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Points de vue

Faut-il changer l’imam ou l’imam doit-il changer ?

Rédigé par Yasser Louati | Lundi 28 Janvier 2019 à 11:00

           


Faut-il changer l’imam ou l’imam doit-il changer ?
Si l’histoire n’est pas une série qui tourne en boucle et qu’elle ne se répète jamais de la même manière, il faut savoir en tirer les enseignements pour ne pas vivre ce que d’autres, par le passé, ont vécu.

Pour cette raison, personne ne doit être épargné dans la lutte pour l’égalité. On ne peut pas prétendre mener ce combat pour le faire aboutir tout en s’imposant des limites ou en épargnant certains acteurs du problème. Si certains parmi l’élite religieuse musulmane décident de faire partie du problème, alors il faudra les traiter comme l’ennemi à combattre au même titre que celles et ceux qui portent le glaive de l’islamophobie aussi bien à gauche qu’à la droite de l’échiquier politique.

En finir avec le chantage à la fitna

Le chantage à la fitna parmi les musulmans a provoqué un désastre. Tout le monde sait, mais tout le monde se tait et celui qui parle se retrouve crucifié. Au lieu d’apprendre à s’écouter, à débattre, laisser les idées circuler librement et ainsi se donner les moyens d’affronter la réalité, on préfère cacher cette dernière sous le tapis en s’arrogeant une supériorité morale et en se disant que « Dieu fera le travail ». Non, Dieu n’est pas le substitut des paresseux et des lâches.

Ce chantage à la fitna, c’est ce que j’appelle le « syndrome de la maison assiégée » : les habitants de la maison sont tellement préoccupés par l’ennemi aux portes qu’ils oublient le feu qui est en train de les menacer de l’intérieur. Si ces habitants continuent de croire qu’en ne s’occupant « que » de l’ennemi aux portes, le feu finira par s’éteindre, ce sont eux qui finiront par se rendre ! Non pas parce que l’ennemi aux portes aura été plus fort mais parce qu’ils n’auront plus d’autre choix que d’abandonner leur maison pour rester en vie.

Les communautés musulmanes sont des communautés de foi et, comme toute communauté de foi, le lieu de culte joue un rôle central, incontournable et stratégique. Tout ce qui s’y passe affecte d’une manière ou d’une autre la communauté dans son ensemble.

Que faire donc lorsque celui qui est à la tête de ce pôle central contribue à affaiblir les communautés musulmanes face à l’islamophobie, voire même se met au service de celles et ceux qui veulent maintenir sous domination celles et ceux qu’on appelle « les musulmans » ?

Ne pas insulter l’intelligence des fidèles avec des prêches qui les infantilisent

Parlons maintenant des prêches du vendredi qui sont symptomatiques de ce qui se passe. Tous les acteurs en faveur de la justice sociale savent que chaque événement organisé est un effort personnel, collectif, logistique et financier pour s’assurer de la présence du public. Or, l’imam, lui, est assuré d’avoir une salle pleine tous les vendredis, c’est-à-dire 52 fois par an, sans le moindre effort.

Des hommes et des femmes quittent leur lieu de travail, d’étude ou font escale pendant un déplacement juste pour l’écouter. Rien que pour cela, ces personnes méritent d’être remerciées et respectées avec un prêche duquel ils tireront quelque chose. J’estime, pour ma part, que c’est une obligation morale envers son public. On ne bâcle pas son discours en le remplissant de phrases creuses, d’envolées lyriques de généralités, d’idées vagues ou en ressassant des évidences juste pour faire passer le temps.

Mais que faire lorsque, pendant 30 à 45 minutes, on insulte l’intelligence des fidèles avec des prêches qui les infantilisent et ne répondent en rien aux défis qu’ils affrontent à l’extérieur de la mosquée.

Faut-il changer l’imam ou l’imam doit-il changer ?
Que les prêches ne véhiculent pas de messages utiles ou concrets au service de la collectivité s’explique soit par la non-compréhension des enjeux, soit parce qu’on s’en fiche, soit parce qu’on craint des représailles politiques. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : refuser de répondre à ces questions mène à un décrochage dans le meilleur des cas et, dans des cas extrêmes, à ce que certains trouvent les pires réponses à de bonnes questions, non pas dans des sources crédibles mais auprès de groupes terroristes qui se servent de l’islam, avec les conséquences que l’on connait.

Face à la menace islamophobe, la réponse est risible. Pourquoi ? Parce que, dans bien des cas, le souci de beaucoup d’imams n’est pas de défendre leurs fidèles desquels ils tirent leur pouvoir, mais d’être bien vus auprès de ceux qui estiment que l’islamophobie est une mission.

Pour celles et ceux qui estiment que l’imam ne peut pas tout savoir, je réponds que rien n’empêche un imam de se faire entourer de gens qui pourront le conseiller. Mais un imam qui craint pour sa place ne se fera jamais entourer de gens sur lesquels il n’a pas un ascendant. On se mutile donc et on mutile le reste de la communauté des fidèles.

Ce n’est pas un hasard si des hommes et des femmes qui pourraient apporter une contribution cruciale décident de quitter la mosquée ou, du moins, refusent de s’y impliquer au-delà de l’accomplissement des rites.

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Non, ces personnes ne quittent pas la mosquée parce que ce sont des hypocrites ou des traîtres, des égarés, des innovateurs ou parce qu’ils n’ont plus la foi, mais parce que l’usurpation de la fonction d’imam est devenue tellement insupportable pour beaucoup que, passé un certain âge, passé un certain niveau d’éducation, on refuse de voir son intelligence insultée par des ignorants déguisés en savants.

Beaucoup estiment que l’imam n’est pas censé « parler politique ». Mais faire le choix de ne pas parler politique est déjà une décision politique. Et s’il ne faut pas parler politique, alors que viennent faire les maires à l’intérieur des mosquées, à l’occasion de certaines campagnes électorales ?

L’imam doit rendre des comptes à ceux qui lui ont fait confiance

Tant que les élites religieuses échapperont à tout contrôle, elles agiront pour des intérêts particuliers au lieu d’agir pour l’intérêt général. Qu’on arrête de dire « il rendra des comptes à Dieu ». Oui, il rendra des comptes à Dieu à titre individuel mais, une fois qu’il prend des fonctions qui engagent les autres, alors il rend des comptes à ceux qui lui ont fait confiance avant de rendre des comptes à Dieu. Je sais que ça déplaît de l’entendre et j’en assume la totale responsabilité mais l’histoire sera sans pitié avec nous et nos enfants nous en voudrons si nous les trahissons aujourd’hui.

Pourquoi est-ce que les élites religieuses sont souvent en retard sur l’Histoire? Encore une fois parce qu’elles sont rarement en phase avec les dominés mais plus en phase avec les dominants. Et lorsque les dominés changent le cours de l’Histoire, elles ont déjà trois trains de retard.

La vacuité intellectuelle du contenu produit dans bien des mosquées s’additionne avec la lecture d’un islam d’asservissement des masses au service du politique et ce problème n’est pas un nouveau. A titre d’exemple, pour rendre illégitime toute résistance face à la colonisation, l’administration coloniale française avait dépêché Léon Roches auprès du Chérif de La Mecque en 1894 pour qu’il lui délivre une fatwa stipulant que les musulmans peuvent accepter leur domination de la France tant qu’elle les autorise à pratiquer leur religion. Imaginez un instant que les Algériens se soient soumis ce genre d’idées ?

Lors des révolutions arabes, combien d’imams à travers le monde se sont levés dans les mosquées pour condamner les manifestants et même scander qu’il fallait continuer d’obéir à Ben Ali ou à Moubarak alors que la tyrannie est sur le point de tomber ?

En France, la situation n’est pas différente. Combien d’imams se sont levés pour interdire toute contestation, toute manifestation, tout engagement civique et citoyen, toute remise en question du statu-quo que l’Etat français refuse ?

Des imams ignorants des réalités des musulmans de France

Si l’État français signe des accords avec des pays musulmans pour faire venir des imams ou les y former, c’est bien à des fins de domestication et de contrôle des masses musulmanes parce que, dans bien des pays musulmans, les imams sont payés par l’État et donc formés pour être des fonctionnaires. Mais, ici, nous sommes en France, un pays laïque où l’État n’a rien à faire dans la mosquée, l’église ou la synagogue. Cette pacification des masses musulmanes, qui passe par le contrôle des mosquées, est tellement facile et acquise pour les décideurs politiques qu’ils ne se posent même pas la question de comment ces imams venus de l’étranger pourront accéder aux postes de commande.

La raison est simple. Les associations cultuelles choisissent la facilité en prenant les imams fournis par le consulat. Le résultat est donc parfaitement logique : des personnes qui, certes, maîtrisent les exégèses, sont à des postes clés mais leur ignorance des réalités des musulmans de France et particulièrement des réalités locales des fidèles qu’ils vont diriger est un problème structurel. Désolé, mais un imam qui ne comprend pas les réalités des fidèles n’a rien à leur dire et encore moins d’injonctions à leur faire.

Ce n’est pas la fonction qui pose problème mais l’absence de supervision et de contrôle de cette fonction qui la rend accessible à n’importe quel charlatan ou requin.

C’est aux fidèles de de mettre en place des contre-pouvoirs

« Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument », disait le philosophe Lord Acton. Lorsqu’on donne le pouvoir à quelqu’un sans contre-pouvoir pour le contrôler, on aboutit systématiquement à des catastrophes.

A la question « Faut-il changer l’imam ou l’imam doit-il changer ? », je réponds que c’est aux fidèles de changer leur grille de lecture, de choisir un imam formé qui leur ressemble, un imam issu de leurs rangs, qui partage leurs aspirations, qui a les mêmes intérêts qu’eux. C’est aux fidèles de mettre en place des contre-pouvoirs et mécanismes de contrôle pour éviter le despotisme d’un homme ou l’ingérence extérieure du politique. Refusez de vous occuper de vos élites religieuses et ce sont vos élites religieuses qui s’occuperont de vous.

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Yasser Louati est militant des droits humains et des libertés publiques, engagé également contre l'islamophobie. Il est auteur des rapports 2017 et 2018 sur l'islamophobie en France pour la fondation SETA, basée en Turquie.

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