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Société

Voile intégral : un véritable casse-tête juridique

Rédigé par | Lundi 10 Mai 2010 à 00:00

           

Laïcité, dignité humaine, égalité entre les sexes, sécurité… autant de raisons invoquées par ceux qui souhaitent bannir le voile intégral en France et en Europe. Mais sont-elles suffisantes pour adopter une loi restreignant ce qui était jusque-là une liberté individuelle ? Serait-elle applicable concrètement ? Des questions auxquelles les sociologues apportent des éléments de réponse… non sans difficultés.



Voile intégral : un véritable casse-tête juridique
La France n’est plus loin d’adopter la loi d’interdiction générale du voile intégral (ou « niqab », ou « burqa », selon les terminologies plus ou moins précises utilisées depuis plus de six mois...). Pourtant, les obstacles juridiques sont nombreux, comme en témoigne Anne Levade, professeur de droit à l’université Paris Est - Créteil Val-de-Marne, lors de la table ronde organisée par l’IISMM-EHESS (École des hautes études en sciences sociales), à Paris, lundi 3 mai.

« Les fondements juridiques mis en avant par la mission d’information ont été la laïcité, la dignité humaine et l’égalité hommes-femmes. Des raisons qui ont très rapidement été écartées du point de vue juridique », explique la juriste. Et pour cause : « On devrait considérer que le principe de laïcité, dès lors qu’il ne s’impose qu’à l’État, autorise par principe le port de tout signe religieux distinctif et donc, finalement, pourquoi pas, le port du voile intégral. La laïcité ne peut être le fondement de l’interdiction, fût-elle partielle, du voile intégral », a-t-elle indiqué.

Quant aux principes de dignité et de l’égalité hommes-femmes, ils ne peuvent non plus être invoqués car « le problème est ici juridique et philosophique. Le rôle du législateur n’est pas de dire à chaque individu ce qu’il doit considérer comme étant sa propre dignité », indique Mme Levade. Chacun ayant son libre-arbitre, « cela suppose qu’on peut avoir le comportement que l’on juge le plus conforme à la conception que l’on a de sa dignité (et de l’égalité, ndlr). Le législateur ne doit pas donner de jugement de valeur. C’est le rôle du philosophe et non de celui qui fixe les normes », poursuit-elle.

Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité
Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité

Exit l’excuse de la laïcité

« La mission d’information a bien compris que la laïcité ne peut pas être invoquée juridiquement, l’unanimité des juristes faisant foi », affirme Jean Baubérot, un spécialiste de la laïcité auditionné par la mission d’information. Le sociologue avait alors rejeté toute loi d’interdiction sur le niqab, qui serait vécue, selon lui, comme une stigmatisation par l’ensemble de la communauté musulmane.

« La mission nous a présenté une laïcité narrative à défaut d’être juridique. (…) Pour elle, la laïcité est très importante pour l’intégration des immigrants, ce qui est très révélateur. La laïcité n’est à ce moment plus un principe politique mais devient culturelle ; et (la mission) tire celle-ci vers une religion civile. Depuis 1989, on constate que la laïcité peut être patrimoniale : une "catho-laïcité", où les "Français de souche" sont considérés comme laïcs à priori et où les immigrés auraient à faire un exercice de passage pour prouver qu’ils sont laïcs », explique M. Baubérot, qui déplore l’absence de travail de terrain de la mission d’information.

Selon lui, « la défense patrimoniale de la laïcité est portée par des "Gaulois" contre les changements culturels. Mais c’est difficile de lutter quand ces changements culturels sont portés par des "Français de souche". On ne peut plus jouer sur le "eux" et le "nous" lorsque ce sont des converties "Françaises de souche" qui portent le niqab ».

Oui car, aujourd’hui, ce sont bien elles qui, en majorité prennent cette décision, affirme Maryam Borghée, étudiante en master de sociologie à l'EHESS, qui a interrogé une cinquantaine de ces femmes dans le cadre de son mémoire sur le voile intégral en France.

Anne Levade, professeur de droit
Anne Levade, professeur de droit

La sécurité, un argument opportun

Pour pallier les obstacles juridiques, sécurité et ordre public restent désormais les seuls fondements juridiques concevables pour permettre une interdiction du niqab.

« La sécurité comporte trois composantes qui ont l’avantage de pouvoir être mesurées et quantifiables : sécurité – tranquillité – salubrité », par différence à la dignité et à l’égalité des genres, explique Mme Levade.

L’interdiction – du moins partielle – du port du voile intégral dans l’espace public se trouverait ainsi justifiée car le visage est dissimulé. Mais le gouvernement est décidé à garder son projet d'interdiction générale, voulu par Nicolas Sarkozy, qui vise l'espace public, y compris la rue. La Belgique a été le premier à suivre cette voie.

Reste à savoir maintenant, si la loi est adoptée en France, son applicabilité et sa constitutionnalité devant la Cour constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Les risques de censure existent bel et bien. Mais tel que c'est parti, le tour de passe-passe juridique du gouvernement français pourrait bien berner ces derniers.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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