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Lionnes et gazelles

Hajar, à la source de Zamzam, source de vie

Par Mehrézia Labidi-Maïza*

Rédigé par Mehrézia Labidi-Maïza | Vendredi 26 Mars 2010 à 09:33

           


Mehrézia Labidi-Maïza est coordinatrice de Femmes croyantes pour la paix.
Mehrézia Labidi-Maïza est coordinatrice de Femmes croyantes pour la paix.
Je voudrais parler d’une femme présente dans notre mémoire collective de musulmans, une présence discrète qui évoque celle de nos mères et grand-mères qui sont là pour prendre soin de tout le monde sans rien demander pour elles. Cette femme est Hajar, la mère d’Ismaïl, épouse d’Ibrahim et mère spirituelle des musulmans.

En parlant d’elle, je ne vais pas citer des textes ni répéter ce qui a déjà été bien dit par les spécialistes. Je veux plutôt dresser le portrait de cette jeune femme qui a intégré, malgré elle, mais par dessein divin, la première famille monothéiste, celle d’Ibrahim et de Sarah. Cette jeune maman qui a enfanté pour satisfaire l’instinct maternel d’une autre ; cette épouse qui s’est vue abandonnée par son époux au moment où elle avait le plus besoin de sa présence ; enfin, cette croyante qui, là où elle se croyait perdue dans une vallée aride, reçut le secours venu de Dieu ! Et quel secours ! Une source qui jaillit aux pieds de son bébé. La voilà ainsi promue d’une maman éplorée à une gardienne d’une source de vie ! Que fit-elle de sa source ?

Hajar est une jeune Égyptienne − certains chroniqueurs la disent princesse africaine capturée par Pharaon − donnée comme servante à Sarah qui, réalisant son incapacité à donner un enfant à Ibrahim, invita ce dernier à épouser sa servante.
En accouchant dans le giron de sa maîtresse, Hajar lui donnait son enfant, Ismaïl. La voilà donc membre honorée de la première famille monothéiste et mère de l’enfant qui assurera sa continuité.

Mais, par dessein divin, Hajar et son fils furent séparés de leur famille − la tradition musulmane ne retient pas tout, ou très peu de l’histoire de la jalousie entre Sarah and Hajar. Le Coran fait allusion à un ordre divin donné à Ibrahim d’installer une partie de sa famille de cette vallée aride afin de la peupler et d’en faire un lieu de pèlerinage pour les hommes. Imaginons un peu la scène : Ibrahim qui conduit sa jeune épouse et son enfant encore bébé jusqu’à cet endroit sans vie, désert − rien que du sable et de la pierre et peut-être quelques cactus rabougris −, les laisse et repart.

Que peut faire une jeune femme qui a grandi en Égypte dans les palais du Pharaon sur les bords du Nil et qui a été habituée à vivre dans le pays de Canaan, pays du lait et du miel dans ce désert ? Que pense cette jeune femme abandonnée ? N’a-t-elle pas donné un enfant à cet homme et adhéré à sa foi ? Pourquoi la récompense-t-il de cette manière cruelle ?

Eh bien, elle réagit en parfaite croyante, en faisant confiance à son Créateur et Seigneur, Dieu ! Elle demande à son époux si c’était la volonté de Dieu ? Quand il répondit répond : « Oui ! », elle sut qu’Il ne l’abandonnera pas. Au moment où tous les signaux sont au rouge : un endroit hostile, un abandon par l’époux et la responsabilité d’un enfant en bas âge, elle accepte de confier son destin à Dieu !

Essayons d’imaginer la force de caractère et de courage de cette femme. Comment a-t-elle pu vaincre ses peurs ? La peur des dangers connus du désert : les bêtes, la soif, la faim. Et la peur des dangers inconnus : l’obscurité, l’avenir, la mort, qui pouvait la guetter dans cette vallée aride… Et elle n’est pas seule : elle a un enfant à nourrir et à protéger… Comment faire face à une telle situation sinon avec une foi inébranlable en Dieu et une volonté farouche de survivre ?

Hajar me fait penser à toutes ces femmes refugiées qui fuient la violence de la guerre, la sécheresse et la famine, en emportant leurs enfants et en bravant des environnements très hostiles pour préserver la vie. Comme elle, elles développent très vite une capacité à gérer la situation et à s’adapter à la réalité, oubliant leurs peurs et leurs faiblesses.

Hajar nous raconte son histoire. Elle se retrouva seule, sans nourriture et sans eau. Elle déposa son bébé à l’ombre d’un arbuste maigre et entreprit sa quête d’aide et d’eau : elle courut entre les deux collines qui délimitent la vallée, Safa et Marwa, pour voir si des caravaniers passaient afin qu’elle leur demandât de l’aide. Elle fit sept fois ce parcours.

Imaginez une maman qui court comme une folle sur un sable brûlant à la recherche de l’aide pour son enfant, dont elle entend sûrement les pleurs ! Au bout de la septième course, nous dit-on, les pleurs de l’enfant se calment et la maman vient le voir pour découvrir une source d’eau jaillissant à ses pieds. C’est cette quête que revivent les pèlerins musulmans chaque année en souvenir de la recherche de l’eau et de la vie qu’effectua Hajar.

Ce n’est plus elle qui cherchait les caravaniers, ce sont les caravaniers qui venaient à elle, guidés par les oiseaux qui avaient repéré la source d’eau. Comme propriétaire de la source, elle avait le droit de décider de qui l’utilise et qui s’installe tout autour. C’est ainsi que cette vallée aride commença à vivre et à être peuplée grâce à la source offerte à Hajar, depuis devenue le puits Zamzam, considéré comme une eau bénite que chaque pèlerin cherche à boire et à en rapporter avec lui.

En bonne gardienne de sa source d’eau, Hajar fut à l’origine de la cité de La Mecque. Dieu lui fit don de l’eau et elle en fit un bien partagé avec ceux qui en avaient besoin. Il n’est pas du tout étonnant de lire dans la fameuse encyclopédie Lisân al-Arab que l’une des plus vieilles tribus arabes porte le nom de « Banou Hajar », enfants de Hajar. Et il est plus étonnant de savoir que cette tribu existe encore de nos jours, pour témoigner de la mémoire d’une maman exceptionnelle !

Hajar n’avait pas seulement préservé l’eau et partagé avec les autres. Elle avait aussi préservé et transmis le monothéisme à son enfant. C’est cette éducation qui a permis à Ismaïl de vivre l’épreuve de sacrifice en faisant confiance à son père et à Dieu, d’aider son père, plus tard, à édifier le temple de Ka‘ba − qui est le Lieu saint de l’islam par excellence − et de perpétuer les principes fondateurs du monothéisme dans la Péninsule arabique, qui ont refleuri avec l’avènement de notre Prophète [paix et bénédictions de Dieu sur lui].

Il est donc normal qu’Ismaïl enseigne à ses disciples que « les humains doivent partager l’eau, les pâturages et le feu ». Si on reformule cet enseignement avec un langage contemporain, cela donnerait : « L’eau, la nourriture et l’énergie doivent être des biens communs ».

En une phrase, on prescrit la solution à la crise du monde contemporain. Alors que les uns usent et abusent de l’eau, d’autres en manquent cruellement. Alors que les uns gaspillent la nourriture et la jette dans les océans, d’autres meurent de faim. Toutes les trois secondes un enfant meurt de faim quelque part dans le monde – essayez de compter le nombre d’enfants qui meurent pendant que vous lisez ces lignes ! Enfin, pendant que les uns accumulent la richesse en monopolisant les sources d’énergie, d’autres se damnent pour les acquérir !

En fait, qu’est-ce qui nous a amenés à parler de ces questions sérieuses qui se posent à notre monde actuel ? Ah oui, j’ai failli l’oublier, c’est Hajar, cette maman si discrète qu’on oublierait même qu’elle a existé.

Cette femme qui devrait être un exemple à suivre et dont nous devons être fières d’être des filles. Cette femme qui a fait un parcours extraordinaire : d’une esclave à la mère d’une nation ; d’une maman perdue à la gardienne de la source de vie, l’eau ; d’une femme qui porte l’immigration comme un destin (Hajar signifie notamment « l’immigrée ») à la mère qui transmet la foi et les valeurs essentielles.


* Mehrézia Labidi-Maïza est coordinatrice de Femmes croyantes pour la paix.






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