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Un « califat » méconnu : l’empire de Sokoto

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Lundi 10 Août 2015 à 10:00

           

Empire fondé sous la bannière de l’islam et califat méconnu, Sokoto est le grand et le plus puissant État africain au XIXe siècle. Il est l'œuvre d'un homme, Ousmane Dan Fodio, ouléma itinérant et cheikh de la confrérie Qadiriyya.



Un « califat » méconnu : l’empire de Sokoto
Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIXe-XXe siècles (Publications de la Sorbonne) est le titre du dernier essai de l’historienne Camille Lefebvre. L’ouvrage, qui englobe 160 ans d’Histoire de ce qui allait devenir le Nigeria, a notamment le mérite de revenir longuement sur l’empire de Sokoto.

Empire fondé sous la bannière de l’islam et califat méconnu, il s’agit du plus grand État africain au XIXe siècle : 1 500 km du fleuve Niger au lac Tchad, et 600 km du nord au sud. Le plus puissant aussi. Un empire né de l’activité missionnaire d’un homme, le prédicateur peul ‘Uthmân Ibn Fûdî (Ousmane dan Fodio), et qui durera un siècle, jusqu’en 1904.

Son action s’insère dans un contexte socio-politique régional dans lequel deux facteurs sont déterminants. D’une part, une forte tendance au regroupement politique, qui voit l’émergence d’Etats qui, s’ils sont dominés par certaines ethnies (Peul, Malinké, Agni et Baoulé, à l’ouest, Peul et Haoussa au centre, Bantou au sud) dépassent le cadre de la tribu. D’autre part, la diffusion croissante de l’islam, une religion certes millénaire en Afrique, mais qui, au XVIIIe siècle, gagne les campagnes, progressant vers le sud.

Une diffusion qui doit beaucoup aux oulémas itinérants, qui associent prédication religieuse et action politique. ‘Uthmân Ibn Fûdî – savant musulman et fondateur d’empire – constitue à cet égard un exemple emblématique.

Par son savoir (son œuvre comprend des dizaines de traités en arabe, mais aussi des poèmes en langue vernaculaire), par sa rigueur morale, par son aura, ce disciple du marabout réformateur Jibrâ’îl ibn ‘Umar al-Aqdasî et cheikh de la confrérie Qadiriyya attirait des étudiants des quatre coins du Bilâd as-Sudân (Afrique de l’Ouest et nord de l’Afrique centrale actuels).

Mais surtout, par ses prêches publics, il réussit à initier un formidable mouvement de réforme qui allait donner une place nouvelle à l’islam dans la région. D’une religion qui, pour l’essentiel, est cantonnée aux cercles des lettrés, des riches marchands et des hommes de pouvoir, il contribuera à faire une religion populaire, réunissant, au-delà des barrières ethniques et sociales, paysans, pasteurs, femmes et esclaves.

En février 1804, appuyé par de nombreux fidèles, il lance, à partir du nord du Gober, la guerre sainte (jihâd) contre les rois haoussas, dont il juge le gouvernement contraire aux enseignements de l’islam. En décembre 1808, celui que ses fidèles parent du titre de Commandeur des croyants (Amîr al-mu’minîn) s’empare du dernier bastion haoussa. En l’espace d’une décennie, l’Etat ainsi constitué atteint son extension maximale : du Dendi et du Gourma à Maroua, engloblant Katsina, Kano, Zaria, Adamaoua, etc.

Un Etat prospère qui impose d’importantes taxes douanières aux riches caravanes qui, quotidiennement, assurent la liaison avec l’Afrique du Nord et la vallée du Nil. La cité de Kano est alors un centre commercial majeur du continent.

‘Uthmân Ibn Fûdî meurt en 1817, dans la capitale qu’il a fondée, Sokoto. Cinq ans plus tôt, ayant jugé sa mission accomplie, et conformément à son éthique soufie, il s’était retiré du pouvoir pour se consacrer à l’étude.

Ses successeurs veilleront à consolider les acquis de l’« Etat ‘uthmanien » (ainsi que le nomment les sources afro-arabes) : une structure politique divisée en provinces (émirats), supra-ethnique, centralisée et stable. L’administration demeurera entre les mains des fonctionnaires lettrés et, de même que l’idéal du jihâd, cette tradition de culture ne fut jamais réellement abandonnée (plus de trois cents ouvrages religieux furent composés à Sokoto).

Néanmoins, l’ivresse du pouvoir finira par avoir raison des idéaux égalitaires du jihâd. Les Peuls devinrent la nouvelle classe dominante, creusant le fossé entre gouvernants et gouvernés. Morcelé, pris en étau entre les forces coloniales françaises et britanniques au Nord et au Sud, l’empire disparaît en 1904.

Camille Lefebvre, Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIXe-XXe siècles, Publications de la Sorbonne, coll. Bibliothèque historique des pays d’Islam, février 2015, 540 p., 45 €.





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