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Religions

Face au Covid-19, la mission des aumôniers hospitaliers musulmans très éprouvée

Rédigé par | Mardi 7 Avril 2020 à 11:00

           

Avec la crise sanitaire liée au Covid-19 en France, le quotidien des aumôniers hospitaliers, tous cultes confondus, a été bouleversé. Ceux et celles qui représentent le culte musulman ne sont pas épargnés. Alors que, dans ce contexte, les besoins d’écoute et d’assistance auprès des malades n’ont jamais été aussi importants, les aumôniers font face à de fortes restrictions dans de nombreux hôpitaux. Une situation paradoxale que ces professionnels « vivent mal », concède Mohammed Azizi, aumônier national en chef pour le culte musulman. Interview.



Face au Covid-19, la mission des aumôniers hospitaliers musulmans très éprouvée
C’est en toute discrétion que Mohammed Azizi, aumônier référent sur les sites de l’AP-HP Université Paris Saclay (regroupant sept hôpitaux), a pris le poste d’aumônier national hospitalier pour le culte musulman depuis février 2019, et ce à titre bénévole. « Le Conseil français du culte musulman (CFCM) m’a confié ce mandat et je me dois de l’assumer et le mener à bien », indique-t-il auprès de Saphirnews. Et c’est aujourd’hui, plus que jamais qu’il doit l’assurer, à l’heure où lui-même, comme l’ensemble des 350 aumôniers musulmans en France, doit affronter les conséquences de la crise sanitaire en milieu hospitalier.

Face aux demandes d’assistance qui ne tarissent pas, son aumônerie a été appelée à gérer la plateforme d’écoute psychologique et spirituelle lancé lundi 30 mars par le CFCM.

Pour sa première grande interview depuis sa prise de fonction, cet acteur franco-marocain du dialogue interreligieux, membre du collège des fondateurs Emouna - L’amphi des religions à Sciences Po, revient sur les implications de la crise du coronavirus dans le travail de ses aumôniers et adresse ses messages.

Saphirnews : Quelles sont les consignes générales que les aumôneries ont reçu des hôpitaux pour faire face à la crise ?

Mohammed Azizi : Compte tenu des pouvoirs dont dispose chaque directeur d’établissement public de santé pour conduire et accompagner la politique de l’établissement dans le cadre du territoire dont il relève, les instructions de limitation ou de suspension de visites aux aumôniers sont laissées à l’appréciation de chaque directeur pour cette crise si particulière du Covid-19. Je rappelle que les aumôniers hospitaliers, qu’ils soient salariés ou bénévoles, sont soumis à l’autorité du directeur et au règlement intérieur de l’établissement.

Avez-vous, en tant qu'aumônier en chef, adressé des recommandations particulières aux aumôniers du culte musulman ?

Mohammed Azizi : A l’heure actuelle, tous les aumôniers exerçant au sein de la communauté hospitalière musulmane se conforment aux instructions de leur directeur d’hôpital.

Comment la crise du Covid-19 affecte-t-elle les aumôniers hospitaliers ?

Mohammed Azizi : Cette crise affecte directement la mission des aumôniers hospitaliers puisqu’ils ont reçu des instructions de limiter leurs visites aux patients hospitalisés, voire même de ne plus se rendre sur les sites jusqu’à nouvel ordre. Des personnes mêmes non atteintes du Covid-19 sont empêchées de recevoir la visite d’un aumônier dans plusieurs hôpitaux.

Mohammed Azizi
Mohammed Azizi
Ce sont des restrictions qui ont un fondement légitime mais il est vrai que les aumôniers musulmans vivent mal les limitations de visites aux malades car le dialogue et l'écoute se trouvent être au cœur de la mission qui anime chaque aumônier. Or, ils sont beaucoup moins sollicités qu’avant alors que la demande n’a pas diminué, bien au contraire.

Personne ne peut vivre la maladie à la place d’un autre. En temps normal, le malade peut très vite se sentir délaissé. C’est encore plus le cas pour le malade qui vient de loin, de l’étranger, qui n’a pas d’attache familiale en France (ou dans la région où il est hospitalisé), qui maîtrise pas ou mal le français… Alors je vous laisse imaginer combien la situation actuelle leur est difficile.

Pour les aumôniers, c’est donc le sentiment de voir leur mission amputée de l’essentiel qui est difficile à vivre…

Mohammed Azizi : Oui. Avec un sourire, un toucher, un regard, le patient se sent généralement mieux, malgré le fait qu’il soit fragilisé par la maladie. Il doit sentir qu’il a toujours un rôle et une place dans la société. C’est aussi cela qu’apporte la visite d’un aumônier, un rôle dont il est privé aujourd’hui. Généralement, 90 % des sollicitations qui nous parviennent d’un malade consiste à lui donner de notre temps pour échanger et le sortir de son isolement. C’est moins le cas en ce moment.

Il y a un adage majestueux qui dit que la santé est une couronne sur la tête des bien-portants que seuls les malades peuvent voir. C’est une devise pour moi : je suis celui qui permet au patient que je visite de voir cette couronne. Les contraintes liées à l’épidémie ne sont pas faciles à vivre, c’est ce qui affecte la majorité des aumôniers musulmans.

Comment ont-ils adapté leur travail face à la crise ?

Mohammed Azizi : L’aumônier se doit d’assurer la continuité de son activité et d’accompagner le patient dans son cheminement spirituel en toutes circonstances. Mais certaines situations ne permettent pas aujourd’hui le suivi contigu, notamment pour les patients atteints du Covid-19.

Le lien pourrait être maintenu à travers des échanges téléphoniques ou multimédias. C’est le cas par exemple dans une unité de soins palliatifs qui vient d’être mise en place dans un hôpital en Ile-de-France (à Raymond-Poincaré de Garches, ndlr) réservée aux patients du Covid-19 où les échanges se font uniquement par téléphone.

Qu’en est-il pour vous, sur les sites de l’AP-HP Université Paris Saclay ?

Mohammed Azizi : Pour mon cas, tout se passe désormais que par téléphone depuis le 18 mars. Aucune visite n’est possible sur décision de la direction des sites dont je m’occupe.

(…) Je suis prêt, comme tous les aumôniers dans ma situation, à reprendre le chemin de l’hôpital mais nous sommes attentifs à ne pas enfreindre les instructions, ce serait contraire à nos engagements.

La question des rites funéraires est récurrente durant cette période. Comment faites-vous face à cette problématique ?

Mohammed Azizi : C’est en effet une question récurrente. Avant, l’aumônier avait le droit d’assurer les rites funéraires mais désormais, dans la plupart des hôpitaux, lorsque la mort frappe, ce sont les familles et les pompes funèbres qui sont directement appelées, plus les aumôniers.

Les aumôniers musulmans ne peuvent aujourd’hui plus faire ni toilette mortuaire, ni prière pour le défunt, ce qu’il était permis de faire avant la crise au moment de la levée du corps ou de l’enterrement. Nous sommes tributaires des instructions des hôpitaux.

Lire aussi : Morts du coronavirus : pourquoi le CFCM recommande de ne pas pratiquer les toilettes rituelles

Les aumôniers côtoient de près les personnels soignants. Qu’est-ce qui vous frappe en les observant ?

Mohammed Azizi : Nous voyons davantage le personnel soignant et administratif équipés de gants, de masques… Nous n’avons plus le temps de discuter avec eux, ils sont constamment en état d’alerte. Nous lisons le stress et la peur sur les visages des personnels soignants comme des usagers. Ce n’est plus comme avant.

Quels messages souhaitez-vous adresser aux équipes médicales, aux aumôniers et aux premiers concernés par le Covid-19, les malades et leurs familles ?

Mohammed Azizi : La France, à l’instar de tous les pays du monde, traverse une période exceptionnellement difficile. Je voudrais adresser mes remerciements au personnel médical et soignant pour leur engagement dévoué au prix, parfois, de leur sécurité personnelle.

Aux aumôniers, je voudrais leur dire que c’est l’occasion ou jamais de faire ensemble preuve de bon sens, de compassion et de solidarité, en attendant que le cours normal de la vie quotidienne reprenne le dessus.

Aux patients et aux familles, il faut qu’ils sachent que les aumôniers sont prêts à répondre à leurs questionnements (par le biais de la plateforme d’assistance, ndlr). Nous sommes là pour eux 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Qu’ils n’hésitent pas à appeler.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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