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Economie

Le halal,« un instrument de contestation des autorités musulmanes »

Rédigé par Huê Trinh Nguyen | Mardi 11 Février 2014 à 06:00

           

Le halal était au menu de Reed Expo les 5 et 6 février avec le Paris Halal Summit. Florence Bergeaud-Blackler, sociologue et chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence, a figuré parmi les conférenciers pour faire un point sur le marché du halal en France et l'état de la certification, qui se distingue par une pluralité des normes. L'occasion pour Saphirnews de revenir sur ce sujet qui a son importance pour les musulmans.



Le halal,« un instrument de contestation des autorités musulmanes »

Florence Bergeaud-Blackler
Florence Bergeaud-Blackler

Saphirnews : Peut-on encore considérer le secteur du halal comme étant un marché de niche ?

Florence Bergeaud-Blackler : Oui, le marché halal demeure un marché de niche. D’abord, il n’est pas spécialisé, c’est un segment du marché alimentaire, il n’y a pas de filière halal spécifique. La gamme halal est un moyen de valoriser des produits semblables aux autres, fabriqués avec les mêmes moyens de production.

C’est un marché de niche, car la concurrence entre produits marqués halal est faible. Les viandes halal bovines, par exemple, sont fabriquées par les grossistes qui, aujourd’hui, sont réduits à quelques groupes qui se comptent sur les doigts d’une main : le géant Bigard-Charal-Socopa, Elivia, Jean Rozé, Sicarev. Le marché de la certification est relativement peu compétitif dominé par cinq agences de certification en France, dont les agences des trois mosquées agréées pour l’habilitation des sacrificateurs (Paris, Evry, Lyon).

Le marché du halal semble continuer sa croissance, tandis que la communication faite par les acteurs économiques autour des produits halal semble encore frileuse. Quelle analyse portez-vous sur ce paradoxe ?

Florence Bergeaud-Blackler : Elle est frileuse, mais elle s’est considérablement développée. Ramadan 2008 a été un tournant, puisque cette année-là la grande distribution a osé son coming-out, c’était un an après la mise en place d’un pôle halal au salon MDD (Marques de Distributeurs).

Quand communication publicitaire il y a, celles-ci restent peu créatives et centrées sur le produit. Cette frilosité et ce manque de créativité seraient-ils dus au contexte politique de la France ?

Florence Bergeaud-Blackler : Je ne pense pas qu’elle soit peu créative. Certes, elle est encore dominée par les images orientales, mais c’est la loi du genre, renvoyer à un imaginaire festif, un peu comme la barbe, les rênes du père Noël, les chrétiens se sont habitués à ce folklore et n’y voient pas nécessairement d’atteinte à leur foi. De plus, pour être créative, il faudrait qu’elle renvoie à des produits innovants. Or, le marché halal l’est peu pour des raisons essentiellement économiques et parce qu’il concerne en France essentiellement l’alimentation. Il y a un gros décalage entre les images que renvoie le consumérisme islamique et ce que les salons du halal exposent à Paris, où les produits restent finalement assez conventionnels.

Autrement dit, est-il encore difficile de communiquer sur le halal dans un contexte politique parfois teinté d’islamophobie ?

Florence Bergeaud-Blackler : On voit que la parole identitaire se libère, elle est portée par l’extrême droite et semble d’ailleurs toucher aussi bien les non-musulmans que les musulmans. Les acteurs du marché ont horreur de ce climat.

Il y a un autre élément qui peut expliquer une communication mesurée : les musulmans qui consomment des produits de marque halal forment un groupe de consommateurs captifs sur lesquels les publicités des grands distributeurs (non musulmans) ont un impact limité. Ils se disent : à quoi bon communiquer, de toute façon ces consommateurs mangent halal, et leurs choix se portent sur des produits de réputation halal, une réputation construite par les réseaux communautaires, le bouche-à-oreille, la blogosphère musulmane, etc. Les affaires de « faux halal » chez Herta et Doux médiatisés par certains blogueurs à la plume très affutée peuvent jouer un rôle dans la prudence, voire le retrait, des entreprises non musulmanes pour qui le halal n’est qu’un débouché parmi d’autres. Ce serait différent, bien sûr, avec des entreprises musulmanes qui feraient du 100 % halal.

Selon vous, la charte du halal que le CFCM a tenté de mettre sur pied, même si elle s’avère nécessaire, verra-t-elle le jour ?

Florence Bergeaud-Blackler : Une charte du halal du CFCM, si elle voyait le jour, ne servirait pas à grand-chose. Les market players visent d’abord le marché international, puis le marché intérieur. Ils trouveront toujours des agences d’accréditation halal qui leur seront plus favorables. Une certification CFCM – et notamment à cause de l’image désastreuse de cette instance – ne pèse rien face à un certificat halal validé par le JAKIM (Département du développement islamique de Malaisie). Même une petite association bénévole au départ comme AVS, partie d’un quartier du 93, a réussi à construire plus de crédibilité que les trois grandes mosquées adoubées par l’Algérie, le Maroc, l’Arabie Saoudite et qui sont soutenues par les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture !

La crédibilité, la confiance sont essentielles sur le marché de la certification halal. Les dirigeants actuels de l’islam croient que c’est en s’emparant de celui-ci qu’ils augmenteront leur crédibilité, c’est exactement l’inverse ! Et les musulmans l’ont bien compris. Le halal est en train de devenir un instrument, très efficace à mon avis, de contestation des autorités musulmanes. Ce n’est pas étonnant qu’on retrouve parmi les militants du halal les jeunes générations ignorées par les anciens indéboulonnables qui, malgré leur incurie à résoudre les problèmes de la communauté, ne veulent pas y associer les plus jeunes. Ce modèle est en train de se fissurer et, on peut le regretter, se radicaliser.

En son absence, qui continue à tirer profit de l’absence de normes claires de certification halal ?

Florence Bergeaud-Blackler : Il est inutile d’attendre une norme unique de certification, il n’y en aura certainement jamais, pas plus qu’il n’y aura un jour une seule façon de pratiquer l’islam. Ceux qui m'opposent que la cacherout a bien réussi à produire une seule norme, je leur dirais d’aller voir ce qui se passe sur le marché casher, il est traversé de la même manière par d’interminables querelles !

Si l’on ne doit pas s’attendre à une norme halal unique, cela ne signifie pas pour autant que le consommateur de produit halal sera éternellement trompé. Un standard halal est un compromis, ce n’est pas une vérité religieuse. Même si une agence de contrôle ne peut pas garantir à 100 % qu’il n’y a pas de porc dans tel produit, elle n’est pas pour autant en train de tromper les consommateurs. Et je vais vous dire : si elle le disait, alors elle tromperait le consommateur ! Car aucun instrument scientifique, le plus perfectionné soit-il, ne pourra garantir que quelque chose ne contient pas de porc, sans indiquer au moins une marge d’erreur, aussi infime soit-elle. Elle dira la vérité, si elle dit : « Pas de porc, avec x marge d’erreur. »

Ce que peuvent faire les agences de contrôle et de certification, c’est dire aux consommateurs en quoi consistent leurs contrôles et les réaliser effectivement. C’est sur leur capacité à faire ce qu’elles ont promis qu’elles doivent être jugées, non sur leur compétence en matière théologique. Un contrôleur ou un certificateur n’est pas un mufti.






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