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Politique

Du limogeage d'un imam à la plainte contre Darmanin, retour sur l'affaire secouant la mosquée de Gennevilliers

Rédigé par | Lundi 26 Juillet 2021 à 11:30

           

Deux imams ont été écartés par les gestionnaires des mosquées où ils prêchaient en raison de propos jugés sexistes et attentatoires à l'égalité femmes-hommes par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Ces nouvelles ont surgi vendredi 23 juillet, le jour de l'adoption définitive du projet de loi controversé contre le séparatisme. Le limogeage de l'imam officiant à la mosquée de Gennevilliers, en région parisienne, fait particulièrement grand bruit, jusqu'à prendre désormais une tournure judiciaire. Explications.



Du limogeage d'un imam à la plainte contre Darmanin, retour sur l'affaire secouant la mosquée de Gennevilliers
Après le limogeage, coup sur coup, de deux imams officiant dans les mosquées de Saint-Chamond, dans la Loire, et de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, des réactions indignées courent les réseaux sociaux parmi les musulmans de France. Et pour cause : ils ont été écartés de leurs fonctions à la demande expresse du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est empressé de le faire savoir sur les réseaux sociaux, vendredi 23 juillet.

« À ma demande, il a été mis fin aux fonctions de deux imams des Hauts-de-Seine et de la Loire aux prêches inacceptables. Nous combattons sans relâche ceux qui bafouent les règles et les valeurs de la République », a-t-il déclaré, en partageant un article du Figaro. La polémique se cristallise particulièrement autour du cas de Mehdi Bouzid, qui officie occasionnellement à la mosquée Ennour de Gennevilliers. L’imam, écarté en ce mois de juillet, a décidé de porter plainte, avec l'aide du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), né des suites de la dissolution du CCIF.

Des accusations visant un sermon « au contenu très vindicatif »

Que s’est-il bien passé pour en arriver à une telle situation ? Mehdi Bouzid, aussi connu sous le pseudonyme « IslamMag » sur les réseaux sociaux, est accusé par le ministre de l’Intérieur d’avoir délivré en juin « un prêche au contenu très vindicatif, comportant notamment des propos contraires à l'égalité femme / homme » selon une note transmise au préfet des Hauts-de-Seine en date du 13 juin.

« Il aurait ainsi accusé les femmes de manquer de pudeur, visant particulièrement celles qui partagent sur les réseaux sociaux des leçons de maquillage ou des tenues qui mettent en valeur les formes de leur corps, qui sont habitées par Sheitan », ajoute-t-il, appelant le représentant de l’Etat à « convoquer officiellement les instances dirigeantes de la mosquée Ennour et (à) recueillir leurs explications ». « Si ces propos étaient avérés, vous leur demanderez de se séparer sans délai de l'imam (…) et de prendre les mesures nécessaires pour que de tels discours attentatoires à l'égalité femme / homme ne soient, à l'avenir, plus tenus au cours de prêches », conclut le ministre.

Un prêche du vendredi à la loupe

« La pudeur fait partie de la foi. » Le sermon visé est celui délivré aux fidèles vendredi 4 juin, consacré à la foi et à la pudeur. Filmé, il a été mis en ligne le jour même du prêche par l’imam. Durant près de 30 minutes du discours au ton moralisateur que Saphirnews a écouté dans son intégralité, Mehdi Bouzid vise les femmes mais aussi les hommes en ces termes précis :

« Vous allez voir des sœurs qui font n’importe quoi. Pourquoi ? Elles ont la foi mais elles vont faire n’importe quoi. Comment ? En étant des instruments de Shaytan (du Satan, ndlr), en partageant sur leurs pages Instagram ou sur les différents réseaux sociaux des choses qui appellent à autre qu’Allah et son Messager. "Regarde comment tu dois te maquiller, regarde comment tu dois montrer tes formes." (…)

Il y a une parole que j’ai vue sur Internet et que j’ai appréciée. L’eau s’évapore à 100°C mais la pudeur s’évapore à 20°C. Les sœurs, 20°C, c’est fini ! SobhanAllah
(Gloire à Dieu, ndlr), mais comment elles s’habillent ! C’est quoi ça ? (…) Qu’elles s’habillent mal, ce n’est pas un problème. (…) Pas que ce n’est pas un problème, c’est un choix pour toi. Tu ne veux pas mettre le foulard, c’est ton choix bien que ce soit une obligation divine. Mais qu’est-ce que tu es en train de faire en t’habillant comme ça ? »

L’imam enchaîne ainsi : « Ou bien les frères ! Il y a une nouvelle mode maintenant : à un moment, c’était le pantalon court ; maintenant, c’est le pantalon, sobhanAllah, où on voit toutes leurs cuisses. Et alors les frères, on ne se respecte plus ? Il n’y a plus de awra (terme en arabe désignant les parties du corps à cacher, y compris pour les hommes, ndlr) pour nous ? Il y a des choses que nous sommes en train de faire qui ne matérialisent pas notre foi, (…) où nous faisons la promotion du mal, de Shaytan. »

Le débat ici n’est pas de savoir si on est d’accord ou pas avec les propos tenus lors du sermon, mais plutôt de savoir s’ils sont réellement attentatoires à l’égalité hommes / femmes en l’état (alors que les deux genres ont été explicitement visés au cours d’un même discours), s’ils sont répréhensibles pénalement et si c’est le rôle du ministre de l’Intérieur de faire destituer des cadres religieux pour des propos qui ne font pas aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires, renforçant ainsi des inquiétudes déjà fortes parmi des musulmans pour qui le deux poids, deux mesures est manifeste.

Le fait est que la mosquée Ennour, sous pression, a choisi de se séparer de l’imam. Le préfet a en effet été appelé, toujours selon la note ministérielle, à utiliser, « dès la promulgation de la loi confortant le respect des principes de la République, les nouveaux moyens donnés par ce texte pour faire suspendre l'activité du lieu de culte en cas de récidive » et à « mobiliser tous les moyens de l'Etat, et notamment de contrôle, envers ce lieu de culte » en veillant « à conférer à cet avertissement la solennité nécessaire ».

Au Parisien, Mohamed Benali déclare avoir « évidemment décidé de nous séparer de l’imam en question mais c’est lui qui a proposé de partir ». « Ce qu’on peut lui reprocher, ce sont des maladresses. On peut nous critiquer mais pas nous accuser d’être sexistes. Nous avons des vice-présidentes dans l’association. Nous allons évidemment travailler pour que cela ne se reproduise pas. »

L’affaire portée par l’imam sur le terrain judiciaire

L'affaire surgit dans l'actualité estivale au moment – non hasardeux – où le projet de loi contre le séparatisme a été définitivement adopté par le Parlement. Accompagné par le CCIE, Mehdi Bouzid est désormais lancé dans une bataille judiciaire contre l’Etat. Une plainte contre le ministre de l’Intérieur et le préfet des Hauts-de-Seine pour « abus d’autorité » a été annoncée samedi 24 juillet.* « Pour ma part, il n’y a eu aucune maladresse. J’ai respecté parfaitement le savoir vivre ensemble, la femme en général. Je m’adressais à une communauté de foi (…). Je m’adressais aux hommes comme aux femmes », a-t-il fait part dans une mise au point diffusée dimanche 25 juillet, déclarant vouloir « rétablir (son) honneur parce qu’on n’a pas le droit de (le) diffamer et de mentir sur (ses) propos ».

« On a, encore une fois, une illustration du délit d’opinion et d’un deux poids, deux mesures qui pèsent sur la communauté musulmane », a signifié son avocat, Me Sefen Guez Guez, soulignant que l’imam a appris avoir été écarté par la mosquée « par voie de presse », ce qui contredirait alors les propos de Mohamed Benali. « Cette décision est choquante. Pourquoi ? Parce qu’on constate aujourd’hui que le ministère de l’Intérieur, et la préfecture par son intermédiaire, s’immisce dans la gestion des lieux de culte et décide de qui peut être imam et de qui ne peut pas l’être. » Un bras de fer est engagé.

Mise à jour samedi 14 août : Son avocat a annoncé qu'une plainte a bien été déposée cette semaine auprès de la Cour de justice de la République contre Gérald Darmanin pour « abus d'autorité » et « atteinte à la liberté d’expression et de culte ».


Qu’en est-il du cas de l’imam limogé de la mosquée Attakwa de Saint-Chamond ? Mmadi Ahamada a été écarté de ses fonctions le 22 juillet des suites de son prêche délivré le 20 juillet à l’occasion de l’Aïd al-Adha. Aux femmes musulmanes, « on leur dira (en prêtant le propos qui suit au Prophète, ndlr) : Entrez au Paradis par n’importe quelle porte du Paradis que tu veux. Tâchez de veiller aux droits d’Allah et à ceux de vos époux, c’est-à-dire vos maris. Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes d’avant l’islam », avait-il notamment déclaré.

Après la convocation par la préfecture, jeudi 22 juillet, des dirigeants de la mosquée, ces derniers ont publiquement informé leurs fidèles du limogeage de l’imam. Face aux critiques, le lieu de culte a fait savoir le lendemain via ses réseaux sociaux que « la décision a été prise par la préfète de la Loire, Catherine Séguin, suite à une demande du ministre de l'intérieur et non par la mosquée », provoquant alors de nombreuses réactions d’internautes accusant les gestionnaires de ne pas assumer leur choix.

Une pétition de soutien à l’imam a d’ores et déjà rassemblé plus de 5 300 signatures lundi 26 juillet. « Empêcher un imam de s’exprimer au nom de valeurs religieuses est-il désormais blâmable ? », s’interroge-t-on. « D’un point de vue politique, cette dérive doit être dénoncée et condamnée. Un bon musulman à la lumière de cette cabale politico-médiatique, est un musulman qui n’en est plus un », lit-on. L'affaire pourrait coûter à l'imam d'origine comorienne un non-renouvellement de son titre de séjour.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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