr/434872084/442406041
"les natifs au carré pourraient devenir minoritaires avant 40 ans d'ici 2060".

Bien sûr, préciser l'appréciation est difficile et complexe. Quelques éléments:
- La population européenne de souche est vieillissante et de faible natalité, on y trouve donc beaucoup de vieux et peu de jeunes
- Les flux de population originaire d'Afrique sont très important, maintenant à la hauteur de ceux des années 60, sans qu'il y ait le même taux d'emploi
- La fécondité des femmes immigrées originaires d'Afrique est très supérieure à celle des natives.

@Fano La surpopulation en Afrique dépend des zones concernées et la diversité africaine est extrême ! La bande sahélienne pourrait ainsi devenir inhabitable d'ici la fin du siècle du fait du réchauffement climatique...

5.Posté par Fano le 27/12/2023 22:46 | Alerter
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Mr carmignola c est intéressant mais si j ai bien compris avec les statistiques ethenique ça fait de vous un grand remplacent carmignola c est un nom d immigrés comme bardela ou Sarkozy alors ça fait quoi d être ce que l on dénonce?

6.Posté par François CARMIGNOLA le 29/12/2023 07:47 | Alerter
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@Fano
Le problème du remplacement tient au fait que l'immigration excessive est issue d'Afrique et s'installe sans changer ni sa culture ni sa religion, historiquement antinomiques de la native. Ce ne fut pas le cas de l'immigration européenne, entièrement assimilée, au point de donner des prénoms français à ses enfants.

Il vous faut savoir aussi que la France n'est absolument pas un pays d'immigration dans le sens que les peuples celtes qui s'y sont installés vers 1000 avant l'ère commune n'ont pas été vraiment ethniquement modifiés depuis.
Les invasions romaines ou germaniques ou même maghrébines (avant Poitiers) ne furent pas assez nombreuses, et les immigrations européennes du XXème siècle (Italie, Pologne, Espagne, Portugal) entièrement assimilées quand elles ne repartirent pas au moins partiellement (Italie et aussi Portugal).

L'immigration africaine de la fin du XXème siècle est ainsi du jamais vu dans l'histoire de France. Pour l'instant, alors que 70% de la population s'en inquiète ouvertement et cela dans toutes les enquêtes, les élites dirigeantes françaises n'ont absolument pas pris la mesure de la situation ni absolument rien fait contre.

7.Posté par Fano le 29/12/2023 09:32 | Alerter
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Mr carmignola Vous aimez madame tribalat petit cadeaux pour vous2/ Quelles sont les différences entre le diagnostic posé par Caldwell (celui d’une « grande révolution démographique causée par une immigration étrangère porteuse d’islam dans une Europe vieillissante et sur le déclin ») ou le vôtre, et la thèse de Camus ?

Je ne connais pas bien les différentes nuances incluses dans l’idée de grand remplacement avancée par Renaud Camus. Si l’idée de grand remplacement est seulement numérique et vise essentiellement les musulmans qui deviendraient très vite majoritaires en France, nous sommes loin du compte.

8.Posté par François CARMIGNOLA le 29/12/2023 19:39 | Alerter
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Vous avez tout à fait raison, le concept de Renaud Camus est beaucoup plus large et concerne tous les aspects du social !
Il s'agit d'une thèse globale qui associe aux changements de la société actuelle une tendance générale destructive de l'actuel (associé au passé) au profit de quelque chose de différent, hiérarchiquement inférieur, mais qui revendique au nom de l'égalité des droits la même identité formelle: un "remplacement" donc. Langue, religion, architecture, éducation, paysages, tout absolument tout est "remplacé" en France. Par moins bien, en plus. Camus est élitiste.

Camus exprime en gros la terrible tristesse de l'amérindien qui voit disparaitre complètement son monde au profit de celui d'envahisseurs en nombre. Ce sentiment fut explicité par l'anthropologue Claude Levi Strauss pour justifier un droit particulier des "natifs" (des "souchiens" comme certains disent) à ne pas vouloir être "remplacé".

Il faut bien comprendre que ce sentiment ne fut absolument pas partagé par les "colonisés" d'Afrique, qui restés majoritaires, subirent bien des oppressions de la part des colonisateurs, mais sans jamais être vraiment dépossédés de leur identité ou culture propre ni de leur nombre. Ce furent les amérindiens colonisés qui furent exterminés et remplacés sur leurs terres. Les Américains changèrent, pas les Africains.
De plus, ceux-ci ne connurent vraiment les occidentaux que brièvement dans leur histoire: à peine un siècle, le temps de la décadence de l'Empire Ottoman po...  


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