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Points de vue

La laïcité à l’épreuve de l’islam… et des élections

Rédigé par Younès Yousfi | Mardi 23 Février 2016 à 08:00

           


La laïcité à l’épreuve de l’islam… et des élections
C’est le sujet incontournable de ces derniers temps. Le thème à la mode, qui intrigue, qui interroge, qui fascine. Ou plutôt le thème qui fait beaucoup parler. Car s’il est tout à fait envisageable que la laïcité puisse susciter un réel intérêt, il l’est en revanche beaucoup moins que cet intérêt ne soit pas suggéré par différents vecteurs, par quelques esprits bien-pensants qui veillent sur notre belle société.

Alors pourquoi la laïcité est-elle aujourd’hui sujette à tant de polémiques ? Comment cette même laïcité, dont le rôle est à priori de garantir une vie paisible en société, est-elle devenue génératrice de tensions et cristallisatrice de crispations ?

Neutralité et émancipation

Revenons tout d’abord aux fondamentaux. Car les spécialistes de la question (que sont principalement ou uniquement les universitaires qui travaillent concrètement sur le sujet) sont unanimes, et l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 est clair : la laïcité n’est rien d’autre que la garantie, pour chaque citoyen, de la liberté de conscience et de la liberté de culte, ainsi que la neutralité de l’État vis-à-vis des religions. Cela aurait dû permettre de clore définitivement le débat. Mais la nouvelle visibilité des musulmans (et de l’islam sur certains points) est venue remettre cette question, ô combien sensible électoralement, sur le devant de la scène.

À y voir de plus près, le terme laïcité (apparu dans les dictionnaires dès 1871) n’apparait à aucun moment dans le texte de loi de 1905. L’objectif historique de ce texte, qui est aujourd’hui agité tel un étendard, était simplement celui de détacher l’État (dans son aspect politique) de l’emprise et de l’influence des Églises, en particulier de l’Église catholique. À aucun moment, il n’eut était question de décrédibiliser ni de délégitimer quelque religion que ce soit.

La liberté de conscience assure au citoyen la liberté de penser ce qu’il veut, celle de croire ou de ne pas croire en une vérité qu’il aura fait sienne. Une liberté qui n’a de limites que celles que l’individu se sera lui-même fixées.

La liberté de culte permet, quant à elle, de garantir la liberté d’extérioriser sa conscience, sa pensée, en l’exprimant par une pratique, par des gestes, par des rituels, en public ou en privé, tant que le cadre réglementaire et l’ordre public sont respectés.

La neutralité de l’État vis-à-vis des religions vise à assurer l’égalité de traitement de tous les citoyens. « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 2). Elle instaure la fin des privilèges accordés aux quatre cultes jusqu’alors reconnus, et établit le fait que l’État n’intervienne plus quant à la gestion de telle ou telle religion.

La laïcité de 1905 était donc une laïcité de neutralité et d’émancipation.

Crispations identitaires et volonté de repli

Or cette réalité historique a bien évolué depuis. Certains intellectuels ont réussi en effet à théoriser et à diffuser (bien aidés par certains médias) dans pratiquement toutes les sphères de la société l’idée de l’islamisation de l’Europe, qui entrainerait inéluctablement un grand remplacement.

Cette population musulmane, venue massivement au cours du XXe siècle (pour participer aux guerres d’abord puis pour reconstruire les infrastructures françaises) a suivi une évolution naturelle qui a entrainé une sédentarisation et une intégration qui n’est aujourd’hui plus à remettre en cause.

Dès lors, la laïcité va venir servir de bouclier pour repousser, rejeter, voire interdire tout ce qui ne ressemble pas à notre culture historique ou du moins tout ce qui ne ressemble pas à ce que l’on aimerait être notre future culture.

Le rapport à l’islam va alors refléter toutes les crispations identitaires et toutes les volontés de repli que peut connaître une société en crise, jusqu’à remettre en cause la définition historique de la laïcité à la française. Soyons clairs, il n’y a pas « une » laïcité française. Il n’y a pas « un seul » modèle, « un seul » paradigme. Il y a une seule définition du terme, qui fait l’objet de diverses interprétations, de diverses applications et de quelques jurisprudences.

Victime de ses nombreuses interprétations, la laïcité va subir un tournant au début du XXIe siècle et ne quittera plus, dès lors, la scène médiatique. La loi du 15 mars 2004 sur le port du foulard à l’école, sous la forte pression des chefs d’établissement désarmés face à la question, va en effet servir de tremplin aux chantres d’une laïcité stricte. Une grande partie de la classe politique voit alors dans la laïcité une opportunité de cadrer, ou d’encadrer, la pratique religieuse devenue de plus en plus visible et donc imposante à leurs yeux.

Les idées erronées reçues sur la religion musulmane (la soumission de la femme, la volonté de domination, etc.) devront être combattues, progressivement, par cette belle valeur républicaine que personne ne conteste, pas même les premiers concernés. La préservation des valeurs républicaines va voiler la non-acceptation de pratiques nouvelles religieuses. Et certains hommes politiques, conscients que le sujet est porteur, ne manquent d’imagination. Du foulard à l’école, le curseur s’est déplacé vers les minarets des mosquées, les restaurants « halal », les menus de substitution dans les cantines scolaires, les jupes longues, et le chemin est encore long… jusqu’aux pains au chocolat.

Quand la laïcité devient un enjeu électoral

Face à ces polémiques, qui suivent de très près le calendrier électoral, les quelques intellectuels « spécialisés » sur le sujet essaient tant bien que mal de lutter contre ces tourbillons politico-médiatiques. On parle alors de laïcisme pour désigner cette attitude politique qui pousse jusqu’à l’antireligieux. Mais l’emballement antireligieux au nom de la laïcité est trop rapide et la défense de la laïcité dite historique est de portée trop limitée.

Il y a donc fort à parier que la défense de la laïcité qui, on l’aura compris, est aujourd’hui axée sur la lutte contre la visibilité de la religion musulmane, sera à nouveau l’un des enjeux majeurs de la future élection présidentielle, ce qui a d’ailleurs déjà commencé…

La laïcité est pourtant une chance, pour la société française comme pour sa composante musulmane. Elle permet à chacun de vivre à la lumière de ce que lui aura suggéré son intime conviction. Elle doit permettre à chacun de vivre dans une société apaisée et équitable, tant espérée en ces temps confus. Encore faut-il qu’elle soit bien comprise…

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Younes Yousfi est directeur adjoint et cofondateur du collège-lycée Ibn Khaldoun de Marseille.





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par François Carmignola le 01/03/2016 22:11 | Alerter
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La laïcité de 1905 fut une version adoucie d'une volonté claire, affirmée et finalement réalisée d'exclure l'église catholique du débat public.
Il s'agissait de faire en sorte que le religieux soit une affaire purement individuelle, seuls les individus et les partis politiques pouvant participer au débat démocratique. Car les organisations religieuses ne sont pas des partis politiques et ne peuvent prétendre en tant que tels à participer aux choix citoyens.
Cela n'était pas clair au début du siècle pour ce qui concernait l'Eglise, dont les responsables français et italiens affichaient explicitement la volonté du contraire, au nom d'une volonté, depuis abandonnée, d'influer et d'orienter directement la conduite des nations.
Cela n'est pas clair aujourd'hui de la part de certaines organisations religieuses musulmanes, qui pensent pouvoir influer de manière importante sur les choix politiques de leurs affidés et oui, il y a une conception active de la laïcité qui souhaite combattre explicitement ces tentations là.
Le thème de la nécessité de faire admettre à l'islam aujourd'hui ce qu'on fit admettre au catholicisme hier est ainsi un thème explicite de la campagne présidentielle à venir.


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