Société

Jacqueline Lalouette : « La fête doit créer une communauté de citoyens »

Rédigé par Nadia Moulaï | Jeudi 23 Décembre 2010 à 15:23

Si les fêtes rythment notre calendrier, en connait-on vraiment leur sens ? Dans une France bigarrée, le sens donné à la fête évolue jusqu’à en devenir une question de citoyenneté. C’est le point de vue de Jacqueline Lalouette*, historienne. Rencontre.



Le 14 juillet, symbole de la « fête de la nation tout entière ». Ici, les feux d'artifice, qui font partie de la panoplie des festivités du 14 juillet, avec le défilé militaire et le bal des pompiers.

Dans votre dernier ouvrage, vous dressez un panorama des jours de fêtes en France. Pourquoi ce sujet ?

Jacqueline Lalouette : J’ai un long parcours d’historienne derrière moi ; j’ai souvent consulté des archives (articles de journaux, rapports de police, etc.) relatives à ces fêtes, qui ont fait naître mon intérêt. Par ailleurs, beaucoup de confrères ou d’ethnologues ont travaillé sur les fêtes folkloriques, les fêtes de la Révolution, de la République, comme le 14 juillet, mais personne ne s’était encore intéressé à l’ensemble des jours fériés que célèbrent les Français.

Des jours fériés qui renvoient souvent à des fêtes religieuses…

J. L. : Contrairement à une idée reçue, les fêtes religieuses ne sont pas les plus nombreuses. Il n’y en a que quatre : Noël, le jeudi de l’Ascension, l’Assomption (15 août) et la Toussaint (1er novembre). Le lundi de Pâques et le lundi de la Pentecôte ont été fixés comme jours fériés en 1886, à la demande des banques et des chambres de commerce, dans un souci d’harmonisation avec les places financières d’autres pays européens (car certaines opérations financières sont interdites durant les jours fériés).

Les jours de fête sont-ils tous des jours fériés ?

J. L. : Non, il existe de nombreuses fêtes qui ne sont pas des jours fériés, par exemple la fête des voisins ou celle de la musique. Beaucoup de régions possèdent des fêtes à caractère folklorique qui ne sont pas non plus des jours fériés.

Quelle évolution observez-vous ?

J. L. : Un premier constat est qu’en deux siècles le nombre de jours de fête légales, et donc de jours fériés, a augmenté, passant de quatre à onze. Il a donc pratiquement triplé.

Comment se fait-il que la République laïque qu’est la France célèbre des fêtes religieuses ?

Jacqueline Lalouette, historienne.
J. L. : Revenons au contexte historique. Quand ces jours de fêtes religieuses ont été fixés, en 1802, le régime en place était le Consulat. La France venait de signer avec Rome un concordat établissant que la grande majorité des Français étaient catholiques.
En 1905, lors du vote de la loi de séparation des Église et de l’État, quelques députés socialistes et anticléricaux ont souhaité que ces jours de fêtes chrétiennes soient supprimés ou que l’on change leurs noms pour leur retirer tout caractère chrétien : Noël serait devenu « la fête de la famille ». La majorité des parlementaires s’y est opposée, notamment Aristide Briand, artisan majeur de la séparation. Il semblait difficile d’ignorer que la France est un pays de vieille culture chrétienne.

Mais la France évolue et d’autres communautés religieuses font partie de la nation française…

J. L. : D’ailleurs, deux propositions ont été faites ces dernières années, concernant l’Aïd el- Kébir et Yom Kippour. En 2003, la commission Stasi s’est dite favorable à « l’introduction » de ces deux fêtes « dans le calendrier des jours fériés dans toutes les écoles de la République ». Mais Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, instituait alors une journée de la solidarité ; ce n’était donc pas le meilleur moment. Puis, en 2010, une proposition semblable a été formulée lors du débat sur l’interdiction du port de la burqa. Aucune de ces deux propositions n’a été suivie d’effets.

On est donc loin d’un jour férié national lors de l’Aïd ou de Yom Kippour…

J. L. : Il ne faut toutefois pas oublier que, depuis 1967, chaque année une circulaire ministérielle de l’Éducation nationale donne la liste des fêtes religieuses donnant droit à une absence « sous réserve de compatibilité avec le fonctionnement normal du service ».

Comment la France évoluera-t-elle compte tenu de sa diversité culturelle et religieuse ?

J. L. : Je ne prédis pas l’avenir… Cependant, je serais très étonnée que l’on augmente le nombre de jours de fêtes, et ce pour des raisons d’ordre économique. Supprimera-t-on des fêtes chrétiennes ? Cela m’étonnerait tout autant : la France est un vieux pays de culture catholique, attaché à ses fêtes, y compris quand elles ont largement perdu leur sens religieux. Et si l’on supprimait une fête chrétienne pour instaurer une fête juive ou musulmane, ne risquerait-on pas de nourrir certaines tensions ? Il faut aussi s’interroger sur la manière dont les fidèles des religions non chrétiennes se situent par rapport aux fêtes chrétiennes.cg[

Mais ces fêtes ne dénotent-elles pas un enjeu de citoyenneté ?

J. L. : Oui, tout à fait. Cet enjeu se rapporte surtout aux trois fêtes à caractère national ou civique (14 juillet, 8 mai, 11 novembre). On peut d’ailleurs noter qu’il a été fort peu question de ces fêtes lors du débat sur l’identité nationale, quoi que l’on pense de celui-ci.

Quelles voies explorer pour que tous les citoyens se retrouvent dans le calendrier ?

J. L. : Pour ma part, je serais favorable à un jour férié pour l’Aïd el-Kébir [Aïd al-Adhâ, ndlr] et Yom Kippour. Et l’on pourrait passer d’une journée de solidarité à deux, voire trois. Mais il est vrai que pour les familles ayant de faibles revenus, ce serait un énorme sacrifice. Aussi, je me demande vraiment quelle est la bonne solution.


Note
* Dernier ouvrage paru : Jacqueline Lalouette, Jours de fête. Jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine, Éd. Tallandier, 2010.