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Société

Le mal être arabe, enfants de la colonisation

Rédigé par Memma | Mardi 3 Mai 2005 à 00:00

           

Il y a des livres qu’on peut lire mais qu’on ne peut pas raconter. « Le mal être arabe » est un livre irracontable. Dominique Vidal et Karim Bourtel ne sont pas des inconnus. M. Vidal est à la Rédaction du Monde diplomatique et M. Bourtel travaille à Politis et aussi à Témoignage Chrétien. L’un est Juif et l’autre est Arabe tous les deux connaissent le sujet. Et pourtant, à travers des 233 pages de leur enquête, ils ont choisi de s’effacer. Ou presque, puisqu’ils se sont réservés les titres de châpitres...et encore !



Il y a des livres qu’on peut lire mais qu’on ne peut pas raconter. « Le mal être arabe » est un  livre irracontable. Dominique Vidal et Karim Bourtel ne sont pas des inconnus. M. Vidal est à la Rédaction du Monde diplomatique et M. Bourtel travaille à Politis et aussi à Témoignage Chrétien. L’un est Juif et l’autre est Arabe tous les deux connaissent le sujet. Et pourtant, à travers des 233 pages de leur enquête, ils ont choisi de s’effacer. Ou presque, puisqu’ils se sont réservés les titres de châpitres... et encore !

 

« Le mal être arabe, enfants de la colonisation » laisse la parole, toute la parole aux concernés. Des femmes, des hommes, des jeunes des anciens, des ouvriers, des universitaires, des politiques des associatifs, des parisiens et des provinciaux, la liste en longue. A la manière d’une caméra qui tourne en continu, le lecteur balaie l’espace et le temps. Un coup au Nord, un coup au Sud ; puis en Algérie, en arrière dans le temps, pour revenir au présent dans la « banlieue ». Bien avant le septième chapitre le tournis menace et le verdict tombe. Il y a un mal être arabe en France et il vient de loin. Si rien n’est fait, il va nous « péter à la gueule ». Mots crus, sans fioritures, les concernés vident leurs sacs. L’égalité des chances, la laïcité, l’identité, le voile à l’école, l’islamophobie, le CFCM, l’hypocrisie institutionnelle, tout y passe, dans une dialectique savoureuse produit de la spontanéité de l’expérience vécue.

 

Ce livre tombe à pic. Il donne les clés pour comprendre les sources du mouvement des « Indigènes de la République ». Plus qu’une enquête ordinaire de journalistes, il produit un véritable dictionnaire de profils doublé d’un catalogue d’arguments. Des profils contemporains d’enfants de la colonisation française. Les auteurs leur donnent la parole et ils ont des choses à dire. Des choses à lire jusqu’à la dernière ligne. Elles ne se prêtent ni à un résumé forcément lapidaire ni à des raccourcis contractants et naturellement traîtres.

 

Magyd Cherfi du groupe Zebda, Mouloud Aounit du Mrap, Houria Bouteldja du Collectif des Blédardes, Saïd Branine du site Oumma.com, Fouad Imarraine du Collectif des musulmans de France, Naziha Mayoufi anciennement de Saphirnet.info, M’hamed Kaki de l’association les Oranges, Rachid Benzine qui signe Les nouveaux penseurs de l’Islam, Saïd Bouamama des « indigènes de la République »…. Au moins une trentaine de femmes et d’hommes impliqués dans l’action associative, dans le combat contre les inégalités et leurs conséquences se côtoient dans les paragraphes du livre. Des profils extrêmement divers, des cheminements éclatés, des paroles très variées avec néanmoins deux points communs indéniables : ils sont tous Arabes et ils sont tous en France.

 

Dans le foisonnement de personnages, la succession de visages, le flot de citations coupées au cutter et introduites dans une logique implacable, le lecteur pourrait perdre le Nord et inverser l’implication logique pour se dire que ces Arabes de France sont tous des « indigènes de la République». Eh bien non ! Car, non seulement Fadela Amara ne dit mot dans « le mal être arabe » des enfants de la colonisation, mais les auteurs prolongent leur enquête dans les laboratoires de sciences humaines. Dans ces sanctuaires parfois clos, ils tendent leur micro aux chercheurs. C’est alors que le malaise des acteurs prend sens.

 

Ceux qui connaissent la pensée d’Abdelmalek Sayad s’y retrouveront. Les autres éprouveront l’envie de connaître les travaux de ce grand sociologue de l’immigration. Là aussi les auteurs restent cois. Ils posent le cadre, fournissent les tableaux de données statistiques avant de donner la parole aux savants qui apportent leurs analyses.

Cette répartition de l’ouvrage demeure toutefois artificielle. Car, dès les premiers chapitres, on glisse dans l’analyse. Non seulement parce qu’elle s’impose (comment parler de l’islamophobie en France sans interroger Vincent Geisser ?), mais surtout parce que les interrogés sont parfois des intellectuels.

Ce livre d’enquête et d’analyse est simplement irracontable. Il devient encore moins racontable lorsque les auteurs donnent le mot de la fin à Leïla Shahid dans une interview inédite. Quel est le rapport avec la choucroute ? Il faut tout lire pour comprendre.

 

Le mal être arabe

Ed, Agone / Paris, 2005

233 pages

 





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