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Points de vue

Un protocole historique entre Turquie et Arménie

Par Selami Varlik

Rédigé par Selami Varlik | Mercredi 21 Octobre 2009 à 00:17

           


Un protocole historique entre Turquie et Arménie
Le match entre la Turquie et l’Arménie, mercredi 14 octobre, marqué par la présence de Serge Sarkissian, n’avait plus qu’un enjeu diplomatique : entériner la normalisation des rapports entre Erevan et Ankara, qui ne font pas le bonheur de tous.

Le protocole, signé le 10 octobre, à Zurich marque le clivage entre les Arméniens de Turquie et la diaspora sur la question du rapprochement entre l’Arménie et la Turquie.

Après la signature historique du protocole entre la Turquie et l’Arménie à Zurich, le 10 octobre, le match de football entre les deux pays représente la concrétisation du rapprochement entre Erevan et Ankara. La rencontre, qui ne compte plus sur un plan sportif pour la Turquie, qui est déjà éliminée de la coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud, importe surtout au niveau diplomatique.

Après avoir longtemps fait planer le doute quant à sa venue au match, le président arménien, Serge Sarkissian s’est finalement rendu en Turquie. Abdullah Gül avait fait le premier pas l'année dernière en assistant à Erevan au match aller. Le protocole de Zurich devrait contribuer à stabiliser le Caucase et permettre à l’Arménie de sortir de son isolement grâce à l’ouverture des frontières.

Le protocole est au Parlement le 21 octobre en vue d‘une ratification. Si la Turquie n’a pas officiellement imposé le règlement du conflit arméno-azéri du Haut-Karabakh comme pré-condition à la ratification du protocole, le Premier ministre Tayyip Erdogan a répété à plusieurs reprises que la fin de la crise faciliterait la ratification. Le règlement du conflit du Haut-Karabakh ne conditionne certes pas la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie, mais chacun espère que ce rapprochement permettra une normalisation arméno-azérie.

Ankara avait rompu ses relations diplomatiques et fermé sa frontière avec l'Arménie en 1993, suite au soulèvement des Arméniens du Karabakh. Ayant fait près de 30 000 morts, le soulèvement, a pris fin l'année suite à la conclusion d'un cessez-le-feu.

L’enthousiasme des Arméniens de Turquie

Les Arméniens de Turquie ont accueilli la signature de protocole entre la Turquie et l’Arménie avec enthousiasme. Des commerçants d’origine arménienne travaillant au Grand Bazar d’Istanbul se disent aujourd’hui plus libres de s’exprimer et critiquent l’attitude de la diaspora arménienne hostile au protocole.

Bedros Muradyan, qui exerce le métier de mouleur, n’arrive toujours pas à y croire. Pour lui, ce protocole aurait dû être signé bien plus tôt. Bedros Muradyan confie qu’il est parfois difficile d’être Arménien en Turquie, en ajoutant que « seuls ceux qui le vivent peuvent comprendre ». Pour lui, le protocole contribue également à normaliser les relations au quotidien entre les Turcs et les personnes d’origine arménienne : « Tout va bien à partir du moment où des voisins s’entendent bien entre eux. » Bedros Muradyan se réjouit de voir qu’aujourd’hui « les mentalités ont changé, [alors qu’] avant on ne voulait pas que les gens réfléchissent ».

Nuran Berberoglu, vendeuse de bijoux en argent, se dit très heureuse : « On verra avec le temps ce que ça va donner mais l’ouverture des frontières va enrichir aussi bien la Turquie que l’Arménie. »Rappelant que les marchandises turques arrivent en Arménie en passant par l’Iran, elle se dit persuadée que les deux pays vont profiter de relations commerciales directes.

Pour Aleksan Haviters, joaillier vivant en Turquie depuis 59 ans, c’est non seulement sur un plan économique que l’ouverture des frontières aura des conséquences positives, mais aussi sur le plan des relations amicales. Il se dit pleinement satisfait de ce pas franchi pour la paix par deux peuples qui ont été ennemis depuis un siècle.

Un autre commerçant du Grand Bazar, Garbis Akal, déclare soutenir le processus de rapprochement entre les deux pays et pense que la plupart des Arméniens feront de même.

A Erivan, les avis sont plus partagés. Des Arméniens interrogés par l’agence de presse Cihan, durant les cérémonies de commémoration du 2 791e anniversaire de l’Arménie, sont plus mitigés : s’ils sont nombreux à accueillir avec optimisme le protocole, certaines craignent leurs conséquences pour le Haut- Karabakh.

La diaspora contre la normalisation des relations

La diaspora arménienne, en Europe ou aux Etats-Unis, s’oppose, quant à elle, violemment au protocole.

Selon une information de l’agence Arminfo, basée à Erivan, le président de la Fédération arménienne de Suède, Vahagn Avediyan, a déclaré que ce protocole « déchire » les relations entre l’Arménie et sa diaspora. Il a notamment demandé à cette dernière de cesser de financer l’Arménie.

D’ailleurs, il voit le retard dans la signature de protocole comme un message de la part du pouvoir arménien pour dire ses hésitations à sa diaspora.

Le président du Comité national arménien d’Amérique (ANCA), Ken Hachikian, a déclaré, quant à lui, que le protocole ne représentait que les intérêts turcs. « Tous les Arméniens d’Amérique et ANCA vont continuer à faire des efforts pour la justice », a ajouté Ken Hachikian. Se voulant le défenseur des droits des Arméniens et de l’« indépendance » du Haut-Karabagh, il a présenté le protocole comme une manœuvre turque pour contrer les revendications arméniennes à propos des évènements de 1915.

Aux Etats-Unis, un groupe de députés a déclaré partager les inquiétudes des Arméniens des Etats-Unis à propos de la constitution d’une commission historique d’enquête sur les événements de 1915. La principale crainte de l’ACNA est que ces événements soient sacrifiés au nom d’un souci de rétablissement de relations diplomatiques entre la Turquie et l’Arménie.

La représentante à Jérusalem de l’association ultranationaliste Hay Dat, Georgette Avagian, a déclaré que la diaspora n’allait pas se taire et que « dorénavant le 24 avril et le 10 octobre sont des jours de deuil car aujourd’hui nous avons perdu nos terres ancestrales et la question de la reconnaissance du génocide a été réduite à néant ».

Du côté turc aussi de nombreuses voies discordantes se font entendre, notamment dans l’extrême droite. Mehmet Sandir, du MHP, Parti d’action nationaliste, a proclamé « jour noir » la journée de signature du protocole. Oktay Vural, vice-président du groupe parlementaire du MHP, espère que le texte de protocole ne viendra pas jusqu’au Parlement ; et au cas où il arriverait, que ce dernier ne le ratifiera pas.


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