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Société

Naïma Yahi : « Sans les soldats des colonies, De Gaulle ne se serait pas assis à la table des vainqueurs »

Rédigé par | Mardi 6 Novembre 2018 à 17:00

           

A l'occasion du centenaire de la Grande Guerre, l’association Remembeur présente une exposition itinérante intitulée « Hommage aux soldats coloniaux » qui nous informe sur la vie des soldats issus de l’Empire colonial français. Une occasion pour découvrir des images d’archives inédites mises en valeur par la scénographie artistique d’Ali Guessoum. Naïma Yahi, chercheuse-associée à l’université de Nice Sophia Antipolis et directrice de l’association Remembeur fait un point sur cette histoire encore mal connue.



Photo extraite de l’exposition itinérante « Hommage aux soldats coloniaux » par l’association Remembeur, présente à Bondy (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 11 novembre 2018.
Photo extraite de l’exposition itinérante « Hommage aux soldats coloniaux » par l’association Remembeur, présente à Bondy (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 11 novembre 2018.

Saphirnews : Comment a été effectué le travail de recherche historique pour cette installation ?

Naïma Yahi : On a proposé à Marie Chominot, spécialiste de l’image et de la guerre d’Algérie, de prendre en charge l’aspect historique de l’exposition. Elle a travaillé sur le fonds de l’EACPAD, un organisme du ministère de la Défense qui détient les reportages réalisés par les photographes de l’armée. Elle a croisé ces sources en visitant des nécropoles et carrés militaires de soldats coloniaux. On peut y trouver des dossiers avec des photos individuelles de soldats.

C’est un projet voulu par Ali Guessoum qui est artiste. Il a proposé une installation à scénographie immersive : une reconstitution de cimetière militaire mêlant soldats chrétiens et musulmans. Les Annamites (issus des territoires formant aujourd'hui le Vietnam, ndlr) n’avaient pas de sépultures particulières et les Indochinois ont surtout servi comme travailleurs à l’arrière.

Lire aussi : Attention, travail d'Arabe : l’ouvrage humoristico-politique d’Ali Guessoum

Pourquoi cette histoire a pendant si longtemps été absente ou minorée dans les manuels scolaires ?

Naïma Yahi : La mémoire des soldats coloniaux a été enfouie suite aux décolonisations. On a quasiment jeté le bébé avec l’eau du bain. Sans la participation historique de ces soldats lors de la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle ne se serait pas assis à la table des vainqueurs. On en a peu parlé parce que le sujet était peu traité par les historiens. Il y a eu les travaux d’Armelle Mabon sur les tirailleurs sénégalais ou Belkacem Recham sur les soldats maghrébins.

Il y a ensuite le fait qu’on enseigne que depuis récemment l’histoire de l’immigration.

Enfin, c’est à l’occasion du centenaire du déclenchement de la guerre 1914-1918 que l’Etat a alloué les moyens à la recherche scientifique pour améliorer la connaissance de la participation des soldats coloniaux aux Première et Seconde Guerres mondiales. Les pouvoirs publics ont mobilisé des moyens et des archives à cette occasion ; sans ça, nous n’aurions pas pu produire cette exposition. Il y a une absence d’outils et nous sommes dans l’incapacité de fournir une mémoire plurielle.

On découvre une catégorie de soldats qu’on nommait les Zouaves. L'institutrice en primaire nous disait « Arrêtez de faire les zouaves ! » quand nous étions agités...

Naïma Yahi : Les Zouaves sont des soldats kabyles. Ils doivent ce nom à une tribu appelée les Zouaoua. Ce régiment était dirigé par des métropolitains ou Européens d’Algérie. C’étaient des mercenaires qui ont participé aux grandes guerres napoléoniennes au Mexique ou en Crimée. Ils ont même réprimé la Commune de Paris. Ils sont les premiers indigènes à porter les couleurs de l’armée française et à agir en son nom sur le territoire métropolitain. Les Zouaves portaient des pantalons bouffants et des chèches. « Faire le zouave » fait peut-être écho à une nouvelle d’Alphonse Daudet, Le Turco de la Commune où il y avait un personnage zouave, une sorte d’imbécile heureux tourné en ridicule.

Comment sont nés ces régiments d’indigènes ?

Naïma Yahi : Ce sont au départ des troupes coloniales dirigées par des colons blancs qui colonisent des ports et territoires. Ce ne sont pas des troupes indigènes. Mais elles vont s’élargir au 19e siècle avec le « corps expéditionnaire français » (CEF) qui va absorber des régiments indigènes. A partir de 1912, des députés français, dans l’optique d’une guerre contre l’ennemi prusse (allemand), vont demander à ce qu’on enrôle plus de soldats dans les colonies. Un service militaire de trois ans est imposé en Algérie et au Maroc. On va lever 180 000 Algériens, 60 000 Marocains et 38 000 Tunisiens ainsi que de 200 000 tirailleurs sénégalais. Ces derniers étaient enregistrés au Sénégal mais étaient recrutés dans toute l’Afrique de l’Ouest. Chaque régiment a son folklore, ses uniformes inspirés parfois des costumes locaux. Ils pouvaient avoir comme emblèmes des boucs, des moutons, des mains de Fatma.

Avec cette exposition, vous déconstruisez le mythe de la chair à canon concernant la Première Guerre mondiale.

Naïma Yahi : Certains disent qu’on aurait mis en avant les soldats coloniaux pour qu’ils se fassent massacrer davantage que les soldats blancs. C’est faux. Statistiquement, environ 15 % des soldats coloniaux sont morts sur le terrain d’après les travaux d’Eric Deroo. Ils meurent dans les mêmes proportions que les métropolitains.

Là où ils sont discriminés, c’est plutôt dans l’absence d’avancement de carrière et dans les soldes. Ils étaient moins bien payés. On se méfie de leurs contacts avec la population civile. Dans les casernements d’hivernage, on ne voulait pas que les tirailleurs sénégalais fréquentent les jeunes filles du coin. Leurs courriers étaient filtrés pour qu’ils ne puissent pas correspondre avec elles.

Cette exposition renseigne sur l'histoire de ces soldats issus des colonies, une histoire loin de ce qui est enseigné à l’école.

Naïma Yahi : La réalité, c’est que les profs d’histoire ne connaissent pas forcément cette histoire. Dans le 92 ou le 93 (Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis, ndlr), on trouve des classes quasi exclusivement peuplées de descendants de soldats coloniaux (issus de l'immigration) mais ça ne vient pas à l’esprit de ces enseignants que ce serait bien de se documenter sur ce thème. J’ai parfois des jeunes qui me regardent hallucinés et je leur dis : « Ne vous inquiétez pas, je tiens le même discours aux élèves du 16e arrondissement de Paris. C’est l’histoire de France. » Si on ne crée pas les outils pédagogiques, ce constat que vous faites ne changera pas. C’est le sens de notre action à Remembeur parce que les enseignants se sentent démunis.

L'exposition "Hommage aux soldats coloniaux" est visible jusqu'au 11 novembre à l'Hotel de ville de Bondy mais aussi en version légère :
• Espace Nelson Mandela, Gennevilliers (92)
du 19 octobre au 3 novembre 2018
• Maison du Combattant, de la Vie Associative et Citoyenne, Paris 19e
du 26 octobre au 13 novembre 2018
• Avant-Seine, Meudon (92) : du 5 au 10 novembre 2018
• Médiathèque Georges Sand, Louvroil (59)
du 9 au 16 novembre 2018
• Centre social Millandy, Meudon-la-Forêt (92)
du 12 au 16 novembre 2018
• Fort Leveau, Feignies (59)
du 9 au 16 novembre 2018
• Hôtel de Ville de Cergy (95)
du 11 novembre au 11 décembre 2018
• Médiathèque Françoise Sagan, Paris 10e
du 14 novembre au 15 décembre 2018






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