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Points de vue

Les musulmans ont un fort sentiment d’appartenance à l’Europe. Quand celle-ci va-t-elle leur rendre la pareille ?

Rédigé par Julie Pascoët | Mardi 3 Octobre 2017 à 09:05

           


Les musulmans ont un fort sentiment d’appartenance à l’Europe. Quand celle-ci va-t-elle leur rendre la pareille ?
De jeunes étudiants musulmans européens ont récemment dialogué avec le vice-président de la Commission européenne et la vice-présidente du Parlement européen, ainsi que plusieurs députés européens sur leur présent et leur futur – et de l’importance de construire ensemble un avenir commun. Ils ont pu insister sur le fait qu’un changement de perspective et des discours et pratiques inclusifs quant à la présence de musulmans en Europe s’imposent. Trop souvent, ils sont considérés comme « un problème à régler ».

Malheureusement, l’inclusion reste encore un vœu pieux pour les musulmans d’Europe – que ce soit dans l’emploi, l’éducation, le logement ou l’accès aux services. Les résultats d’une nouvelle enquête sur les expériences de discrimination vécues par les musulmans publiée par l’Agence européenne des droits fondamentaux montrent que les musulmans sont confrontés aux discriminations dans tous les domaines. Ce phénomène européen requiert une réponse européenne de toute urgence.

Lire aussi : Les musulmans d'Europe confiants dans les institutions malgré les discriminations

Les musulmans doivent composer avec des risques importants pour leur sécurité

Environ une personne musulmane sur trois déclare qu’elle a été victime de discrimination lors de sa recherche d’emploi. Cela est d’autant plus inquiétant quand on sait qu’avoir un emploi est un facteur clé d’inclusion et de participation dans la société. En outre, de nombreux talents sont ainsi gâchés par ces pratiques discriminatoires.

Les musulmans doivent également composer avec des risques importants pour leur sécurité. Une personne musulmane sur quatre a été victime de crime de haine au cours de l’année précédente, et presque la moitié d’entre elles ont subi six incidents ou plus. Une femme musulmane témoigne ainsi dans le récent rapport d’ENAR « Femmes oubliées » : « J’évalue constamment les risques et dangers potentiels. J’ai l’impression de devoir toujours regarder autour de moi quand je me promène. Je dois continuellement penser à comment affronter la situation au cas où quelque chose se passe. C’est épuisant. »

« On m’a fait sentir que j’étais une étrangère »

En théorie, les forces de police sont là pour les protéger ; mais les chiffres montrent une toute autre réalité. Environ la moitié des personnes sondées qui ont été contrôlées par la police au cours de l’année précédente affirment qu’elles l’ont été parce qu’elles sont issues de l’immigration ou en raison de leur origine ethnique. Les personnes les plus ciblées étaient les hommes musulmans d’Afrique du Nord et subsaharienne. Cela pourrait également expliquer pourquoi les victimes de crimes de haine sont réticentes à signaler ces incidents à la police.

La stigmatisation des musulmans – ou ceux perçus comme tels – est d’autant plus manifeste dans le contexte des mesures de lutte contre le terrorisme. Une mère mise en cause dans le cadre de l’initiative contre-terroriste « Prevent » au Royaume-Uni déclare : i[« Je ne me suis jamais sentie non-britannique. Avec l'expérience [Prevent], on m’a fait sentir que j’étais une étrangère. Nous habitons ici. Je suis née et j’ai grandi ici, nulle part ailleurs. »]i

L’islamophobie pas suffisamment reconnue comme un problème en Europe

L’islamophobie est également une forme de racisme qui touche plus particulièrement les femmes. L’enquête de l’Agence européenne des droits fondamentaux confirme d’autres études, notamment par le Réseau européen contre le racisme (ENAR), qui montrent que les femmes musulmanes sont victimes de discrimination de manière disproportionnée, surtout dans l’emploi, l’éducation et l’accès aux biens et services, des domaines essentiels à l’inclusion et l’émancipation. Dans certains pays, presque 80 % des victimes de crimes de haine sont des femmes. Le sexisme et le racisme jouent tous les deux un rôle dans leurs expériences de discrimination et ces formes de discrimination aggravées accroissent les niveaux de marginalisation et de violence.

L’islamophobie est un problème en Europe mais elle n’est pas suffisamment reconnue comme telle actuellement. Les institutions européennes et les pays membres de l’Union européenne doivent s’engager à prendre cette problématique au sérieux. Des progrès importants ont déjà été accomplis au niveau de l’Union européenne pour reconnaître l’islamophobie, mais d’autres mesures sont nécessaires comme :

> S’assurer que la législation existante soit mise en œuvre et que des sanctions efficaces soient appliquées en cas de discriminations et de crimes de haine ;

> Mettre en place des gardes fous concernant des mesures de police ou de lutte contre le terrorisme qui pourraient être discriminatoires envers les communautés musulmanes (par exemple, des récépissés à remplir par la police lors des contrôles d’identité) ;

> Encourager les employeurs à être inclusifs et s’assurer que leur lieu de travail reflète une société multiculturelle ;

> Adopter des mesures ciblées pour lutter contre l’islamophobie, notamment par le biais d’un plan d’action national contre l’islamophobie (la ville de Barcelone a par exemple adopté un plan d’action contre l’islamophobie).

Nous devons faire en sorte que les musulmans aient la possibilité de faire partie intégrante des sociétés européennes. De nombreux musulmans – résidents et citoyens européens – contribuent activement à la société depuis plusieurs générations. Pourtant, de nombreux discours politiques et médiatiques représentent les musulmans comme une menace – ce qui ne fait qu’alimenter les discriminations et l’aliénation de tout un groupe de population.

La déshumanisation et la suspicion généralisée sont au cœur de l’islamophobie grandissante en Europe aujourd’hui. Les Etats membres de l’Union européenne ont l’occasion d’inverser la tendance. Ils doivent le faire avant que les niveaux d’exclusion n’atteignent un point de non-retour.

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Julie Pascoët est responsable politique au Réseau européen contre le racisme (ENAR).





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