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Points de vue

Échec de l’islam politique ou crépuscule des « islamo-démocrates » ?

Par Romain Caillet*

Rédigé par Romain Caillet | Mardi 16 Juillet 2013 à 05:02

           


« La démocratie est à leurs yeux semblable aux idoles faites de dattes qu’adoraient les Arabes à l’époque antéislamique, ils y croient tant qu’elle leur est favorable puis la dévorent lorsque son verdict les prend au dépourvu. » Hassan al-Banna (1906-1949), fondateur des Frères musulmans.

Bachar Al-Assad est formel mais avec lui la fine fleur de analystes européens de la scène politique arabe : « Le résumé de ce qui se passe en Égypte, c’est la chute de ce que l’on appelle l’islam politique ! » Peu importe que celui qui nous assène cette analyse n’ait jamais triomphé par les urnes face au moindre opposant et que son refus de quitter le pouvoir ait provoqué une guerre civile et la mort de plus de 100 000 personnes. Sa formule, annonçant « la fin de l’islam politique » sera pourtant reprise par plusieurs éditorialistes aussi bien arabes qu’européens.

À bien y regarder, cette analyse n’est pas totalement dénué de fondement mais pourrait concerner un seul segment du champ islamiste, dont les « islamo-démocrates » issus des Frères musulmans sont en quelque sorte devenus le maillon faible. Chassé du palais présidentiel le 3 juillet 2013, un an et trois jours après son élection le 30 juin 2012, puis placé aux arrêts, le président déchu Mohamed Morsi a donc été chassé par un coup d’État qui aurait été légitimé par les manifestations massives ayant exigé la chute du « gouvernement des Frères ».

Pourrait-on imaginer un Barack Obama et ses ministres jetés en prison par des officiers nostalgiques des années Bush, débarquant le locataire de la Maison Blanche pour effectuer un « impeachment » à l’égyptienne ? À cette interrogation, on ne cesse de nous répondre par l’argument massue de l’« exceptionnalisme culturel », qui exigerait d’abandonner les « concepts occidentaux », voire « colonialistes », pour comprendre les dynamiques politiques en cours de l’autre côté de la Méditerranée. Soit.

Cependant, cette leçon donnée par les milieux libéraux pourrait à terme se retourner contre eux, leurs opposants pourraient en effet rapidement conclure que « l’islamisme qui marche » n’est pas celui qui ne s’appuie que sur la « légitimité démocratique ».

Sans doute la popularité du Hamas est-elle pour beaucoup dans son maintien au pouvoir dans la bande de Gaza, toutefois si le mouvement palestinien ne s’était appuyé que sur sa « légitimité démocratique », obtenue par les urnes face au Fatah de Mahmoud Abbas en janvier 2006, il aurait probablement subi le même sort que celui des Frères musulmans en Égypte.

On peut également s’interroger sur les performances politiques engrangées par le Hezbollah libanais, malgré le rejet – plus que justifié – dont celui-ci fait l’objet dans les milieux islamistes sunnites en raison du soutien militaire apporté par ses troupes au « régime alaouite » de Bachar Al Assad. Est-ce parce qu’il est le premier parti politique libanais que ses membres n’ont pas été arrêtés pour satisfaire au mandat d’arrêt émis par le Tribunal spécial pour le Liban, sous contrôle occidental, ou bien en raison de son arsenal et de sa puissance de feu ?

À l’heure où la contre-révolution, menée par les rescapés des régimes autoritaires arabes alliés aux libéraux et autres vaincus des urnes, triomphe sur les chars au Caire et peut-être demain à Tunis, il semble que désormais « l’islamisme qui marche » soit celui du Hamas, du Hezbollah ou même celui des talibans. Gageons que le modèle des talibans triomphants, qui sont en train de gagner leur guerre contre les États-Unis sans armes lourdes ni représentation politique dans les hôtels d’Istanbul, séduira davantage les révolutionnaires syriens que celui des « islamo-démocrates » qui remplissent aujourd’hui les geôles égyptiennes.

L’Occident aura « les islamistes qu’il mérite ». En cautionnant presque aveuglément la dépose militaire de la génération modérée des islamistes, il vient de donner un solide surcroît de légitimité à leurs successeurs, qui ne seront sans doute pas aussi légalistes, ou naïfs, que M. Morsi l’a été.

Romain Caillet, Beyrouth, le 15 juillet 2013.

* Romain Caillet est doctorant en histoire contemporaine.





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Alioun le 16/07/2013 14:15 | Alerter
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Quand je lis cette analyse, je me pose une question soudain... L'islam politique existe-t-il vraiment, en dehors des yeux et des livres des chercheurs ? Quelle est la part de réalité et de mythe dans un "islam politique". Que dit cet islam politique ? que fait cet islam politique ? Et surtout qu'est ce qui distingue "l'islam politique" de "l'islam du Prophète" ? Ce sont des questions que je me pose...

A mon avis, il y a une grande part de fantasme universitaire depuis longtemps dans ce qu'il est convennu d'appeler "islam politique". Parce que, à mon avis, ce qui se passe en Egypte aujourd'hui est la même chose qui s'est passé en Egypte avec les Frères musulmans: des femmes et des hommes qui ont dit NON avec les arguments de leur temps. Islam ou démocratie, c'est pas ça qui importe !! c'est très secondaire sauf pour les chercheurs. Et ils nous servent tellement cette soupe, qu'on finit par croire qu'il y a vraiment un islam politique. Mdr

Moi, ce truc là, je n'y ai jamais cru. Sinon comme un outil d'analyse ! là oui, mais pas une réalité.

2.Posté par Ahamadi le 16/07/2013 15:59 | Alerter
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Salam anlaykum!
L’Islam est avant tout une façon de savoir-être, de savoir-vivre, de savoir-avoir... avant d'être une religion comme le conçoivent certains. De ce fait, comme dit Alioun, le concept "islam politique" n'a de sens que pour ceux ou celles qui n'aiment que les raccourcis. En effet, pour cette catégorie de personnes dites chercheurs ou autres, la pensée et la réflexion s'arrêtent au bout de leur nez. Muhammad (saw) n'a-t-il pas été chef d’État? Les Prophètes Sulaïman et Daoud n'ont-ils pas été chefs d’État? Parlait-t-on d'Islam ou de religion politique?
Il se trouve tout juste selon moi que nous, les Occidentaux, surtout nos gouvernements, n'ont pas intérêt à ce qu'il y ait une deuxième Turquie voire une troisième dans le monde arabo-musulman. Vous imaginez des pays puissants et démocratiques dirigés par des personnes affichant une islamité humaine et solidaire au Moyen-Orient à côté d'un État sioniste pratiquant une politique d'apartheid et soutenu par les Occidentaux? Trop c'est trop! Mieux vaut soutenir des dictatures et des armées qui vont empêcher les peuples de se soulever contre cette injustice qu'endurent leurs frères et sœurs en Islam dans ces colonies? On penserait que je délire en disant cela. L'armée égyptienne n'est-elle pas financée par le criminel contre l'humanité, Barack Obama, aux alentours de 3 milliards de dollars par an? Tout est dit.
Comment voulez-vous que nos gouvernements justifient leur politique sécuritaire et liberticide actuelle si les ...  

3.Posté par Melki le 16/07/2013 16:10 | Alerter
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Moi, j'en ai plus qu'assez du paternalisme occidental donneur de leçon et de ces universitaires qui ne connaissent le monde et les gens (en particulier les musulmans) que par le prisme de leur petite vision étriquée.

Pourquoi toujours cette arrogance ? Qu'est ce que l'islamisme selon vous ? Et surtout "l'islamisme qui marche" "...l'occident aura l'islamisme qu'il mérite..." Qu'est ce que c'est que cette sémantique barbare qui ne veut rien dire.

Vous n'en avez pas marre de tous ces néologismes ? Et surtout ! Bon sang mêlez vous de vos affaires !!! A t-on déjà vu des analystes, philosophes, intellectuels arabes venir dire aux français et autres occidentaux comment il doivent gérer leurs états et surtout quels dirigeants sont bons pour eux ou non. Bien sur que non ! vous seriez les premiers à pousser de grands cris hystériques.

Ceux que vous considérez comme des "islamistes" comme vous dites pour les peuples arabes sont avant tout des musulmans.
Arrêtez de faire des musulmans de dangereux fanatiques des terroristes en puissance. Les peuples arabo-musulmans choisissent leurs dirigeants sans que ça ait un rapport avec votre petite personne ou ces chers dirigeants occidentaux qui veulent s'ingérer dans ces pays. Il est de notoriété publique, de toutes façon que ça arrange certains qu'il y ait des dirigeants "islamiques" comme vous dîtes, de cette manière, ils peuvent justifiés leurs projets odieux.

4.Posté par Sam Bladi le 17/07/2013 21:35 | Alerter
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Très bonne analyse.

La première phrase qui me vient à l'esprit, en lisant cet article, est celle du Dr. Faysal El Qasem qui est la suivante " Les partis "islamistes" ont le droit de participer au processus démocratique à condition qu'ils ne gagnent pas." Les cas algériens, palestiniens et égyptiens en sont un parfaite exemple. En soutenant les coups d'Etat l'Occident pense gagner sur du court terme mais sur du long terme c'est une toute autre affaire, car la démocratie perd toute crédibilité aux yeux des populations qui pensaient que celle ci était l'expression de leurs voix. Quand aux partis islamistes modérés, qui ont acceptés de participer au jeu des urnes, ils se rendent compte que même sur ce terrain là ce sont des personnes non gratas. Dans ce cas il ne reste que le rapport de force et à ce niveau c'est le peuple qui en paiera le prix cher.

5.Posté par Abdallah2104 le 21/07/2013 22:42 | Alerter
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@Melki : qu'est-ce que c'est que cette lecture que vous faîte où un homme du nom de Romain serait disqualifier de pouvoir décrypter les soubresauts du monde arabe au seul motif de son prénom? Vous dîtes n'importe quoi car je connais bien des Romains et Thomas qui en connaissent bien mieux sur le monde arabe que des gens avec des prénoms comme le votre!
Je rejoins donc pleinement l'analyse de l'auteur et de ce qu'a soulevé Sam Bladi : la démocratie ds le monde n'est pas pour demain car les forces de la Contre-révolution n'accepteront jamais de perdre leurs privilèges et sont prêts à décimer leurs peuples pr se maintenir au pouvoir.


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