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Points de vue

La laïcité, une machine de guerre contre l’islam

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Jeudi 21 Novembre 2013 à 06:00

           


Quasi absente des préoccupations politiques jusqu’au début de la décennie 2000, la question de la laïcité a pris depuis une importance progressive au point d’y occuper aujourd’hui une place centrale. Mais que recouvre précisément ce concept et quelle est son utilité sociale pour la classe dominante ? Présentée par celle-ci comme un principe républicain dont la défense justifierait une guerre permanente contre le « communautarisme religieux », la laïcité est en réalité le masque respectable de l’islamophobie. Un rapide tour d’horizon du paysage médiatico-politique suffit pour s’en convaincre. La question devient alors : pourquoi tant de haine ?

La guerre idéologique pour la laïcité est contemporaine de la « guerre contre le terrorisme » qui débute au lendemain des attentats du 11-Septembre. L’effectif annuel des articles publiés dans Le Monde contenant cette occurrence en donne une indication grossière mais objective. Nettement inférieur à la centaine en 1999-2001, il bondit à 140 en 2002 et s’est maintenu depuis très au-dessus de cette valeur avec des pics notamment lors des années où sont votées les lois anti-voiles : en 2004 (428) et en 2011 (507).

La laïcité, vecteur de l'islamophobie

De fait, défense de la laïcité et islam apparaissent étroitement liés. Près de la moitié (168) des 355 articles du Monde publiés depuis le début de l’année et contenant l’occurrence « laïcité » associent les deux termes. On ne trouve en revanche qu’un seul article réunissant les termes « judaïsme » et « laïcité ». Cette dernière est bien à géométrie variable et prend pour cible exclusive les musulmans en dépit d’un communautarisme juif bien implanté en France. Ces véritables campagnes ou croisades antimusulmanes lancées à l’occasion des débats nationaux récurrents sur la laïcité s’appuient sur un formatage idéologique des consciences. Celui-ci est assuré par les médias dominants, bien sûr, mais aussi par l’école.

La volonté du gouvernement de faire de l’école un sanctuaire laïque cache mal son obsession antimusulmane. Elle s’est manifestée, en particulier, à l’occasion des multiples lois bannissant le voile à l’école. L’argument de la laïcité est d’autant plus hypocrite que les textes fondateurs la définissent comme une obligation concernant les locaux, le programme scolaire et le personnel enseignant, et non les élèves (ou leurs accompagnateurs lors des sorties scolaires) – principe retenu par l’avis du Conseil d’État à propos de la première loi anti-foulard de 1989. Elle donne en réalité obligation à l’institution scolaire d’accepter tous les élèves, quelle que soit leur origine ou leur religion et d’accueillir chacun avec ses croyances.

Dernière offensive antireligieuse à l’école menée par le gouvernement, la mise en place d’une charte de la laïcité. Destinée à être affichée dans tous les établissements scolaires publics, elle se veut être un outil de plus pour une « pédagogie républicaine » afin de faire de l’école un espace libéré de toute religion. Le formatage scolaire des consciences s’appuie aussi sur la nature même des enseignements dispensés. Une étude récente montre que les manuels scolaires européens véhiculent des stéréotypes sur l’islam et les musulmans, et que ceux-ci forment le terreau d’un véritable racisme culturel.

Le chiffon rouge de la menace islamiste

L’islamophobie est pratiquée sans vergogne jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Le chiffon rouge de la menace islamiste est régulièrement agité pour tenter de détourner l’attention du public du désastre de la situation économique et sociale. Cette tentation s’est doublement renforcée avec lancement de la « guerre contre le terrorisme » et le retournement de conjoncture économique de l’automne 2001. L’actuel ministre de l’Intérieur suit cette ligne néoconservatrice en faisant allégeance à Israël et au sionisme tout en fustigeant par ailleurs l’islam et ses signes religieux.

Conséquence de ce matraquage idéologique, l’islamophobie explose en France et les actes d’agression contre les musulmans et leurs institutions se multiplient. Le musulman est aujourd’hui devenu un véritable bouc émissaire avec tout ce que cela implique : stigmatisation médiatique, exclusion sociale, victimisation. Au profit de qui ? Des vrais responsables de la crise actuelle, qui ne sont pas musulmans.

En France, comme ailleurs en Europe, les plans sociaux se multiplient et le chômage ne cesse de battre des records. Le nombre de chômeurs dépasse les 3 millions au second trimestre 2013 et celui des demandeurs d’emploi frôle les 5 millions de personnes. Fait aggravant, la durée pour retrouver un emploi s’allonge : représentant près de 26% des personnes accueillies, la proportion des chômeurs sans droits, qui ne perçoivent aucune indemnité, n’a cessé d’augmenter depuis 2003.

Un racisme d'Etat dévoilé

Le gouvernement semble être totalement impuissant face à cette situation inédite – et il l’est en effet, coincé entre le fardeau de la dette, les injonctions de Bruxelles et le carcan monétaire européen. En revanche, s’il est un domaine où il peut faire preuve de volontarisme et même d’activisme, c’est bien celui de la sécurité intérieure, et c’est peut-être bien le seul. Faire diversion en fabriquant un ennemi intérieur imaginaire pour ensuite le combattre à coups de discours haineux, d’expulsions et de lois discriminatoires est une échappatoire commode.

On comprend dès lors que l’islamophobie touche l’ensemble de l’Europe en crise. Ce véritable racisme d’État qui se met peu à peu en place en France n’est pas sans rappeler les lois de Nuremberg adoptées dans un contexte d’ailleurs similaire au nôtre (crise économique et sociale et tensions internationales). Aux mêmes causes, les mêmes effets. Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise, écrivait Bertolt Brecht. L’exclusion progressive des musulmans de la société française, comme des autre sociétés européennes touchées par les politiques d’austérité, ne peut hélas que lui donner raison.

Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.






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