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Sarkozy défie la justice

| Vendredi 22 Septembre 2006 à 01:28

           

Nicolas Sarkozy est une nouvelle fois au cœur d’une polémique sans précédent dans le rapport de l’Etat avec le système judiciaire. Suite à des propos particulièrement virulents à l’encontre des juges du tribunal de Bobigny, en Seine Saint Denis, les syndicats de magistratures se sont insurgés contre le ministre de l’Intérieur. Le premier président de la cour de cassation, Guy Canivet, le plus haut magistrat de France, a réclamé une audience auprès du chef de l’Etat. En parallèle, le nouveau projet de loi sur la délinquance a reçu un avis positif du sénat.



Nicolas Sarkozy est au cœur de la nouvelle polémique suscité par ses propos concernant le travail des juges du tribunal de Bobigny. Ces derniers ont été ouvertement accusés de laxisme vis-à-vis de la délinquance, et de ne pas assez recourir à l’emprisonnement. Pour Nicolas Sarkozy, la magistrature est en cause dans la baisse des incarcérations recensées cette année. En effet, ce taux à baisser de 15,5% à Bobigny engendrant, selon le ministre de l’Intérieur, un sentiment d'impunité. Nicolas Sarkozy insiste donc sur la « démission » des juges de Bobigny.

A la demande de la Direction générale de la police nationale (DGPN), de nombreux préfets ont tenté d’analyser, cet été, les causes des violences urbaines sur leur territoire, confirmant notamment des « divergences de vues avec les tribunaux ». 28 préfets ont participé à cette analyse, dont celui de Seine-Saint-Denis. Ce dernier a fait état d'une augmentation de la délinquance depuis les violences urbaines de novembre dernier. Nicolas Sarkozy, en réponse, accuse la justice de ce département de « démission ».

Le directeur général de la police nationale a lui aussi, reproché une « absence de réponse » de la part de services judiciaires face aux actes de violence commis en Seine-Saint-Denis. Dans ce département, « depuis le début de l'année, nous avons interpellé 2.799 personnes se livrant à des actes de violence urbaine et notamment, puisque c'est symbolique, 462 auteurs d'incendies de véhicules. Dans 70% des cas, je ne parle pas des écrous, il n'y a eu aucune réponse » de la part de la justice, explique-t-il. « Au cours des violences urbaines que nous avons connues (à l'automne 2005), il y a eu 85 interpellations, il y a une seule condamnation. » pour le seul département du 93.

Suite à ces propos, les syndicats de magistratures se sont insurgés, accusant le ministre de remettre en cause l’indépendance de la justice, et ainsi de ne pas respecter la Constitution, instaurant une séparation nette entre le pouvoir de l’état et le pouvoir judiciaire. Le président de l’Union syndicale des magistrats Dominique Barella, estime que ce sont le manque d'effectifs policiers et la paupérisation de la population qui sont à la base de cette augmentation de la délinquance en Seine-Saint-Denis. Les syndicats insistent sur le fait que la philosophie générale de la justice des mineurs est, depuis 1945, de faire de la prison un dernier recours. Il est donc légalement difficile d'envoyer en prison de jeunes mineurs. La justice ne ferait donc, aux yeux des syndicats, que son métier en privilégiant des voies alternatives et éducatives.

« Il est inadmissible que le ministre de l'Intérieur instrumentalise la justice pour cacher ses échecs en matière de délinquance et pour faire passer en force sa nouvelle loi en matière de prévention de la délinquance », a déclaré Dominique Barella, président de l'Union syndicale de la magistrature, majoritaire. Si les résultats sur la délinquance ne sont pas satisfaisant, la faut en revient aux manques d'effectifs dans les services spécialisés et au manque de place dans les foyers, expliquent-ils. Les syndicats de magistrats notent que malgré l'adoption de plusieurs lois, plus répressives, réformant la procédure pénale, les violences aux personnes sont en hausse. D’autre part, les 188 prisons françaises sont en état de surpopulation. On compte 55.754 détenus au 1er septembre, dont 629 mineurs. « M. Sarkozy nous montre une nouvelle fois qu'il ne connaît comme réponse à la question de la délinquance que la répression et l'emprisonnement », a dit Côme Jacquemin, dirigeant du Syndicat de la magistrature.

Le texte de loi, voté par le Sénat

Ces propos virulents à l'encontre de la justice tombent à pic. Au même moment, au Sénat, un texte de loi sur la délinquance des mineurs a été voté. Ce projet durcit plusieurs points de l'ordonnance de 1945 sur « l'enfance délinquante ».

Dans un premier temps, ce texte met en place la procédure de « présentation immédiate » des jeunes délinquants devant les magistrats pour mineurs, en remplacement du « jugement à délai rapproché », actuellement en vigueur. D’autre part, ce texte évoque la possibilité de placer les jeunes dans un établissement « permettant la mise en oeuvre d'un travail psychologique, éducatif et social portant sur les faits commis », « l'activité de jour » pour obliger le mineur à participer à « des activités d'insertion professionnelle ou scolaire », ou encore le placement « sous contrôle judiciaire » des mineurs délinquants dans des « centres éducatifs fermés.» Le maire devient, dans ce texte, le « pivot » de la politique de prévention, en ayant la faculté de saisir le juge des enfants aux fins de mise sous tutelle des prestations familiales, ou d'effectuer un « rappel à l'ordre » à l'encontre d'un administré susceptible de porter atteinte à l'ordre public. Le projet de loi durcit également les sanctions contre les propriétaires de chiens dangereux, les trafiquants de drogue, et renforce les règles d'installation des gens du voyage.

Le débat a été marqué jeudi par de vifs échanges gauche-droite sur la délinquance en Seine-Saint-Denis, suite à la "fuite" dans la presse d'une note du préfet de ce département, et sur les propos critiques de M. Sarkozy sur la justice. Le sénateur socialiste Jean-Claude Peyronnet se demande : « Pourquoi cette fuite? Est-ce que par hasard cette fuite ne serait pas orchestrée et n'aurait-elle pas pour but de favoriser le déroulement de nos travaux dans le sens voulu par le ministre de l'Intérieur et de renforcer ainsi la répression? ». « Je me demande à qui profite le crime de la publication de la note du préfet », a ajouté Eliane Assassi, sénatrice communiste de Seine-Saint-Denis. Le projet de loi, validé par la Sénat, doit maintenant être voté par l'Assemblée Nationale.

« Une fois de plus, le ministre de l'Intérieur se défausse sur d'autres des responsabilités qui lui incombent », dénonce Dominique Voynet dans un communiqué. « Une fois de plus, il désigne un bouc émissaire à la vindicte populaire -hier, le jeune, surtout s'il est étranger; aujourd'hui le juge, surtout s'il prétend avoir des preuves avant de condamner- mettant ainsi gravement en cause la séparation des pouvoirs. » Mais « les propos inacceptables tenus par M. Sarkozy (...) ne font pas illusion: la politique répressive qu'il conduit et incarne depuis quatre ans est en échec », explique-t-elle. « Combien de dérapages » Nicolas Sarkozy commettra « avant d'en tirer les leçons et de remettre sa démission? »






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