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Latifa Chay : « Des profils qui ont réussi et qui défient les statistiques de la sociologie, il y en a plein nos villes »

Rédigé par Yousra Gouja | Vendredi 11 Septembre 2020 à 11:00

           

« Osez » et « Restez fidèle à vous-même », c’est en substance le message que livre Latifa Chay dans son livre autobiographique « Sois une femme ma fille » dans laquelle la native de Romans-sur-Isère (Drôme) raconte son parcours de vie et ses engagements politiques qui l’amènent à être élue à tout juste 23 ans au conseil municipal de sa commune en 2008 puis maire adjointe en 2014. A 36 ans, et après une carrière de 11 ans dans les assurances, la jeune femme entame une reconversion professionnelle en devenant consultante freelance en développement et stratégie. Sans se départir pour autant de la politique, elle qui figure parmi les déçus de La République en marche (LaREM). Interview.



Originaire de Romans-sur-Isère où elle s'est engagée en politique, Latifa Chay est l'auteure d'un livre baptisée « Sois une femme  ma fille ».
Originaire de Romans-sur-Isère où elle s'est engagée en politique, Latifa Chay est l'auteure d'un livre baptisée « Sois une femme ma fille ».

Saphirnews : Racontez-nous votre rencontre avec la politique.

Latifa Chay : J’ai été élue au conseil municipal de Romans en mars 2008 et jusqu’au 29 juin 2020, en ayant été maire adjointe et vice-présidente au sein de l’intercommunalité. (…) J’ai écrit un chapitre sur ce que j’ai appelé « L’événement ». « Et en 732 après Jésus-Christ, Charles Martel chassa les Arabes hors de France. Les Arabes... comme Latifa. Parce que Latifa, c’est une Arabe. Nous, on est Français. » C’est là que mon institutrice (en CM1) est venue heurter mon identité et m’a poussé à me poser des questions (sur son identité, à 9 ans, face à une expérience du racisme qu’elle dit être la plus marquante, ndlr).

Les questions d’engagement et de politique sont très présentes dans notre famille. Notre père nous a appris à ne pas nous satisfaire du monde tel qu’il est, à nous battre pour la justice et l’émancipation. Dans notre famille, on partage ça, on aime parler de l’actualité. Mon père a d’ailleurs été délégué CFDT.

Vous parlez beaucoup de votre famille. Dans quelle mesure vous avez eu besoin de livrer un livre aussi intime ?

Latifa Chay : J’ai choisi des anecdotes très précises lorsqu’il s’agissait de parler de ma famille, pour impacter mes lecteurs. Si je parle de ma mère et de sa maladie, l’Alzheimer, c’est aussi pour expliquer l’impact de cette maladie sur la vie des gens. On est 11 millions de Français à être des aidants familiaux. C’est une réalité dont les hommes et les femmes politiques ne parlent pas du tout.

Femme, Française, Marocaine et musulmane, pourquoi est-ce important pour vous de le dire ?

Latifa Chay : J’ai été amenée à le faire. Quand je dénonce les différentes discriminations, ce n’est pas moi qui les mets sur la table, ce sont les personnes qui le font. Oui, j’en fais une force en réalité. Mais le terme avec lequel j’ai le plus de mal est Maghrébine, surtout employé dans la bouche des détracteurs qu’ils l’utilisent comme un fourre-tout.

C’était aussi important pour moi de démystifier ce que c'est que d'être musulmane au quotidien dans la société française. Lorsque j’ai décidé de partager mon parcours de vie, j’ai fait le choix de parler de ma foi - qui ne me quitte jamais - en racontant simplement ce qu’elle est au quotidien, en parlant de ma spiritualité, de mes questions et parfois aussi de mes craintes, loin des fantasmes et des absurdités que l’on entend à longueur de plateaux TV. A ce propos, je peux vous citer mon slam présent dans mon avant-propos : « Je suis Française musulmane tout le temps », and so what ?

Latifa Chay : « Des profils qui ont réussi et qui défient les statistiques de la sociologie, il y en a plein nos villes »

Engagée au PS, puis sur une liste citoyenne, et enfin avec En marche, quel est votre rapport à la politique aujourd’hui ?

Latifa Chay : J’ai vécu le traumatisme de 2002 dans ma chair. Militante au PS, je l’ai quitté suite au débat autour de la déchéance de la nationalité (en 2016, sous la présidence de François Hollande, ndlr), mais pas que. C’est aussi lié à la discrimination que je subissais localement des dirigeants du PS.

La seule fois où j’ai voulu quitter la politique, c’était suite à une agression sexuelle violente. D’Olympe de Gouges à Gisèle Halimi, il y a eu beaucoup de faits mais on en a encore tant à faire. Parce que ça reste difficile. La politique s’intéresse à vous-même si vous vous ne vous intéressez pas à elle, alors autant prendre sa place.

L'éducation est à défendre. Quand j’entends des élèves à la fin d’un Zoom, me dire « On sait qu’on peut réaliser nos rêves », cela me comble. Des profils comme le mien défient les statistiques de la sociologie. Et à Romans qui compte près de 45 différentes nationalités, il y en a.

Qu’est-ce qui vous a séduit avec En Marche au point d’y adhérer et que pensez-vous de votre parti aujourd'hui ?

Latifa Chay : Factuellement, j’ai d’abord quitté le PS. Je m’en explique assez longuement dans le chapitre 2. L’égalité que j’appelais de mes vœux n’était au PS qu’une chimère. Entre temps, j’ai créé un collectif citoyen ouvert à tous. Et peu de temps après EM, un homme de 38 ans arrive (Emmanuel Macron), dynamique, ambitieux et avec l’audace de proposer un projet qui se nourrira du meilleur des différentes sensibilités. Pour ne rien gâcher à son audace, il était ouvertement féministe. Je voulais participer à cette aventure « parce que c’est notre projet » !

Quoi penser de LaRem aujourd’hui ? D’abord, que je ne l’ai pas quittée, mais en y étant peu active car par rapport au projet de 2017, le compte n’y est pas. J’ai fait le choix de rejoindre Nous Demain, un mouvement qui se veut unificateur, ouvert, humaniste, écologiste et féministe (fondé en juin 2020 par d’anciens macronistes, ndlr). Un extrait de notre tribune : « Si nous nous sentons les héritiers de combats pour le progrès, l’émancipation ou la solidarité que la gauche a longtemps incarné, nous rejetons les injonctions à choisir un camp, à se positionner en fonction de concepts élimés qui, devenus des carcans, ont échoué à résoudre les questions du siècle, à commencer par la résorption des inégalités et des discriminations. »

Issue de l'aile gauche de LaREM, pensez-vous être toujours à votre place dans ce parti aujourd'hui à l'heure où sa droitisation est assez remarquée ?

Latifa Chay : Je ne viens pas de l’aile gauche de LaRem ; je suis une femme de gauche et je l’ai toujours été. Quant au constat de la droitisation du mouvement, je porte le même et le regrette car, comme je le disais plus haut, le compte n’y est pas par rapport au projet de 2017.

Romans-sur-Isère abrite le musée international de la chaussure pour lequel vous avez beaucoup œuvré pour l'améliorer en tant que maire adjointe à la Culture. Pourquoi ?

Latifa Chay : La culture est un gros portefeuille, cher aux hommes politiques. En tant qu’adjointe, changer le monde passe par le musée de la chaussure. Je viens d’un milieu modeste. Mon père est ouvrier et ma mère n’a jamais été scolarisée. On est un peu éloigné de la culture. La symbolique est énorme. C’est le premier musée que j’ai visité. J’ai compris l’importance que ça pouvait avoir dans une famille, dans la capacité à imaginer le monde, dans son rapport à l’autre. Je me suis mise au service de la mémoire de notre territoire avec un conseil scientifique et culturel et les acteurs du territoire. Quand on a des convictions politiques, il faut savoir les défendre quitte à sortir ses plus belles chaussures à un rendez-vous de négociation de budget.

Votre livre est auto-édité. L’avez-vous proposé à une maison d’édition au préalable ?

Latifa Chay : Oui, je l’ai fait. La première maison d'édition m’a dit : « Ce qui m’intéresse, c’est votre côté musulmane en politique. Vous serez une sorte de porte-drapeau. » J’ai fait un pas arrière, j’ai aussi un parcours social et politique à raconter. La deuxième m’a apporté des conseils intéressants avec un vrai échange mais, au final, c’était la même chose. « Voilà ce que j’aime lire », me disait-elle. J’ai décidé d’y aller malgré tout. Mon livre est arrivé en top 3 des ventes des autobiographies entre Elon Musk et Michèle Obama pendant la dizaine de jours qui a suivi le lancement (en juin, ndlr).

Rester soi-même et oser. Pouvez-vous revenir sur ces derniers messages de votre livre pour nos lecteurs ?

Latifa Chay : La vie, c’est comme un jeu de cartes. On ne sait jamais quelles cartes on va piocher. On en aura des bonnes, puis des moins bonnes. Et c’est avec nos cartes que l’on fait son jeu. On peut naître dans un milieu plus hostile qu’un autre, on peut cumuler des stigmates, on peut être discriminé mais, pour autant, on peut faire un bout de chemin, réussir, exceller et briser les plafonds de verre jonchés sur notre chemin.

C’est ce que j’ai fait - femme, jeune, pas du sérail, enfant de prolo et immigrés, musulmane - je suis passée d’une tour HLM au 2e tour d’une élection nationale. Des profils qui, parce qu’ils ne partent pas du même pied d’égalité, ont réussi et qui défient les statistiques de la sociologie, il y en a plein nos villes. L’audace est toujours récompensée, et la persévérance paye et oblige le destin.

Latifa Chay, Sois une femme ma fille. D’une tour HLM au deuxième tour d’une élection nationale, Auto-édition, juin 2020, 320 pages, 17 €.





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