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Points de vue

Ca suffit, encore et toujours !

Rédigé par Bouzar Dounia | Vendredi 24 Juin 2005 à 00:00

           

Inciter à la violence sur les femmes serait-il permis lorsqu’on le fait au nom de Dieu ? L’imam de Vénissieux, qui avait déclaré notamment que « battre sa femme est autorisé par le Coran… » a été relaxé. Certains diront que le condamner n’aurait pas forcément servi à grand-chose. On connaît bien les interprétations de ces salafistes wahhabites…



Inciter à la violence sur les femmes serait-il permis lorsqu’on le fait au nom de Dieu ? L’imam de Vénissieux, qui avait déclaré notamment que « battre sa femme est autorisé par le Coran… » a été relaxé. Certains diront que le condamner n’aurait pas forcément servi à grand-chose. On connaît bien les interprétations de ces salafistes wahhabites… Mais ce qui me pose avant tout question,  c’est l’argument du juge. Que dit-il ? « Que Mr Bouziane s’est limité à expliquer ce que dit sa religion au travers le Coran et que le tribunal n’a pas à pénétrer dans le for intérieur de la religion ». Alors là, il y a problème ! Je voudrais rappeler à ce juge que l’islam est comme toutes les autres religions : il ne parle pas, ce sont les hommes qui le font parler ! Les religions ne sont que le produit de ce qu’en font les hommes ! Juger Mr Bouziane, ce n’était pas juger l’islam ! Je pensais que la laïcité était là pour lutter contre les systèmes moyenâgeux qui autorisent les hommes à se servir de Dieu pour édicter des lois (soi-disant divines) qui les arrangent ! Faire la séparation entre le profane et le sacré, c’est justement soumettre tous les individus, quelle que soit leur religion, leur politique, leur philosophie, aux mêmes lois de droit commun. En l’occurrence, faire un discours public, en tant qu’imam, qui autorise, au nom de Dieu, ce que le Code Pénal interdit, pose vraiment question. Parce qu’il ne s’agit pas de la conscience personnelle de « ce musulman-là », qui reste « son problème ». Il s’agit d’un discours qui fait autorité sur ceux qui l’écoutent parce qu’il est l’imam : « celui qui est devant ».

 

Lorsque le juge estime que Mr Bouziane se limite à expliquer ce que dit sa religion, il réduit l’islam à un ensemble de règles de conduites contraignantes appliquées d’une manière uniforme. Il reprend donc les définitions des wahhabites ! Cela me rappelle les éducateurs qui tardent à faire un signalement au juge des enfants pour le père de famille violent d’origine maghrébine… Tout simplement parce que leur représentation de l’islam est telle qu’ils ne savent plus faire la distinction entre ce qui relève du dysfonctionnement familial et ce qui relève de la religion… Selon cette représentation, la seule solution serait d’abandonner l’islam pour vivre des valeurs modernes !

 

Et pourtant, Monsieur le juge, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Et encore moins la femme ! C’est exactement le contraire : l’humain construit la compréhension de sa religion en fonction de ce qu’il vit. Et justement, le vécu dans le pluralisme laïc français ouvre une nouvelle porte : ce qui compte ici, ce n’est plus d’observer les normes (ce qu’on nous dit de faire), ce n’est pas de suivre des modèles,  mais de développer sa responsabilité, sa maîtrise de soi, pour trouver comment appliquer les principes de l’islam à partir de notre nouvelle réalité. Notre vécu ici et maintenant nous oblige à nous demander ce que nous comprenons de notre message divin à partir de notre nouvelle situation. Et nous prenons une place de Sujet à part entière. Lorsque j’ouvre mon Coran en étant chercheuse à Paris ou journaliste à New-York, je ne comprends pas la même chose que mon arrière grand-mère paysanne et analphabète qui n’est jamais sortie de sa cuisine ! Alors j’admets que toute interprétation relève toujours d’une expérience au monde. Et j’accepte l’idée que les normes dites « sacrées » émanent aussi de processus sociaux et historiques, dues à l’interactivité des hommes avec leur texte. Que le texte divin reste le même, mais que sa compréhension dépend de l’expérimentation des Hommes. Vivre ici me fait revenir à l’essentiel : je dois chercher l’esprit qui anime mon message divin pour trouver le moyen de le faire passer du niveau théorique au niveau pratique. Je fais la distinction entre les principes de l’islam et les formes historiques dans lesquelles il a été mis en œuvre. Entre le crédo et l’histoire. Je désacralise la façon dont certains musulmans ont compris le Coran. Pour moi, Monsieur le juge, par ce fameux verset 4/34 qui parle de violence sur les femmes, Dieu a voulu mettre fin à une pratique de violence généralisée à cette époque en la limitant à certaines conditions. Mais il ne s’agit pas d’une disposition définitive qui instaurerait le droit de punir la femme comme le dit ce cher Bouziane. Ce qui est sacré, c’est la finalité que le verset vise, les valeurs qu’il cherche à prévaloir : l’arrêt de la violence sur les femmes. Alors pitié, ça suffit ! Tous ces hommes qui veulent maîtriser le lexique religieux pour commander le comportement des humains ! Ne vous y mettez pas… Ne sacralisez pas une compréhension humaine, jugez-la pour ce qu’elle est : une incitation à la violence contre les femmes inadmissible !

 

Par Dounia Bouzar, anthropologue démissionnaire du CFCM, auteur de « Ca suffit ! » collection Indigne chez Denoël

 

 





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