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Points de vue

Tunisie : non à la bipolarisation politique !

Par Wajdi Liman*

Rédigé par Wajdi Liman | Mercredi 4 Janvier 2012 à 09:32

           


La Tunisie a connu sa première élection libre et démocratique. Déjà, les heurts commencent entre ceux qui vont former le nouveau gouvernement et les "autres".

J’écris ce texte en tant que militant se considérant comme progressiste. Comme acteur de la société civile tunisienne en France, animateur de l'association Uni*T, et membre de l’instance régionale indépendante des élections (IRIE) sur le territoire France 1. Je tiens à m’exprimer ici, car la situation dans mon pays d’origine m’inquiète. La radicalisation de part et d’autre n’augure rien de bon, quand l’invective remplace le dialogue.

Je pense qu’au départ il s’agit d’un énorme malentendu. Malentendu ou défaut d’analyse. Mes amis de gauche font du Hizb Harakat Al Nahdha leur ennemi numéro un. A mon avis, c’est là qu’est l’erreur fondamentale. Ennahda n’est pas l’ennemi numéro un. L’ennemi numéro un, s’il devait en avoir, serait formé par les partisans de l’ancien régime, les acteurs à la tentation autoritaire. Ces personnes qui attendent, tapis dans l’ombre, l’échec de l’expérience démocratique tunisienne, pour mieux revenir et vendre leurs projets de stabilité et de normalisation sécuritaire.

Ennahdha est un parti islamiste comparable ni au PJD marocain, ni au MSP algérien, ni aux Frères musulmans d’Egypte. Non. Pour nous, Ennadha est la preuve vivante de la caution sécuritaire par la gauche tunisienne. Il est la preuve vivante de la volonté de désislamiser la Tunisie par Ben Ali. Ce parti a subi la plus féroce des répressions, au vu et au su de tous ; et ses militants en portent, encore aujourd’hui, les séquelles sur leurs corps.

Dans sa volonté de prolonger l’héritage moderniste de Bourguiba, Ben Ali a combattu Ennahdha, qu’il considérait comme les symboles de l’islam politique. Le voile fut interdit dans les établissements scolaires (certes depuis 1982) et les administrations. Celles qui le portaient furent harcelées par les services de sécurité. Le port de la barbe fut proscrit et aboutit, lui aussi, à une répression. Les fidèles des mosquées furent eux aussi victimes du harcèlement policier. Sous couvert de lutter contre l’islamisme, Ben Ali a mené une attaque de fond contre les symboles de religiosité. Et ça, les Tunisiens le savent. Qu’ils soient d'Ennahdha ou pas, une grande part des Tunisiens, musulmans « pratiquants », ont subi des attaques dans leur foi. Beaucoup d’entre eux aujourd’hui ont voté Ennahdha, bien que ce parti n’ait aucun lien avec eux. Il s’agit d’une revanche de l’Histoire, une forme de retour du refoulé, en lien avec la question identitaire tunisienne.

Ennadha, par son retour dans la sphère publique, met mal à l’aise une partie de la gauche tunisienne, qui, dans sa grande majorité, a cautionné le régime de Ben Ali, en lui donnant du contenu idéologique et en lui facilitant la répression des islamistes. Si, formellement, gauche et islamiste ont su s’allier dans le cadre de la défense de la démocratie lors de la rédaction du manifeste du 18-Octobre, il n’en demeure pas moins un profond malaise de la gauche vis-à-vis d’eux. Un exemple parmi cent, les militants de la LDH (Ligue des droits de l’homme) et d'Ennahdha de l’époque se souviennent d’un Khemais Chemmari, dirigeant de la Rabita, répondant à des femmes de militants d'Ennahdha venant se plaindre d’exactions contre leurs enfants, par des gestes obscènes, touchant à la pudeur et à l’intimité et menaçant de contacter la police… L’existence d'Ennahda en tant qu’acteur politique est le symbole vivant de la compromission de la gauche avec Ben Ali, sous couvert de modernisme et de lutte contre le fanatisme.

Ces éléments sont à prendre en compte dans l’analyse du succès d'Ennahda auprès du peuple tunisien. Faire l’économie de cette réflexion, c’est agir hors sol. C’est appliquer une grille de lecture classique à un parti qui n’a rien de classique, c’est insulter les électeurs et leur projet de société comme l’appareil sécuritaire Ben Aliste avait coutume de les insulter.

En tant que militant de gauche, membre de l’IRIE France 1, j’ai à cœur d’avoir une approche nuancée de la chose publique. J’estime que si l’on peut, légitimement, ne pas adhérer à un projet de société conservateur et économiquement libéral, il y a toutefois quelques limites auxquelles il faut s’astreindre à :
1. ne pas insulter le peuple tunisien en le traitant d’analphabète, comme certains l’on fait ;
2. ne pas insulter l’identité tunisienne, comme l’ont fait les dictateurs Ben Ali et Bourguiba ;
3. ne pas user de la violence physique dans une logique d’éradication.

Hors de ces trois limites, on peut clairement ne pas adhérer aux propos de Souad Abderahim, et se battre pour « l’émancipation des femmes », pour le droit de choisir, le droit de disposer de son corps. Mais on peut défendre ces principes sans attaquer le peuple tunisien, ni faire montre de mépris à son égard. On peut attaquer Souad Abderahim, sans servir d’idéologue aux bras qui l’ont agressé devant le Bardo. Jouer à cela, c’est jeter les graines d’une guerre civile en Tunisie.

Quel sens cela a-t-il de manifester jour après jour au Bardo ? Alors que le peuple a tranché et qu’une majorité sortie des urnes se construit actuellement en Tunisie, pourquoi certains tentent-ils de jouer aux apprentis putschistes ? Encore une fois, cela n’est pas sain, pour la construction d’un processus démocratique.

La société tunisienne est diverse. La fin de la dictature a vu l’émergence de nombreuses tendances ou courants idéologiques. Certains sont porteurs d’un projet d’émancipation, d’autres sont plus réactionnaires, certains sont démocrates, d’autres refusent d’utiliser ce mot. La Tunisie démocratique est ainsi faite. Pluraliste. Bien entendu, chacun peut se positionner comme il l’entend. Mais stigmatiser la tendance salafiste comme le font certains, en utilisant les termes « extrémiste » et « obscurantiste », vocable préféré de la logorrhée Ben Aliste, a quelque chose de troublant. Bien entendu que le salafisme n’est pas porteur d’un projet viable pour la Tunisie, mais n’est-ce pas lui faire de la publicité que de l’attaquer de cette façon ? Ne renforce-t-on pas leur logique du « Eux » et « Nous » ? N’alimentons-nous pas leurs pires fantasmes sur la gauche tunisienne ?

A moins que cela soit plus pernicieux de la part de cette gauche qui les attaque. En attaquant les salafistes, ne cherche-t-elle pas à radicaliser une situation politique déjà tendue ? Cherche-t-elle la confrontation avec eux, afin de pouvoir crier haut que les salafistes font preuve de violences ? A moins que ces attaques servent à ne pas citer nommément Ennahda, et à les attaquer sur leurs flancs ?

La radicalité, d’où qu’elle vienne, n’a pas d’avenir dans la Tunisie démocratique. Et, hors des slogans de « tolérance, extrémisme », le vivre-ensemble se construit pas après pas. Dans le respect des différences, dans la croyance au dialogue et à la pédagogie.


* Wajdi Liman est président de l'association Uni*T (Union pour la Tunisie).






Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par riadh le 04/01/2012 10:41 | Alerter
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merci pour le texte mais je pointe deux limites:
1) ennahdha a tout fait dans sa capagne pour créer le "nous" (croyant craignant Dieu) et "eux", les laïcs, les athés, les pro RCD etc. comme on dis, il faut etre deux pour danser le tango.
2) la violence actuellement vient du camp salafiste. Que direz t ils eux si on proposait de les metre en prison et de les torturer? or eux nous propose a peut près cela et viole la loi par leurs violence et il est légitime de vouloir de plus en plus se défendre violament si la police ne fait rien.

bref, je reproche a ce texte de ne voir que "les extremistes laics" et de ne pas voir qu ils ont malheureusement 1000 et une raisons d'etre inquiet pour l'Etyat des libertés individuelles en tunisie.

2.Posté par al07 le 04/01/2012 12:23 | Alerter
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Qu'un militant de gauche ai pu écrire un tel tissu d'inepties,laisse pantois !
En raisonnant de la sorte,vous endormez tout le monde et dans 23 ans vous referez(Peut être?)une
nouvelle révolution !
Dormez bien......

3.Posté par blancdecoeur le 04/01/2012 22:53 | Alerter
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je ne partage pas ton opinion , car je suis très méfiants vis a vis de certains laics qui chercheraient à discréditer les salafistes en menant des actions de provocations contre les valeurs islamiques en touchant ce qui peut provoquer des émotions les plus fortes
un des exemples emblématiques est la diffusion du film persépolis qui est un film français anti iranien et anti hijab , et pour te faire prendre conscience de la propagande qui se cache derrière ce film, il faut savoir que ce film est bizarrement diffusé dans les écoles françaises où se trouvent une grande population musulmane ( j'en ai eu beaucoup d'échos avec des élèves de confessions musulmanes qui m'ont rapportés la diffusion de ce film dans leur classes et ce dans le but d'influencer les jeunes filles à renoncer à porter le voile )
donc il faut bien réfléchir et comprendre les techniques de manipulations de certains laics qui cherchent à discréditer les valeurs islamiques pour imposer des "valeurs prétendus universels" à travers un discours de victimisation et de culpabilisation des religieux.
il est normal que les croyants musulmans soient vigilent et défendent leurs valeurs islamiques

4.Posté par NH le 07/01/2012 14:47 (depuis mobile) | Alerter
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C'est une blague?
A vous entendre tous les gens qui denoncent les actions des salafistes dans les Universites tunisiennes sont des laicards qui essaient de diviser les Tunisiens?? Allez donc parler avec les 8000 etudiants de l'universite tunisienne!

5.Posté par ISMAIL le 17/01/2012 16:42 | Alerter
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Bon je m'insurge contre cet article qui n'a rien d'interressant à a dire qu'il faut tolerer les salaf.
1. il n'y a pas plus heureux qu'un salaf qui vitdans un pays laic exemple la france, pour travailler il peut travailler avec ses frères salaf dans le transport, l'alimentation etc et ils n'ont pas le droit de casser la tete aux non salaf musulmans ou pas
2. Mais la tunisie n'est pas la france, non seulement ils essayent d'imposer leur point de vue à tout le monde mais ils se revendiquent comme les garants de la religion contre les autres musulmans.
On va ou la? Il nous faut un contre pouvoir et donc une bipolarisation des partis car quand la majorité silencieuse se rendra compte des entourloupes, mensonges, deni de realité et poussée vers la mediocrité.
Le citoyen tunisien aura alors un CHOIX clair et sans ambiguïté et c'est ce que Ben ali et Bourguiba ne voulait pas faire et c'est ce que l'on doit absolument eviter.
Il faut que la tunisie devienne pleinement un ETAT DE DROIT et non pas un pays ou une minorité et c'est souvent pas la plus eclairee qui decide pour la majorité.


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