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Votre revue de presse

Abd Al Malik :Rêver à plusieurs, c'est le début de la réalité

Rédigé par lila13@hotmail.co.uk | Mardi 7 Avril 2009 à 00:00

           


C'est l'histoire de Régis Fayette-Mikano, élevé dans la banlieue de Strasbourg par une mère seule avec six enfants. L'histoire d'un jeune garçon qui, comme tous ses amis de la cité, se trompe de héros. "Pour moi, c'était le dealer d'en bas, le braqueur du quartier, le personnage de Tony Montana dans Scarface." C'est l'histoire d'un jeune homme qui, après avoir vaincu sa dyslexie, se met à lire beaucoup. A écrire énormément. Il continue néanmoins de se tromper. Il entre en délinquance. Vol, agression aussi. Un soir, après avoir brusqué une dame âgée, il ne peut plus se regarder en face. Philosophie, lettres classiques, il étudie et fonde New African Poets, formation phare du hip-hop français du milieu des années nonante.

Chrétien de naissance, il se convertit à l'islam et découvre le soufisme, son cour. C'est l'histoire d'un jeune Noir qui a décidé de changer de héros et comme il le chante, "d'utiliser le mot, le mythe, l'amour et l'humour pour pénétrer au cour du vivant". C'est l'histoire d'Abd Al Malik. En tout cas, c'est le récit qu'il en donne. Après "Gibraltar" (écoulé à plus de 300.000 exemplaires), le nouvel album porte le nom d'un grand homme: Dante, auteur florentin du XIIIe siècle. Sa Divine comédie est un des chefs-d'ouvre de la littérature mondiale.

Abd Al Malik nous invite à faire face à ses chroniques. Celle de la petite Juliette, "assise à la place du mort". Celle de Gilles qui écoute un disque de rap, de ces années 80 qui ont vu la mort de Malik Oussekine par bavure policière. Outre le fidèle metteur en son Bilal, on trouve à l'écriture Gérard Jouannest, pianiste de Brel, et Alain Goraguer, arrangeur de mythiques albums de Gainsbourg. Pour certains, Abd Al Malik est la "face admissible" du hip-hop français. Le versant poli et bien rangé. Celui qui ne fait pas de mal, met sa colère au placard et prône la tolérance. Un garçon "trop gentil pour être honnête". Il cite les philosophes et dit que l'amour est la valeur suprême. Abd Al Malik met de côté le vieux refrain "nique la police" et parle de tolérance. "En un mois, en pleine crise du disque, mon album s'est vendu à plus de 60.000 exemplaires. Ce qui veut dire que je ne suis pas seul. Rêver seul, c'est un rêve. Mais rêver à plusieurs, c'est le début de la réalité."

Pourquoi Dante et sa Divine comédie?

Parce que ce livre parle du rapport au cheminement. Il dit que pour connaître le paradis, il faut traverser l'enfer. C'est avant tout sa démarche qui m'inspire. Lorsqu'il publie La Divine comédie vers 1320, tout le monde écrit en latin. Et que fait-il? Il l'écrit en toscan, dans la langue du peuple. Il pose ce qu'on appelle aujourd'hui un geste fort. En faisant cela, il dit que la culture, la réflexion ou le savoir ne sont pas réservés à une élite. C'est la démarche que je veux suivre.

Aujourd'hui, les gens branchés crachent sur les démarches populaires.

Ils se trompent. On dit effectivement que ce qui est populaire n'est pas artistiquement intéressant. C'est archifaux. La Joconde est le tableau le plus célèbre du monde et pourtant il est complexe. Plus près de nous, les films de Scorsese sont d'une intelligence rare, ce qui ne les empêche pas de rencontrer le succès. Ma démarche est de dire que dans sa culture populaire, le rap peut aussi amener sa part de complexité, de nuance et de réflexion.

Est-ce que vous avez peur de...

Je n'ai peur de rien!

Continuez.

Pour moi, on naît et puis on meurt. Entre les deux, on doit faire en sorte de remplir notre fonction. Etre à la hauteur du fait d'être un homme. Et puis c'est tout. Le reste est inutile. Avoir peur est un frein énorme. Ça nous empêche d'aller vers l'autre, d'être nous-mêmes. Donc je n'ai pas peur. Je n'ai plus peur. Grâce à la foi d'ailleurs.

Et votre colère, elle est où?

Elle est là, mais c'est ce que j'appelle une saine colère. Celle qui nous fait sortir d'une sorte de conformisme, d'immobilisme. La colère qui éveille les consciences. Celle qui nous pousse à dire non quand tout le monde dit oui. Pas par esprit de contradiction, mais pour dire que c'est notre rôle de faire bouger les choses. Ma colère, c'est être en sympathie, c'est m'émouvoir, être touché lorsque les gens souffrent. Les philosophes disent que l'acte premier est celui de s'étonner. C'est ça. Quelqu'un qui est en colère, c'est quelqu'un qui s'étonne.

Les maîtres mots de l'album peuvent paraître bateau de nos jours.

Oui, j'évoque notamment Roméo et Juliette, comme j'aurais pu parler de Kaïs et Leïla ou de Tristan et Iseut. C'est juste le fait de dire que, quoi qu'il arrive, tout ceci n'est qu'une histoire d'amour. En islam il y a une tradition prophétique où Dieu parle dans la bouche du prophète et dit: "J'ai été un trésor caché. J'ai aimé à être découvert, alors j'ai créé le monde". C'est donc une grande histoire d'amour.

Votre single C'est du lourd peut paraître donneur de leçons.

C'est marrant car on vit dans un monde où les gens ont du mal à saisir la différence entre un texte moral et un texte moralisateur. Je crois qu'il faut appeler un chat un chat pour pouvoir comprendre. Beaucoup de gens prennent tout au premier degré. Il est important de donner des références solides et réelles. Je ne peux pas dire qu'être délinquant, c'est bien! Il ne faut pas valoriser les héros de Scarface ou les grands patrons d'aujourd'hui qui, malgré les magouilles, passent entre les mailles du filet. Ce ne sont pas des héros. Non, moi, je parle des pères qui se lèvent à l'aube et vont bosser pour subvenir aux besoins de leur famille. Eux, ce sont des héros. Je sais comment le dealer qui traînait en bas de chez moi a fini. Je sais comment moi, qui n'ai pas suivi son chemin, je me porte aujourd'hui.

Mais vous êtes un cas à part?

Non, je connais la réalité des cités. Les délinquants, c'est une minorité. Il est important de comprendre que dans les quartiers il y a des gens qui se battent, qui font des études, des parents qui élèvent leurs enfants et qui veulent vivre paisiblement dans leur pays. Il faut dire cela clairement sinon on croit que les cités sont peuplées de jeunes délinquants, musulmans, fondamentalistes de surcroît.

Mais les jeunes des banlieues ont véhiculé ce cliché. Il y a eu La Haine ou NTM...

Mais c'est simple. A un moment donné, on se dit: "Vous pensez qu'on est comme ça? Eh bien d'accord, on est comme ça". Je le dis dans le disque. "Ce n'est pas la rue en elle-même, ce n'est pas la cité HLM. C'est la perception qu'on a de nous à travers elles". Tous les jours, les médias nous balancent une certaine image de nous. Ils critiquent le monstre mais en même temps, le nourrissent. Ça doit cesser.


Jérôme Colin
Telemoustique.be




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