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Ramadan

Ramadan : entre calculs et observation, le monde musulman partagé

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 23 Juin 2014 à 11:00

           

Comment les pays musulmans déterminent-ils le début et la fin du Ramadan ? Observation lunaire ou calculs astronomiques ? Saphirnews s'est penché sur cette question, à l’approche du Ramadan, où en France de fortes divergences sur la méthode à employer se font entendre. Tour d’horizon.



Ramadan : entre calculs et observation, le monde musulman partagé
Deux dates pour le début d’un mois. C’est ainsi qu’a démarré le mois sacré du Ramadan 2013 en France. Un scénario identique devrait se répéter cette année car trois visions s’opposent : ceux qui, fondamentalement, défendent la vision oculaire d'une part, et les calculs d'autre part, mais aussi ceux qui, tout en accordant leur confiance aux calculs, veulent attendre la Nuit du doute pour confirmer. Selon les calculs, le Ramadan débutera le 28 juin et l’Aïd al-Fitr aura lieu le 28 juillet. Si la décision du CFCM ne coïncide pas avec ces dates, les musulmans de France commenceront et termineront pour sûr le jeûne en ordre dispersé.

Par ailleurs, toujours loin de l’unité, certains optent pour la décision prise par leur pays d’origine ou l’Arabie Saoudite. Mais si les musulmans de France réclament toujours plus d’explications de la part des instances musulmanes françaises, connaissent-ils les règles en vigueur dans les pays qu’ils prennent parfois en référence ? Un focus s’impose.

Observation à l’œil nu

Dans les pays maghrébins, d’où sont originaires la plupart des musulmans de France, l’observation physique de la Lune (ashari’i) est la règle. La décision de la date du début du Ramadan y est prise et annoncée par les ministères en charge des questions religieuses à l’issue d’une réunion d’observation.

Au Maroc, c’est le ministère des Habous et des Affaires islamiques, en charge également de la détermination des autres mois du [calendrier lunaire, qui est compétent. Cette décision est « fondée sur l'observation oculaire du nouveau croissant lunaire, partant de son attachement à se conformer, à cet égard, à l'énoncé coranique et au hadith du Prophète : "Jeûnez à la vision de son croissant (le croissant du début du mois de Ramadan) et rompez le jeûne à la vision de son croissant (de la fin du mois)" », peut-on lire sur le site du ministère. Cette observation répond à des règles strictes, car il est indiqué qu’il ne doit pas être fait usage d’un télescope. La Lune doit être visible à l’œil nu.

En Algérie, la méthode utilisée est identique. Sous la direction du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs, les commissions de wilaya installées au niveau du territoire national sont chargées d’observer l’apparition du nouveau croissant lunaire. Sur tout le pays, ce sont 48 antennes qui peuvent recevoir les témoignages de personnes ayant vu la Lune.

Dans ces cas, l’observation est évidemment locale (ikhtilaf el-matali). En revanche, d’autres Etats musulmans s’alignent sur l’observation lunaire faite en Arabie Saoudite. Le royaume qui abrite les Lieux saints de l’islam reste une référence.

Ramadan : entre calculs et observation, le monde musulman partagé

L’observation comme complément aux calculs

Les autorités saoudiennes restent attachées à l’observation lunaire. Elles n’utilisent un calendrier basé sur les calculs astronomiques (le Umm al Qura) que pour la gestion des affaires administratives du pays. Pour la détermination du Ramadan et des autres célébrations religieuses comme l’Aïd el-Kébir, le ciel est scruté par des commissions spécialisées. Pas question pour le royaume d’abandonner cette tradition.

Nombreux sont les pays musulmans, notamment du Golfe à suivre le royaume saoudien comme le Qatar et le Koweït concernant le Ramadan. C’est donc tout un pan du monde musulman qui se fonde sur l’observation lunaire pour ce mois sacré.

A l’inverse, la Turquie s'appuie depuis longtemps sur les calculs astronomiques qui permettent de prévoir des années à l’avance les futures dates du calendrier lunaire. Cette méthode des plus modernes fut présentée en novembre 1978 lors de la Conférence internationale sur l’observation de la nouvelle Lune (CHS) à Istanbul, à laquelle ont participé les Etats membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Ici, il n’est plus question de vision locale (ikhtilaf el-matali) mais généralisée (tawhid el-matali). Le mode de calcul choisi offre la possibilité de savoir à partir de quel moment la Lune sera visible, qu’importe le lieu d’observation. La prévision de son observation suffit à ce que le jour suivant soit annoncé comme le début du Ramadan pour tous les musulmans.

A l’image de l’Arabie Saoudite, la Turquie fait office de mentor pour d’autres pays qui suivent sa méthode. C’est le cas des pays comptant une bonne part de musulmans en Europe de l’Est comme en Bosnie, au Kossovo, en Albanie ou en Macédoine.

Mais ce calendrier - défendu par le Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR) et l’UOIF - qui se veut universel fait face aux résistances des pays arabo-musulmans attachés à la tradition de la Nuit du doute durant laquelle on procède à l’observation du ciel. En amont de cette observation, certains pays font appel aux calculs astronomiques. C’est le cas de la Malaisie et de l’Egypte, qui disposent respectivement d’observatoires à Kuala Lumpur et au Caire et en font un usage complémentaire pour conforter leurs calculs.

Concurrence des comités d’observation

Malgré l’existence d’organes officiels se prononçant sur la détermination du Ramadan, des divisions existent dans certains pays musulmans. Le Sénégal en est un exemple. Chaque année, le même scénario se répète. Les dates du début du Ramadan et des fêtes de l’Aïd ne sont pas les mêmes pour l’ensemble de la population. La majorité suit l’avis de la Commission nationale de concertation sur le croissant lunaire (CNCCL) tandis qu’une partie des habitants écoutent la Commission d’observation du croissant lunaire (COCL) mise sur pied par la Coordination des musulmans de Dakar. Ces deux organes, qui disent pourtant se fonder sur une méthode d’observation locale, annoncent à chaque fois des dates différentes.

Même en adoptant la même règle, des luttes d'autorité génèrent une fracture. Elle est devenue habituelle dans le pays, malgré les appels de religieux pour une commission consensuelle.

Au Mali, dans le pays voisin, la Commission d’observation de la Lune est chargée de déterminer les dates du Ramadan ainsi que l’Aïd al-Fitr, communément appelé Tabaski. Comme dans les pays maghrébins, les témoignages d’habitants assurant avoir vu la nouvelle lune font foi pour fixer ces dates. Toutefois, certaines confréries religieuses du pays ne suivent pas l’instance, ce qui avait poussé à l’organisation d’un forum national sur la problématique de l’observation de la Lune en 2011.

L’unité est recherchée mais cela n’aboutit pas comme en France. Ce phénomène de discorde est également visible au Pakistan. Le Comité central Ruet-e-Hilal (vision du croissant), basé à Karachi, qui procède à l’observation lunaire, est l’organe officiel. Mais on apprend dans la presse locale que, ces dernières années, un autre comité non officiel lui fait concurrence en décrétant, à chaque fois, des jours différents. Par ailleurs, certains Pakistanais tiennent à suivre l’Arabie Saoudite.

Calculs contre observation

Mais c’est dans le plus grand pays musulman que l’on retrouve la situation la plus semblable à celle de la France. En Indonésie, deux visions opposent les deux principales organisations musulmanes du pays. La Nahdlatul Ulama (NU) prône l’observation visuelle, tandis que la Muhammadiyah suit les calculs astronomiques.

Conséquence, l’an dernier, les Indonésiens faisant confiance aux calculs ont démarré le jeûne mardi 9 juillet et les autres le lendemain. Pas étonnant que là où vivent le plus de musulmans, une pluralité des avis se fait jour.

Encore une fois, à l’échelle mondiale et même à l’intérieur des pays musulmans, le mois de Ramadan devrait débuter et terminer lors de dates différentes. Tous prônent l'unité mais les divergences sont toujours là. La communion de plus de 1,6 milliard de musulmans en ce mois sacré n’est pas encore d’actualité.






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