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Points de vue

Quand le langage de la foi sert à asseoir le fanatisme religieux

Rédigé par Martino Diez | Vendredi 17 Mars 2017 à 12:01

           

Les 22 et 23 février 2017, à la Mashîkhat al-Azhar au Caire, s’est tenu un séminaire sur « la lutte contre le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ». Le séminaire, présidé par le vice-président d’al-Azhar ‘Abbas Shuman et le cardinal Jean-Louis Tauran, marque la reprise du dialogue entre al-Azhar et le Vatican. Le texte présenté ici est un extrait de l’intervention de Martino Diez, directeur scientifique de la Fondation Oasis, institution italienne créée en 2004, destinée à promouvoir la connaissance réciproque et la rencontre entre le monde occidental et le monde à majorité musulmane.



Dans la lutte contre les extrémismes, l’une des questions centrales est de savoir quelles sont les règles pour une interprétation correcte des Écritures sacrées. […]

Le fanatisme religieux a comme caractéristique spécifique, par rapport à d’autres formes d’extrémismes, de se servir du langage de la foi comme force de mobilisation. Rien de surprenant à cela : la religion est l’une des grandes forces qui animent l’homme. Il pourrait sembler facile de liquider la question en affirmant que le fanatisme représente une utilisation opportuniste de la religion à des fins qui lui sont étrangères, par exemple de nature politique, mais, en réalité, les choses ne sont pas si simples : la plupart des fanatiques, y compris leurs chefs, agissent en bonne foi, sans hypocrisie. Se refuser à se pencher sur cette donnée signifie se condamner d’emblée à ne pas comprendre le phénomène.

Les textes et leur interprétation

Le fanatique agit donc souvent en bonne foi et, ce faisant, il se sert d’une série de textes religieux : par exemple, les communiqués de l’État islamique sont remplis de citations du Coran et des hadîth. Une des questions, donc, comme beaucoup l’ont relevé, est de savoir quelles sont les règles pour une interprétation correcte de ces textes.

Nous, chrétiens, commençons le temps du Carême, et allons entendre un passage de l’Évangile très intéressant, qui raconte les tentations auxquelles Satan soumit Jésus au début de son ministère public (Mt 4,1-11). Si la première misait sur le désir de Jésus de manger du pain après avoir jeûné quarante jours ; dans la seconde tentation, Satan invoque un texte biblique (les versets 11 et 12 du très beau Psaume 91) pour suggérer à Jésus de se jeter du haut du sommet du Temple : « Il est écrit : "Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre." » À cette provocation Jésus répond toutefois : « Il est encore écrit : "Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu." » Ce bref passage évangélique montre donc que même un texte révélé, comme l’est pour nous chrétiens la Bible, peut se prêter à des interprétations erronées.

De façon analogue, à l’époque de la première fitna, ‘Alî mettait ainsi en garde Ibn ‘Abbâs, en l’envoyant disputer avec les kharidjites : « Ne leur citez pas le Coran, car le Coran a plusieurs visages. Tu cites un verset, et eux en citent un autre »*.

Face à l’ambiguïté originelle du texte, la tâche est donc de définir les règles pour le lire, tandis que l’illusion la plus dangereuse est précisément de penser qu’il n’existe pas de règles.

Mais à qui incombe la tâche de dicter les règles ? Aujourd’hui, en Occident, il n’est pas rare d’entendre un non-musulman expliquer aux musulmans comment ils devraient interpréter le Coran ou les hadiths. Cet exercice me laisse personnellement très sceptique. Une chose est d’analyser un texte du point de vue scientifique, sur la base de l’universalité de la raison humaine qui nous est commune à tous, autre chose toutefois est de proposer une interprétation contraignante à une communauté de foi à laquelle on n’appartient pas. Cela peut se faire, à la limite, tout au plus sur la pointe des pieds, et comme une forme extrême d’hospitalité.

Ce qu’en revanche on peut certainement faire – et que l’on doit faire, notamment par respect pour les victimes des attentats terroristes –, c’est, plutôt que de fournir des réponses, poser des questions. Comment les musulmans interprètent-ils tel ou tel verset, qui est utilisé par exemple par l’État islamique pour justifier ses actions criminelles ? Comment répondent-ils à sa propagande ?

Si le défi du jihadisme aura l’effet de stimuler une réflexion dans ces domaines, le mal que ce mouvement a semé se transformera en une occasion de bien.

Note
* Jalāl al-Dīn al-Suyūtī, al-Itqān fî ‘ulūm al-Qur’ān, al-naw‘ al-tāsi‘ wa l-thalāthūn, fî ma‘rifat al-wujūh wa l-nazā’ir, Dār al-Kutub al-‘ilmiyya, Bayrūt, 2010, p. 214.

*****
Martino Diez est directeur scientifique de la Fondation Internationale Oasis et enseignant-chercheur en langue et littérature arabe à l'Université Catholique de Milan. Première parution dans Oasis





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Rahan le 12/06/2017 15:36 | Alerter
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Ca me fait penser à la formule celui qui dit au sujet du coran une parole fondée sur son opinion et voit juste se trompe.
Je m'en souviens parce que j'ai rarement lu une phrase pareille.
Je pense que c'est le mot interprétation qui fait tout. On a l'habitude de l'utiliser mais je pense qu'il est inconvenant. Ou pas très précis en tout cas.
Ne serait-ce qu'utiliser ce mot introduit une notion de traduction.
Interpréter c'est traduire.
Je pense que le mot sens serait un terme plus précis.
Un texte est lui meme une traduction, des mots sont mis pour retranscrire le plus fidèlement possible ce que l'on veut dire. Enfin normalement. Pour la phrase que j'ai cité au début par exemple, elle n'a pas de sens.
En lisant le lecteur fait lui aussi une traduction de la traduction.
Et il en est ainsi de chaque lecteur. Il y a donc des milliers de traduction de la traduction. Il ne faut donc pas interpréter, puisque c'est ce que fait le lecteur.
Il faut parler de sens donc.
Mais donner un sens ne me semble pas suffire. Car lui meme peut etre interprété.
Une phrase comme tu ne tueras pas par exemple. Ca peut donner oui mais il n'est pas écrit de ne pas éborgner. Oui mais il n'a pas dit quand. Il n'a pas dit ou. Il n'a pas dit qui........etc.
Je pense donc qu'il faudrait traduire ce qui n'est pas écrit aussi. En quelque sorte ne pas tenir compte que des textes mais aussi des possibilités que le sens que l'on donne peut engendrer.
Je ne sais pas si j'ai écris de façon très claire mais je pen...  


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