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Société

Noël chez les musulmans

Rédigé par Jihen Lazrak | Jeudi 26 Décembre 2002 à 00:00

           

Le 25 décembre, les chrétiens fêtent Noël. Mais bien plus qu’une fête religieuse, Noël devient une fête multiculturelle. Les musulmans abordent cette période de fêtes de manières diverses. Certains consentent à fêter Noël pour les enfants, d’autres n’y prêtent pas attention…autant de pratiques différentes qu’il est bon d’éclairer. A travers quelques témoignages, il est possible de se rendre compte des initiatives prises ce jour un peu spécial.




Noël comme grand repas

Pour Fatima, 24 ans, Noël, c’était le repas du 24 décembre organisé par les grandes sœurs : « On allait faire les courses, on achetait pas la dinde mais le rosbeef, on mangeait aussi de la bûche. » La dernière fois remonte maintenant à cinq ans, ils ne font plus rien maintenant, les enfants ont grandi. Elle évoque des souvenirs de jouets qu’elles recevaient : des poupées, offerts par ses grandes sœurs. Elle se levait le matin du 25 décembre pour défaire les cadeaux, non pas sous le sapin, mais dans l’armoire.

En effet, la famille de Fatima n’achetait pas de sapin. D’ailleurs, ses parents ne prenaient pas part aux préparatifs, ce sont les deux grandes sœurs qui prenaient l’initiative d’organiser « la fête de Noël ».

Petit à petit, voulant justement se démarquer des chrétiens, ses sœurs et elles organisaient le repas le 23 ou le 25 décembre pour ne pas coïncider avec le réveillon de Noël. Mais, n’allez pas lui dire qu’elle fêtait Noël : « Tout le monde faisait quelque chose, pourquoi pas nous. » Il n’y a aucune connotation religieuse derrière ce repas bien garni.

Pourquoi fêter Noël ?

Malika, quant à elle, voit les choses autrement : elle n’a pas connu Noël dans sa famille. C’était un jour comme les autres. Mais cela ne l’empêche pas de réfléchir à Noël chez les musulmans. Si c’est simplement le fait de se réunir en famille car le 25 décembre est un jour férié, elle le conçoit : « Nous vivons dans une société où c’est le calendrier grégorien qui est institué, les jours fériés coïncident donc forcément avec les fêtes chrétiennes. »

Selon elle, les musulmans doivent savoir quelles connotations ils mettent derrière l’organisation de ce repas et le fait de s’offrir des cadeaux. « Il faut donner un sens à l’événement comme on donne un sens à sa vie », autrement dit ne pas créer de confusion. « Il faut avoir des discussions, savoir pourquoi les chrétiens fêtent Noël », indique-t-elle, ajoutant que des chrétiens eux-mêmes se posent des questions sur cette fête. « J’ai une amie chrétienne qui trouve dommage de se réunir uniquement ce jour-là, elle ressent le besoin de se réunir à un autre moment… Une sœur chrétienne m’a dit que Noël avait pris des allures de fêtes païennes selon elle, car les gens privilégient le père Noël et les cadeaux plutôt que la naissance du Christ. »

Une fête pour les enfants

C’est souvent pour les enfants que les familles musulmanes « fêtent Noël ». Rkia, 45 ans, mère de trois enfants, avoue qu’elle ne voulait pas qu’il y ait de différences entre ses enfants et les autres pendant la période de Noël, principalement au niveau des cadeaux. Auparavant, à son arrivée en France, il y a 20 ans, elle n’avait pas d’enfants et ne se préoccupait pas de Noël. Petit à petit, c’est devenu une habitude : « On a tout à notre portée pendant cette période, les huîtres, les crevettes, la bûche... C’est trop tentant, et donc on le fait, c’est une habitude, chaque année. »

Mais Nadia, 20 ans, trouve une limite à ce raisonnement, puisque même quand les enfants deviennent grands, le grand repas reste, voire les cadeaux. C’est en tout cas ce qu’elle vit. Depuis son plus jeune âge, tout un cérémonial est organisé pour Noël, le repas traditionnel : chapon et marrons, le sapin, les décorations et les cadeaux. Lorsqu’elle était petite, c’était la fête de Noël mais sans connotation religieuse.

Avec le temps et un cheminement dans la religion musulmane, elle a compris la superficialité de Noël. Ses parents ont enlevé le sapin, les enfants ayant grandi, mais elle n’échappe au repas traditionnel. Cette année, la soirée du 24 décembre a été plus difficile à vivre : « J’ai fait une introspection, je me suis posée beaucoup de questions et j’ai compris que c’est tout simplement une ignorance. C’est une ignorance de notre religion, on devrait privilégier l’Aïd. Tout ce qu’on fait à Noël, on devrait le faire pour l’Aïd. » L’excuse de faire cette fête pour les enfants, elle la réfute. « Quand on fait baigner un enfant dans l’islam, il comprend que Noël, c’est pour les chrétiens, et que sa fête, c’est l’Aïd, mais bien sûr, si on le fait pas baigner dans l’islam, on trouve des excuses et on essaye de boucher les trous d’une manière ou d’une autre. »

Daoud, la vingtaine, trouve que tout le monde est différent et qu’il faut l’expliquer aux enfants : « On est égaux en droits mais on a des différences religieuses, culturelles… Il faut dire à l’enfant qu’il a une particularité, c’est sa foi, qu’il est musulman, ça doit être ancré en lui, sans bien sûr se renfermer dans un communautarisme. » Ce qui l‘ennuie aussi, c’est le mensonge fait aux enfants à propos du Père Noël, mensonge qu’il a lui-même vécu.

Noël, fête commerciale

Daoud, converti à l’islam, depuis l’âge de 7 ans, a toujours vécu Noël en grande pompe d’abord avec toute sa famille : grands-parents, oncles, tantes… Puis, après la conversion de sa mère et la sienne, en comité plus restreint. En effet, sa mère a toujours fêté Noël même après être devenue musulmane. « C’est quelque chose d’important pour elle », nous explique Daoud. « Comme chaque année, il y a le sapin, les cadeaux, le chapon, les pommes de terre, les canapés en guise de repas… » Tous les ingrédients d’un Noël réussi. Mais Daoud ne l’entend pas de cette oreille : il accepte d’y participer pour faire plaisir à sa mère et rien d’autre. Il avoue tout de même émettre quelques critiques envers sa mère, mais il est un peu résigné, il sait qu’elle y est trop attachée : « C’est presque sentimental pour ma mère de fêter Noël. » Il avoue ressentir une frustration, « on fête Noël, en famille, mais on est passé à côté de la fête de l’Aïd.».

Au-delà du cadre familial, il se rend compte que Noël n’est rien d’autre qu’une fête commerciale : « On parle de jour de bonté, de solidarité mais quand on regarde d’où proviennent les jouets, on se rend que c’est tout le contraire. » Il veut parler de la polémique sur les jouets fabriqués en Chine dans des conditions exécrables et parfois par des enfants. C’est pour cela que, cette année, Daoud, profitant d’un voyage à Lyon, a acheté un foulard venu d’Inde dans un magasin du commerce équitable : « C’est pour lui faire passer un message à travers ce cadeau. »

Noël est donc bien présent dans certaines familles musulmanes. Mais, il y a tout de même cette envie pour les jeunes musulmans de redonner toutes leurs places aux deux fêtes musulmanes : l’Aïd al-Fitr et l’Aid-el-Kebir.




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