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Points de vue

Une certaine idée de la laïcité

Rédigé par Colin Mohammed | Mardi 14 Octobre 2003 à 00:00

           

La polémique du hijab, le foulard des musulmanes, enflamme nos leaders d’opinions, nos responsables politiques. Ceux de droite comme ceux de gauche. Un front commun semble se former et se dresser, raide et rigide, pour défendre la «laïcité », une certaine idée de la laïcité. Il faut croire que cette «laïcité » est rachitique pour être déstabilisée par une tenue vestimentaire.



La polémique du hijab, le foulard des musulmanes, enflamme nos leaders d’opinions, nos responsables politiques. Ceux de droite comme ceux de gauche. Un front commun semble se former et se dresser, raide et rigide, pour défendre la «laïcité », une certaine idée de la laïcité. Il faut croire que cette «laïcité » est rachitique pour être déstabilisée par une tenue vestimentaire. 

 

Les lois de la laïcité s’imposent à tous !  Martèlent nos médias, notre ministre de l’intérieur, notre chef de l’opposition socialiste. Le même cri de guerre est repris en chœur par nos illustres intellectuels bien pensants en manque de combat. Tous ensemble, ils enfoncent une porte déjà ouverte. Car le citoyen musulman français n’entend pas se soustraire aux lois de la République. Mais pourtant, unis derrière la 'laïcité', une certaine idée de la laïcité, ils acclament l’exclusion définitive de Alma et Lila de leur lycée. D’aucun osent s’en féliciter ! Doit-on croire que les motifs de satisfactions sont si rares en France pour que tant d’adultes se félicitent de la souffrance de deux adolescentes ? Il ne fait de doute, pour nous, que la sanction prononcée et les réactions enregistrées dépassent les seuls cas de Alma et Lila. Autrement, ces manifestations de joies seraient viles et indécentes.

 

Les deux adolescentes sont désormais interdites d’école. Au diable le droit à l’éducation ! Au diable la liberté religieuse aussi. Alma et Lila ont fauté ! Que l’on attise le bûcher ! Elles ont osé recouvrir, au nom de leurs convictions, certaines parties de leur corps. Leurs enseignants, réunis en conseil de discipline ce vendredi 10 octobre, ont puni le «délit», la « faute ». Il fallait châtier, sanctionner, au moins pour l’exemple. Il fallait sévir, pour enrayer le «mal ». Laver la « laïcité » souillée. Alma et Lila ont payé. La «laïcité », une certaine idée de la laïcité, est désormais sanctifiée.

 

Deux ados, tout ce qu’il y a de contemporain : en quête de sens. Libres de toute contrainte d’adultes, sans pression autre que celles qu’elles se sont fixées, elles incarnent justement les raisons pour lesquelles la laïcité fut instaurée : la liberté de convictions personnelles. Leur histoire, l’histoire de beaucoup d’autres adolescentes françaises qui ont fait le choix libre de porter le hijab, rappellent les principes fondateurs de la laïcité selon les lois de 1881, 1882, et 1886. Cette laïcité, la vraie, concerne les espaces éducatifs, les programmes d’enseignement scolaires ainsi que le personnel enseignant. Cette laïcité aujourd’hui défigurée, broyée dans l’étau des peurs déraisonnables, accorde la liberté de conscience à tout élève. Elle lui exige assiduité à tous les cours et respect d’autrui. Elle ne prétend pas le formater pour le reconfigurer selon un moule prédéfini. Cette laïcité, la vraie, le Conseil d’Etat l’a évoquée en 1989, lorsqu’il écrit que «le port du foulard en lui-même ne peut constituer un motif d’exclusion » des établissements scolaires de France. Mais la peur, les peurs qui courent en ces temps, ont évacué l’avis du Conseil d’Etat pour laisser le champ libre aux équipes d’enseignants engluées dans des principes qu’elles professent mais dont elles ne peuvent confronter véritablement les manifestations.

 

Le dialogue et la médiation proposés par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) à la direction du lycée furent écartés du revers de la main. « Nous ne comprenons pas », s’étonne son président, Dalil Boubaker, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Aurait-il oublié qu’il siège au CFCM avec l’UOIF ? le diable ? On ne discute certes pas avec «le diable », mais il faut se garder de l’humilier. Loin d’unifier la nation française, la somme des petits mépris aujourd’hui accumulés envers les musulmans français et leurs représentants constitue un catalyseur sûr au repli communautaire que nul ne souhaite même au nom de la laïcité.

 

La menace d’une loi sur mesure pour camoufler l’interdiction du hijab à l’école encouragerait immanquablement les musulmans français à se doter d’écoles confessionnelles de plus en plus grandes. Cette demande aujourd’hui marginale ne manquerait pas d’augmenter. Pourtant nous sommes d’avis que l’école publique pour tous est à défendre par tous. La qualité de son enseignement, sa capacité d’adaptation à l’évolution de notre société doivent mobiliser tous les citoyens attachés au droit inaliénable à l’éducation et au principe constitutionnel d’égalité.

 

Or, c’est chose connue, l’école publique va mal. Le consensus néo-islamophobe contre le hijab à l’école ne suffira pas à voiler longtemps les reformes qu’exige notre institution scolaire.




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