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Sur le vif

Inde : des journalistes poursuivis par la police pour avoir relayé une attaque islamophobe

Rédigé par | Lundi 28 Juin 2021 à 17:00

           


Inde : des journalistes poursuivis par la police pour avoir relayé une attaque islamophobe
Après l’agression choquante d’un septuagénaire de confession musulmane dans l’Uttar Pradesh, en Inde, des journalistes ont été mis au banc des accusés pour avoir fait leur devoir d'information. Samedi 5 juin, Abdul Samad Saifi, 72 ans, un habitant de Ghaziabad, a été violemment agressé par un groupe d'individus alors qu’il se rendait à la mosquée. Ces derniers ont conduit leur victime dans un endroit isolé où ils l’ont roué de coups et forcé à scander « Jai Shri Ram », (Saluez le Seigneur Ram) et « Vande Mataram » (Je te loue, Mère), des chants répandus parmi les groupes d’extrême droite hindous.

La vidéo de son agression et ses circonstances ont alors été relayées par les journalistes Saba Naqvi, Rana Ayyub et Mohammed Zubair, ainsi que le média The Wire, poursuivis par la police alors que Times Now, qui ne fait l'objet d'aucune plainte, a interrogé la victime au sujet de l’attaque subie.

« J'étais en route quand un conducteur d'autorickshaw m'a proposé de me déposer. Plus tard, deux autres hommes sont montés dans la voiture et m'ont dit de rester. Puis ils m'ont emmené dans une jungle, m'ont enfermé dans une pièce et m'ont battu. Ils m'ont demandé de chanter "Jai Shri Ram" et "Vande Matram". Ils ont arraché mon téléphone et cassé ma montre. Ils ont ensuite pris des ciseaux et m'ont coupé la barbe », a raconté la victime. « Ils ont aussi menacé de me tuer et m’ont montré une vidéo d'eux attaquant d'autres musulmans. »

Sa version, pourtant appuyée par une vidéo, est niée en bloc par les autorités du Nord de l’Uttar Pradesh qui ont, pour leur part, évoqué un simple conflit interpersonnel après qu’Abdul Samad Saifi aurait tenté de vendre aux accusés une amulette qui ne fonctionnait pas. Cette fois, c’est la famille de la victime, et en particulier son fils, qui a choisi de s’exprimer pour contester ces déclarations, soutenant que cette attaque était bel et bien un crime haineux.

Dans le cadre de cette affaire, la police a reproché aux journalistes d’avoir fait circuler la vidéo de l’agression sur Twitter sans « vérifier ni s’enquérir de sa véracité », d’avoir donné à ces images un « angle communautaire », mais aussi de chercher à « attiser la haine entre les communautés religieuses » et « de vouloir déranger l’ordre public ». Des accusations accompagnées de poursuites judiciaires notamment pour « conspiration criminelle » envers les professionnels de la presse, qui risquent neuf ans de prison.

ONG et associations montent au créneau

Face à ces attaques, les principaux concernés ont déclaré que leurs alertes reposaient sur les images de la vidéo et des publications d’autres confrères sont parus avant eux. « Il semble que la police de Ghaziabad enquête sur l'affaire du vieil homme musulman et a avancé une version différente », a écrit Saba Naqvi sur Twitter, tandis que Rana Ayyub a déclaré attendre que « la vérité triomphe au plus tôt. »

Plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse sont montées au créneau pour défendre les journalistes. Parmi elles, Reporters Sans Frontières (RSF) qui, dans un communiqué publié dimanche 17 juin, a exhorté les autorités « à retirer immédiatement les charges absurdes » contre leurs confrères.

« L'accusation portée par la police de l'Uttar Pradesh ne repose sur absolument aucun élément tangible et s'apparente clairement à du harcèlement judiciaire », a déclaré Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. « Nous demandons instamment au ministre en chef de l'Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, de retrouver un semblant de crédibilité en ordonnant le retrait immédiat des accusations portées contre les journalistes visés par cette plainte absurde. »

La Guilde des éditeurs de l’Inde (EGI) s’est, pour sa part, déclaré « profondément inquiète au sujet des antécédents de la police de l'Uttar Pradesh en matière de dépôt de plaintes contre des journalistes afin de les dissuader de signaler des incidents graves sans crainte de représailles. Il est du devoir des journalistes de faire des reportages sur la base de leurs sources et, au cas où les faits seraient contestés par la suite, de rapporter les versions et les facettes émergentes. S'immiscer dans leurs missions et leur attribuer un caractère criminel est destructeur pour la liberté d'expression, qui est protégée par la Constitution et constitue un élément fondamental de l'État de droit ».

L'association de protection des droits de la presse a également déploré une attitude « discriminatoire » de la police envers les journalistes visés dans la mesure où ils sont loin d'être les seuls à avoir relayé la vidéo. Cette affaire survient alors que l'Inde est classée 142e sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse 2021 de Reporters Sans Frontières (RSF).

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