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Culture & Médias

« Nous, frangins d’Abdel » : la réaction sévère de la famille Benyahia au film de Rachid Bouchareb

Rédigé par Lionel Lemonier | Samedi 3 Décembre 2022 à 09:00

           

A l'approche de la sortie en salles de « Nos frangins », la famille d'Abdelouahab Benyahia critique durement le film de Rachid Bouchareb, qui retrace le meurtre de ce jeune garçon la même nuit de l'assassinat de Malik Oussekine en 1986. Elle lui reproche d'être caricatural envers leur père et d'occulter la lutte menée par la famille pour connaitre la vérité. Explications.



« Nous, frangins d’Abdel » : la réaction sévère de la famille Benyahia au film de Rachid Bouchareb
« Nous, frangins d’Abdelouahab Benyahia, dit Abdel, n’avons pas été concertés pour "Nos Frangins" qui évoque les morts d’Abdel à Pantin et de Malik Oussekine à Paris, tués par des policiers dans des contextes différents, la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Et notre père n’a pas du tout été informé de ce projet de film. Or un des rôles principaux, joué par un comédien, est censé le représenter aux lendemains du drame. » Alors que la sortie de « Nos Frangins », de Rachid Bouchareb, est prévue mercredi 7 décembre, la famille d’Abdel s'exprime pour dénoncer une « caricature » dont « le réalisateur prétend tracer un portrait représentatif des immigrés de la première génération qui, d’après lui, rasaient les murs ».

Dans un communiqué publié vendredi 2 décembre, complété par une vidéo, les frères d’Abdel déplorent l'absence d'accord préalable de leur père au film. Surtout, ils expriment leur incompréhension par rapport à l'mage de leur père renvoyée par l’œuvre de Rachid Bouchareb. « Certes, il s’agit d’une fiction cinématographique, mais le cinéma ne permet pas tout et n’importe quoi, surtout lorsqu’il s’agit de faits et de personnages réels cités en nom propre », s’indignent-ils. « Est-ce par ignorance ou par choix délibéré que notre père apparaît dans cette fiction comme un personnage effacé et hagard, qui subit et accepte sans broncher les injustices, contrairement aux jeunes ? », s’interrogent-ils.

Ils affirment au contraire qu'il est loin d'être ce personnage effacé. « La singularité de notre père, c’est d’avoir pris la parole très tôt et d’avoir manifesté à chaque fois dans le cortège de tête. (...) Photo et images vidéo l’attestent]i, ajoutent-ils. Dès le lundi 8 décembre 1986, notre père intervient publiquement lors d’une conférence de presse transformée en meeting improvisé à La Courneuve, tout en brandissant le portrait d’Abdel. Le lendemain, il est à la tête de la manifestation partie de la cité des 4000 où nous habitions alors, et qui ira jusqu’aux Quatre Chemins, sur le lieu du drame. Toute la famille y participe. Avec notre maman, bien sûr ! Pourquoi dans cette fiction, notre famille réunie est-elle si absente ? »

Rétablir les faits réels

Les frangins d'Abdel, qui envisagent des poursuites « pour atteinte à l'image ou à la réputation de notre famille », tiennent à rétablir les faits tels qu'ils se sont déroulés : « Le réalisateur prétend que la rencontre entre la famille de Malik et la nôtre n’a pas existé, mais qu’il la suscite grâce à la fiction. Encore une fois, c’est faux. Différents membres des deux familles se sont bien rencontrés à plusieurs reprises, par exemple lors de réunions ou de meetings du Comité Justice pour Abdel. Dès nos premières manifs, nous avions une grande banderole qui disait "Abdel, Malik, plus jamais ça !". Et puis, nous avons défilé ensemble lors d’une manifestation à Paris, un an après, derrière la banderole "Nous n’oublions pas." »

Ils ne supportent pas non plus « l’opposition sociale entre nos deux familles, sous-entendue par ce film » qu’ils qualifient de grotesque. Côté Oussekine, le frère est « un jeune entrepreneur à belle allure qui sait tenir tête à l’inspecteur de police ». De l’autre, le seul frère incarné dans le film est « un gamin de banlieue à la révolte erratique ». Ils rappellent que l’association des Amis d’Abdel, le comité de soutien et les avocats se sont mobilisés « dans une dynamique collective dont nous sommes fiers », jusqu’à obtenir la requalification du meurtre d’Abdel en homicide volontaire et la condamnation du policier à sept ans de prison ferme. Il sera libéré au bout de quatre ans.

Un non à l'oubli des luttes populaires

Si Nos Frangins est destiné à faire connaître ces affaires au grand public, et notamment aux jeunes générations, le film engendre « une distorsion des faits » et « la défiguration de ses protagonistes », accusent-ils. « Il passe notre mobilisation à la trappe. Sans doute a-t-elle été trop indépendante par rapport à certaines organisations qui ont échoué dans leur velléité de nous instrumentaliser et qui, avec ce film, tentent de recommencer. »

Cependant, « ils n'effaceront pas nos traces. Notre mémoire est là, intacte, et nos archives aussi », préviennent-ils. Le plus important est là : les Frangins d’Abdel invitent le grand public à consulter leurs archives, tracts, photos, bandes sons et vidéos dont le reportage de l'agenceIMmedia, ci-dessous. Un devoir de mémoire.





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