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Points de vue

Comment les Espagnols sont devenus musulmans

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Mardi 1 Octobre 2013 à 06:00

           


Comment les Espagnols sont devenus musulmans
Charles L. Tieszen a récemment publié aux éditions Brill un essai intitulé Christian Identity amid Islam in Medieval Spain. L’orientaliste spécialiste des relations interreligieuses y examine la manière dont les chrétiens arabisés d’Espagne définissaient leur identité à la lumière de l’islam. On les appelle Mozarabes, c’est-à-dire, littéralement, «arabisés» (musta‘rab).

A Léon depuis 1024, à Tolède en 1101, à Coïmbre en 1154, ce nom s’est imposé pour désigner les chrétiens latins indigènes qui, dès les premières décennies de la conquête islamique au VIIIe siècle, ont adopté la langue, la culture et les mœurs arabes. Leur acculturation rapide et profonde témoigne de la fascination exercée par la culture arabo-musulmane. Si elle ne mène pas nécessairement à la conversion, elle en constitue le plus souvent le prélude, la conversion à l'islam devenant l’expression finale de l'acculturation.

La communauté mozarabe, qui va en s’amenuisant, disparaît presque totalement au XIIe siècle. Entre-temps, une autre communauté indigène ne cessera de croître, devenant progressivement majoritaire, celle des Muwallads, convertis de souche hispanique, originellement de confession chrétienne ou juive. Ils finiront également par disparaître en tant que communauté socialement distincte, du fait de la multiplication des mariages avec les descendants des conquérants arabes ou berbères, à l’origine du melting pot islamo-andalou.

Le prestige de la culture arabe

Dès le IXe siècle, le théologien Alvare de Cordoue s’indignait du prestige exercé par la langue et la littérature arabes sur les jeunes chrétiens instruits. S’ils étaient bien en peine de seulement déchiffrer une lettre rédigée en latin, ces enfants de la bonne société cordouane pouvaient en effet citer les meilleurs poètes arabes.

S’il y voyait à raison les prémices d’une dissolution progressive de sa communauté au sein de l’islam, Alvare tenait néanmoins un discours d’arrière-garde en associant la cohésion du groupe à la défense de la langue et de la culture latines.

Dans cette société d’islam qu’était la société andalouse, la langue arabe et le modèle culturel oriental se diffusait auprès de l'ensemble des couches de la société. Dans les marges des manuscrits chrétiens de l’époque califale, les gloses sont rédigées dans un arabe qui dénote une grande maîtrise de la langue du Coran, devenue langue apostolique sous la plume de clercs cordouans fins lettrés.

Si l’on excepte les cas de conversion forcée (conversion par décret et pression politique sous les Almohades), à la fois tardifs et non représentatifs, le processus d’islamisation ressortit à un degré ou à un autre au prestige d’une langue et d’une civilisation reconnues comme supérieures ‒ la langue du Coran étant également celle de la création littéraire et du savoir, qu’il soit scientifique, philosophique ou théologique.

Les différents modèles de conversion

Trois cas de figures peuvent être distingués ici.

La conversion des élites soucieuses d’adopter les nouvelles normes à même de leur permettre de maintenir leur rang social : l’essentiel de l’aristocratie wisigothe s’est ainsi convertie à l’islam.

La conversion due à la pression de la société, à l'influence des normes culturelles de la majorité, au conformisme. C’est celle des Muwallads, parmi lesquels un nombre croissant de Mozarabes, dont c’est là le stade ultime de l’acculturation (l’assimilation pure et simple au groupe dominant).

Enfin, la conversion individuelle, qui ressortit à une conviction intime, et qui se rencontre essentiellement chez des personnes cultivées fortement acculturées. C’est le cas, par exemple, d’Isaac Abou Saïd Ibn Ezra, fils du célèbre poète et exégète juif arabe de Navarre, Abraham Ibn Ezra (1090-1125).

Première parution de cet article le 30 août 2013, dans Zaman






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