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Éditorial

De Gaulle, l’extrême droite et les musulmans

Rédigé par | Vendredi 26 Novembre 2021 à 17:55

           

A quelques mois de l’élection présidentielle, l’hommage au général de Gaulle semble être un passage obligé pour un grand nombre de candidats, y compris ceux de l’extrême droite, ce qui ne manque pas de sel. C’est l’occasion pour les musulmans de France de revisiter la figure du général.



De Gaulle, l’extrême droite et les musulmans
A chaque échéance présidentielle, les musulmans de France savent qu’ils seront l’objet de toutes les attentions. L’affolement des thématiques sécuritaires autour de l’islam sur les chaînes d’info en continu constitue même le top départ de la campagne présidentielle. Si, auparavant, les musulmans hésitaient entre un sentiment de stupeur et de désarroi, ils sont aujourd’hui gagnés par la lassitude, tout comme beaucoup de leurs concitoyens qui souhaiteraient que les candidats à la magistrature suprême puissent débattre autour de vraies questions.

Chaque campagne installe un climat de suspicion et de méfiance à l’endroit des musulmans. Ces échanges, qu’ils soient idéologiques comme l’extrême droite ou bien simplement tactiques des autres partis politiques, ne sont pas sans conséquences fâcheuses pour notre corps social.

Cordon sanitaire contre l’extrême droite

Pourtant, face à une séquence mémorielle liée au 51e anniversaire de la mort du général de Gaulle, les formations politiques de gauche et de droite n’ont de cesse d’invoquer le gaullisme. L’une pour le gaullisme social, l’autre pour la souveraineté nationale ou encore pour le 18 juin. Mais le plus surprenant, c’est lorsque le Rassemblement national invoque cette figure afin de louer les institutions républicaines. Pour les esprits avertis, il y a comme un malaise.

Car il faut bien se rappeler que le Front national (l’ancien nom du RN) fut créé par des personnages vouant une haine à Charles de Gaulle et dont certains sortaient tout droit des rangs de l’OAS. C’est d'ailleurs durant la montée du FN dans les années 1980 que l’héritage gaulliste fut revendiqué pour différencier la droite de l’extrême droite. C’est l’arrivée pour la première fois d’élus frontistes dans un exécutif local à la suite d’une alliance RPR-FN lors de l’élection municipale de Dreux en 1983, un coup de tonnerre dans le paysage politique, qui décida Jacques Chirac d’imposer l’interdiction de toute alliance avec le FN. C’est le fameux cordon sanitaire.

En 2021, de Gaulle semble être un totem politique indépassable. Même le trublion Zemmour en use gaiement pour réhabiliter Pétain en se servant de la thèse du bouclier et de l’épée, faisant croire que Pétain et de Gaulle agissait de concert. Le premier se serait chargé de protéger au mieux les Français et le pays, y compris en ayant recours à la collaboration avec Hitler, jusqu’à ce que le second soit suffisamment fort pour vaincre l’ennemi nazi.

En témoigne la théorie que défend Zemmour considérant que les juifs étrangers auraient été donnés aux nazis pour protéger les juifs français ! Cette thèse est pourtant jugée révisionniste par tout bon historien digne de ce nom. C’est une tentative éhontée de vouloir donner une légitimité politique à la préférence nationale tant revendiquée par les formations d’extrême droite et si contraire aux valeurs défendues par notre République.

© Chabe01/Wikimedia Commons
© Chabe01/Wikimedia Commons

L’installation définitive des populations de cultures musulmanes en métropole : un impensé politique

Chez de Gaulle, aussi géant soit-il, comme tout être humain, on y trouve des zones d’ombre et de lumière. Dans la part obscure, il y a son rapport ambigu à l’intégration des musulmans à la France que Zemmour exploite avec beaucoup de cynisme.



Le polémiste, presque candidat à la présidentielle, cite dans son dernier livre la déclaration que de Gaulle aurait faite à Alain Peyrefitte : « Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber 10 millions de musulmans qui, demain, seront 20 millions et après-demain 40 ? (…) Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » Même si, à l’instar de l’historien Jean-Paul Bled qui rappelle que seuls ses écrits engagent le général et non ses propos verbaux comme ce dernier l’avait souhaité, on connaît toutefois ses envolées verbales comme celle à propos des juifs, « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».



Cette réticence concernant l’intégration des musulmans, on la devine quand de Gaulle refusa initialement le rapatriement des combattants musulmans engagés côté français qui risquaient alors représailles et massacres de la part de ceux engagés du côté du FLN. Au conseil des ministres du 21 février 1962, Nafissa Sid Cara, première femme membre d’un gouvernement de la Ve République et première secrétaire d’État de confession musulmane chargée des Questions sociales en Algérie et des Affaires musulmanes, s’était émue du sort réservé aux Français musulmans. De Gaulle lui répondit : « Croyez-vous vraiment, Mademoiselle, que, sauf les exceptions dont nous avons le devoir de nous occuper aujourd’hui, dont nous devons nous préoccuper demain, la grande majorité des musulmans ne sont pas favorables à l’indépendance ? »



Quelques mois plus tard, au conseil des ministres du 25 juillet 1962, de Gaulle déclara : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu’ils ne s’entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme tels, que s’ils couraient des dangers. » D’évidence, le sang versé pour la France n’a pas suffi à convaincre de Gaulle qui s’est persuadé que les harkis étaient sous influence d’officiers militaires pro-OAS dont il soupçonnait leur volonté, une fois rapatriés sur le territoire métropolitain, de les mobiliser contre lui. Il se convainquait aussi que les massacres seront évités grâce au respect des accords d’Évian.



Fort du recul historique, on peut faire le constat d’un impensé politique qui aura deux conséquences majeures pour l’intégration du culte musulman en France.



La première, c’est de considérer la présence des musulmans sur le sol français que comme une situation provisoire. Ce mythe du retour qui prend racine dans les déplacements provisoires et rotatifs des « musulmans indigènes » entre les colonies et la métropole pour alimenter les besoins de main d’œuvre ouvrière et agricole de la France de la première moitié du XXe siècle fut autant partagé par les élites politiques de la Ve République que des ouvriers étrangers issus de pays de cultures musulmanes. Ce n’est qu’en 1989 que l’affaire dite du foulard de Creil sonnera le glas de ce doux mythe, quand se posera la question de la visibilité de l’islam par les deuxièmes générations. La question du fait musulman fut donc négligée par la droite mais aussi par la gauche qui, de par son histoire politique, regarde avec suspicion le fait religieux tout en estimant que l’intégration émancipera les jeunes générations de leur appartenance religieuse. On peut estimer qu’un retard de 30 années fut pris pour accompagner l’émergence d’institutions musulmanes.



L’autre conséquence, c’est de toujours considérer les musulmans comme un corps étranger à notre pays avec ces questions récurrentes : les musulmans sont-ils compatibles avec la République ? L'islam avec la laïcité française ? La liste est longue.

De Gaulle, le sens de l’État et de la République

Dans la part lumineuse du général, on retient son génie politique pour mener à son terme la décolonisation alors que beaucoup de monde dans son camp étaient farouchement partisans de l’Algérie française. Il est aussi l'artisan d'une nouvelle Constitution qui mettra fin à l’instabilité de la IVe République.

Évidemment, on peut aussi citer l’appel du 18 juin 1940. Quand tout semblait foutu, lui continuait seul le combat. Sur les encouragements d’un Georges Mandel qui, lui, avait refusé au général anglais Edward Spears son départ pour Londres – en ces termes « Vous craignez pour moi parce que je suis juif. Eh bien, c’est justement parce que je suis juif que je ne partirai pas demain, cela aurait l’air de dire que j’ai peur et que je m’enfuis » –, de Gaulle s’envola pour la Grande-Bretagne afin d’organiser la résistance de la France libre. C’est l’incarnation de la grandeur face au défaitisme qui lui permettra d’installer la France dans le camp des vainqueurs. Il y a aussi son sens de l’Etat qui, au sortir de la guerre, a su unifier un pays meurtri et divisé. Après une épuration très vite maitrisée et quelques procès de hauts dignitaires de Vichy, de Gaulle organisa le dépassement des oppositions entre résistants et serviteurs du régime collaborationniste pour remettre la France en selle.

Ce sens de l’unité nationale est certainement une des qualités politiques qui manque aujourd’hui à cette extrême droite qui tente pourtant de récupérer la figure gaulliste. Vouloir créer des catégories différentes de Français tout en tentant de les opposer est fondamentalement contraire au gaullisme. La farce est encore plus grande quand Zemmour, après s’être identifié à de Gaulle, se prend ensuite pour le Trump français. On garde en mémoire l’invasion du Capitole qui nous laisse imaginer ce que serait une future invasion de l’Assemblée nationale par des zemmouristes déchainés.

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Mohammed Colin
Directeur de la publication En savoir plus sur cet auteur


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